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samedi 30 avril 2022

Irresponsabilité pénale: le décret qui jette le trouble




par Chloé Pilorget-Rezzouk  publié le 29 avril 2022 

Publié au « Journal officiel», le décret d’application de la réforme de l’irresponsabilité pénale, évoquant son exclusion pour un individu dont l’abolition du discernement résulterait d’un arrêt de son traitement médical, suscite la colère des psychiatres. La chancellerie concède une «maladresse» dans sa rédaction. 

Le diable se niche dans les détails. La publication au Journal officiel, mercredi, du décret d’application de la loi du 24 janvier 2022 relative à «la responsabilité pénale et la sécurité intérieure» a suscité l’indignation de professionnels de la santé mentale et du droit. Réformant le régime d’irresponsabilité pénale, la loi avait été annoncée par le gouvernement après que la Cour de cassation a confirmé l’absence de procès pour le meurtre de Sarah Halimi, cette sexagénaire juive défenestrée par son voisin le 4 avril 2017, lequel a été déclaré irresponsable pénalement. Décision qui avait suscité une forte incompréhension dans l’opinion publique, a fortiori avec l’entérinement du caractère antisémite du crime. Déjà, nombre d’acteurs s’étaient inquiétés d’une loi guidée par l’émotion, d’un coup de canif à l’axiome grec qui veut qu’on «ne juge pas les fous» tel que le prévoit l’article 122-1 du code pénal, et dont l’esprit s’inscrit dans «un mouvement profond de pénalisation de la folie criminelle», selon les mots du magistrat Denis Salas dans Libération.

Signé par le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, et le Premier ministre, Jean Castex, le décret précise la façon dont s’appliquent les dispositions de procédure relatives à l’irresponsabilité pénale. La nouvelle loi institue en effet de nouvelles infractions, lorsqu’une consommation volontaire de substances psychoactives est à l’origine d’une abolition temporaire du discernement durant laquelle l’individu a commis un crime ou un délit pour lequel il a été déclaré irresponsable pénalement. Il sera donc jugé pour l’intoxication volontaire et non pour le crime ou le délit. Il est aussi écrit dans la loi et son décret d’application que, si «l’abolition temporaire du discernement d’une personne résulte au moins partiellement de son fait, mais qu’il existe des divergences parmi les experts», celle-ci doit être renvoyée devant une cour d’assises ou un tribunal correctionnel, qui statuera, à huis clos, sur son irresponsabilité pénale. Qu’entendre par «partiellement de son fait» ? Cet apport du Sénat, entériné en commission mixte paritaire, va, très concrètement, «entraîner des discussions à n’en plus finir sur les causes de l’abolition du discernement. C’est une façon d’étendre le principe d’exonération de l’irresponsabilité pénale», s’inquiète vivement Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et spécialiste du droit de la drogue.

Une «petite phrase lourde de conséquences»

Parmi les hypothèses illustrant ce que peut recouvrir le «partiellement de son fait», un passage du décret en particulier a fait bondir les professionnels de la santé mentale et du droit : il concerne une situation «lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne» mais, «par exemple»,de «l’arrêt du traitement médical par la personne». La formule figure dans la notice explicative du décret – et non dans les articles. C’est le seul exemple cité. Certes, «une telle notice est dépourvue de portée normative et le Conseil d’Etat juge qu’elle n’est pas «une condition de légalité» du décret», éclaire le spécialiste de la légistique et maître de conférences en droit public Olivier Pluen. Autrement dit, le texte du décret prime. Pour autant, ce document est «destiné à éclairer le lecteur sur la portée du texte nouveau»,précise une jurisprudence du Conseil d’Etat. Il donne l’esprit et l’orientation du texte réglementaire. La circulaire du 7 juillet 2011, qui en prévoit l’existence, dit ainsi que «sa seule vocation est de donner une information fiable et accessible sur la nature et la portée des mesures».

«La rédaction de cette notice pose une vraie difficulté», soulève la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Sophie Legrand. «La loi ne dit pas cela du tout ! Lors des débats parlementaires, la question avait d’ailleurs été discutée et le gouvernement avait assuré que, non, il n’était pas question de pénaliser des malades mentaux»,rappelle la magistrate, pour qui «cette notice ne fait que confirmer la crainte d’un glissement». D’ailleurs, le syndicat examine actuellement, avec d’autres, de possibles voies de recours pour attaquer le décret. Dans la communauté médicale, l’inquiétude est tout aussi vive. La Fédération française de psychiatrie, qui réunit 33 associations scientifiques et cinq syndicats, dénonce «une régression culturelle et civilisationnelle considérable». Les psychiatres rappellent que la question de l’observance thérapeutique, c’est-à-dire du suivi du traitement, se pose chez tous les malades. Ce vendredi, le milieu s’est ému dans un communiqué, réunissant 36 organisations, d’une «petite phrase lourde de conséquences» et d’une «dérive inquiétante».

