par Elsa Maudet publié le 26 avril 2022
Aurélie Lieuchy Ségur prend l’exemple de cette femme qui plaçait toutes sortes de choses dans son vagin «pour le plaisir». «L’équipe a appelé le fils de la résidente pour savoir s’il était d’accord pour qu’elle ait un sex-toy. Pourquoi on demande au fils de se mêler de la vie sexuelle de la mère ?» Six paires d’oreilles écoutent l’anecdote de cette infirmière formatrice, ce lundi, à l’Ehpad Harmonie de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne), un établissement public géré par la ville de Paris. La moitié travaille là, l’autre dans un Ehpad à Paris. Le petit groupe est le premier à suivre la toute nouvelle formation de l’association GreyPride, qui vise à en faire des référents sur les questions de vie intime des résidents. A l’issue, leurs structures recevront le label «GreyPride Bienvenue», gage d’une attention du personnel à ces questions.
Une partie du petit auditoire s’interroge. Si la personne est sous tutelle, comment gérer son budget sex-toys ? Et tutelle ou pas tutelle, qui l’emmène les acheter ? «Pourquoi ne pas proposer un catalogue ? Ou une réunion sex-toys dans l’établissement ?» suggère Aurélie Lieuchy Ségur. Il existe bien des réunions Tupperware. La formation se tient dans une petite salle où se trouve également la seule photocopieuse des environs. Un homme entre dans la pièce, feuille à la main. Entend de quoi il retourne. Bafouille qu’il veut rester concentré sur sa tâche, repart. «Est-ce que vous avez vu sa réaction quand on a dit “sex-toy” ?» lance Gwendoline Martins, psychologue à l’Ehpad Annie-Girardot, dans le XIIIe arrondissement de Paris. «Il a eu chaud !» s’amuse Aïssata Traoré, infirmière à l’Ehpad Harmonie.
Le sujet, ce n’est pas un scoop, a un effet repoussoir. La société préfère penser que, passé 65 ans – et même dès la ménopause pour les femmes –, désir et activité sexuelle sont rangés au rayon des souvenirs nostalgiques. «Quand on évoque la sexualité du troisième âge, c’est un projecteur de notre sexualité quand on va vieillir et de la sexualité de nos parents, analyse Aurélie Lieuchy Ségur. Il ne faut pas se leurrer, la personne avait une vie sexuelle avant d’arriver ici.» La Redoute ne vendait-elle d’ailleurs pas déjà ses hypocrites masseurs de joues il y a un demi-siècle ? «La dame de 80 ans qui a passé toute sa vie avec sa collection de sex-toys, quand elle arrive ici, elle a plus rien, vous imaginez la frustration ? poursuit la formatrice. Il y a la question des piles, du nettoyage… Mais on lave bien des dentiers, et on ne sait pas ce qu’ils ont mangé avec !» Les stagiaires se marrent.
«Mais vous me parlez de trucs sexuels ?»
En ce quatrième et ultime jour de formation, l’heure est au bilan. Depuis la dernière séance, il y a une semaine et demie, chacun a eu le temps de laisser les choses décanter un peu. Nathalie Jacquier, animatrice à l’Ehpad de Boissy, a besoin de conseils. La semaine dernière, un monsieur lui a parlé d’une relation qu’il entretenait avec une résidente. «Au début, c’était tout en sous-entendus. Je lui ai dit “mais vous me parlez de trucs sexuels ?” Et en fait oui», déroule-t-elle. Problème : ils s’embrassent et se caressent au vu et au su de tous. Comment garantir leur intimité ?
Première précaution, lui répond Aurélie Lieuchy Ségur : s’assurer que les deux résidents sont consentants. Pas de problème à ce niveau-là pour l’animatrice. Qui suggère de mettre un paravent dans la salle commune pour les abriter des regards. Bof, d’autant que l’objet est utilisé dans les chambres doubles quand l’un des deux résidents vient de mourir, pour cacher le corps. «Tu peux leur proposer de s’isoler dans la chambre de l’un ou de l’autre», poursuit la formatrice. «Mais est-ce qu’on a le droit de leur dire ça ?» demande l’animatrice. «Bien sûr ! Pourquoi on n’aurait pas le droit ? Ils sont comme des ados de 15 ans qui ne savent pas où aller et se bécotent sur les bancs publics. Sauf que là, ce ne sont pas des ados.»
La situation lui semble simple à résoudre, car le couple est hétéro. «Le jour où ça va concerner un couple homo, ça va picoter» pour le personnel, prédit la formatrice. Elle en sait quelque chose. Si le gros de la formation consiste à parler vie affective et sexuelle en général, un focus est porté sur les personnes LGBT, cœur de cible de l’association GreyPride. Lors de la précédente formation, une initiation qui a couru sur deux jours, Aurélie Lieuchy Ségur s’est retrouvée confrontée à des professionnels extrêmement rétifs. Des vieux gays, bis, trans : ça heurtait leur culture, leurs habitudes, leurs religions. La formatrice évoque des échanges «très conflictuels» et même «une joute verbale», sans s’appesantir sur cette malheureuse expérience.
Revues porno
Dans ce groupe de futurs référents, l’ambiance est à la tolérance, même s’ils n’ont pas tous choisi d’être là. Certaines participantes évoquent avec stupeur les revues porno que des collègues ont retirées à un résident, celle qui voulait séparer les lits d’un homme et d’une femme en couple pour s’assurer qu’ils ne s’adonneraient pas au péché de chair, cette autre qui a appelé sa collègue pour venir mater le sexe d’un résident en érection, dont elle jugeait qu’il était particulièrement bien pourvu, ou cet homme à qui l’on met une combinaison pour s’assurer qu’il ne se masturbera pas.
«Il y a vingt ans, on avait de l’éther sur les chariots. Dès qu’un monsieur était au zénith, on mettait de l’éther sur Popol», raconte quant à elle Aurélie Lieuchy Ségur. L’éther a depuis quitté les chariots mais il n’est pas toujours facile d’accepter que les pénis atteignent le «zénith». «Il faut replacer l’humain au cœur de la prise en charge, ne pas avoir que le médical», plaide l’infirmière formatrice. Et ne jamais oublier que les résidents sont chez eux et ont droit à leur intimité, quoi que cela induise.
Grâce à leurs précédentes journées de formation, les stagiaires ont déjà entamé un travail auprès de leurs collègues. L’équipe de l’Ehpad Annie-Girardot a organisé un groupe de discussion sur l’intime avec quelques professionnels sélectionnés, celle de l’Ehpad Harmonie planche sur un double questionnaire, l’un dédié aux salariés, l’autre aux résidents, sur les questions de sexualité. Ils le savent, tous leurs collègues n’ont pas la même ouverture d’esprit. Charge à eux, désormais, de faire changer la mentalité des plus réfractaires.
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