Le décret rend, selon les médecins, «le malade coupable de ses symptômes» : «Cette lecture de la maladie mentale, de son évolution, de son traitement et de ses articulations avec d’éventuels troubles du comportement aboutissant à des infractions est sans lien avec la réalité scientifique, clinique et médico-légale», ont déploré jeudi dans un communiqué commun la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel, l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires et l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie (AFPBN). «Pour la grande majorité des malades mentaux, la compréhension de la maladie est très difficile. C’est même le cœur de la pathologie : on ne se croit pas malade», complète Nidal Nabhan Abou, vice-présidente de l’AFPBN et experte judiciaire depuis une vingtaine d’années.

Une erreur humaine ?

Pourquoi cette question, discutée au Parlement à l’automne et écartée par le ministre de la Justice lui-même, se retrouve-t-elle soufflée en exemple ? Devant l’Assemblée nationale, Eric Dupond-Moretti s’était en effet montré «totalement défavorable» à un amendement porté par des députés Les Républicains visant à étendre la responsabilité pénale aux personnes ayant cessé leur traitement psychoactif. «On ne peut pas comparer l’acte positif qui consiste à prendre des substances psychoactives avec un acte d’omission. Que fait-on de la personne qui arrête son traitement parce qu’elle n’en supporte plus les effets secondaires ?» avait opposé catégoriquement le garde des Sceaux. Dans son avis préalable du 8 juillet 2021, le Conseil d’Etat avait d’ailleurs écarté une telle option, indiquant que «l’arrêt d’un traitement psychoactif ne pourra davantage être incriminé». Pour Sophie Legrand, il n’y avait donc «aucune raison» de mettre cet exemple qui «instille la façon dont les magistrats doivent interpréter la loi et juger».

«C’est l’effet de bord qu’on voulait absolument éviter», assure la député LREM Naïma Moutchou, rapporteure du projet de loi à l’Assemblée nationale, avertie par Libération. «L’arrêt du traitement est exclu justement parce que nous avions entendu les craintes des psychiatres sur ce point. La volonté commune du législateur et du gouvernement était très claire, sans ambiguïté : nous ne voulions pas que des malades soient jugés responsables», veut rassurer la vice-présidente de la commission des lois. Comment expliquer alors l’apparition de cette formulation sans rapport avec le texte de loi qu’elle est censée éclairer ? Faut-il y déceler une subreptice volonté gouvernementale d’influencer l’interprétation et l’application de la loi ? Ou y voir une erreur humaine dans la fabrication de ce décret pourtant sensible ? «Le temps de l’administration est toujours axé sur l’urgence, il y a des va-et-vient permanents dans la rédaction des textes, on produit énormément», explique le maître de conférences en droit public Olivier Pluen. Dans son Manuel de légistique, la conseillère d’Etat Catherine Bergeal souligne à propos de ces notices qu’elles sont «parfois malheureusement bâclées». «Deux dérives doivent être combattues», écrit cette énarque, parmi lesquelles «celle d’y introduire des dispositions normatives qui ne figurent pas dans le texte présenté».

«Maladresse dans la rédaction de la notice»

Place Vendôme, c’est l’embarras. Contactée par Libération, la chancellerie reconnaît «une maladresse dans la rédaction de la notice». Chargée d’élaborer les textes portés par le garde des Sceaux, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) fait savoir que «la seule chose qui importe, c’est que le texte de loi est clair». «La notice ne peut pas permettre de dire le contraire de ce que la loi dit et de ce qu’a décidé le Parlement», martèle-t-on au ministère, tout en affirmant que «l’arrêt du traitement pourrait être une des interprétations du «partiellement de son fait», c’est juste un critère parmi d’autres de la saisine d’une juridiction dans le cas de désaccords entre experts psychiatres». Mais «la loi n’a pas vocation à rendre poursuivables les malades qui arrêtent leurs traitements»,insiste-t-on. Pour autant, aucun décret rectificatif ne sera pris, au motif que «cette notice n’a pas de valeur réglementaire». Une circulaire, plus précise, sera prochainement diffusée – comme c’est habituellement le cas. Des discussions seraient en cours avec le secrétariat général du gouvernement sur l’éventualité de pouvoir modifier la notice.

«Le gouvernement pourrait tout à fait publier un nouveau décret, destiné à supprimer des erreurs ou combler des oublis, commente le légiste Olivier Pluen. L’impossibilité d’intervenir n’est pas juridique, mais sans doute politique – avec cette crainte, peut-être, que l’attention se focalise sur ce sujet très sensible – et assurément administrative et technique, car nombre de notices souffrent de défauts, de sorte que cela deviendrait compliqué et paradoxal au regard de la critique de l’inflation normative, s’il fallait à chaque fois rectifier de simples notices.» Il n’en reste pas moins que la notice explicative d’un décret demeure un vecteur utile d’interprétation pour ceux chargés de l’appliquer : «Maintenu en l’état, ce décret va créer de l’incertitude, notamment auprès du public : certains ne vont pas comprendre que l’exemple demeure si ce n’est qu’une «erreur» ; d’autres, au contraire, ne vont pas comprendre que cet exemple ne soit pas suivi d’effet, surtout qu’il s’agit de la seule illustration donnée», poursuit le légiste, lequel souffle l’idée qu’un député ou un sénateur pose une question au ministre de la Justice pour recueillir sa position. Pour ce qui est d’éclairer le lecteur, c’est raté.

 

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