Par Cécile Bouanchaud Publié le 29 avril 2022
Des collectifs de soignants et d’usagers se sont rassemblés vendredi devant le ministère des solidarités et de la santé pour défendre l’établissement de Seine-Saint-Denis, en proie à des difficultés financières.
C’est un lieu qui résume à lui seul des années de lutte pour les droits des femmes à disposer de leur corps. La maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis) est menacée de fermeture. L’établissement, emblématique du combat pour l’avortement, pour le respect de la physiologie de l’accouchement et des choix des femmes, connaît des difficultés financières depuis plus de dix ans. Face à un déficit de plusieurs millions d’euros et au désaccord entre de potentiels repreneurs et les salariés sur la philosophie du lieu, l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France pourrait décider de ne pas renouveler son autorisation d’exercer.
Des collectifs de soignants et d’usagers se sont donné rendez-vous, vendredi 29 avril, à 17 heures, devant le ministère des solidarités et de la santé, pour sauver ce symbole, alors que la décision de l’ARS doit être rendue le 2 juin. Plusieurs scénarios sont discutés, allant de la fermeture pure et simple à une fusion avec la clinique Vauban, de Livry-Gargan, rapporte France 3. Située à quelques kilomètres de la maternité des Lilas, la clinique Vauban est propriétaire du groupe AVEC, mastodonte français des services de soins et d’accompagnement pour les familles, qui compte 245 établissements sanitaires et médico-sociaux à travers la France.
« Nous appelons à une forte mobilisation pour sauver cette maternité, symbole des droits des femmes, mais aussi indispensable dans ce département, qui compte le nombre de naissances le plus élevé en Seine-Saint-Denis », commente Corina Pallais, psychologue à la maternité des Lilas depuis vingt-sept ans, interviewée par France 3. « Usagers et soignants ne veulent ni reprise ni déménagement », prévient la représentante syndicale SUD.
« Accoucher librement »
Lancée par une ancienne patiente de la maternité, une pétition, signée par près de 35 000 personnes, « appelle l’ARS et le ministère de la santé à se saisir du dossier, renouveler les habilitations et sauver cet établissement ». Le texte résume d’abord les difficultés :
« Bâtiment non adapté, difficultés financières, pressions de l’ARS pour se conformer aux objectifs de rentabilité, abandon politique, difficultés internes aux équipes sont autant de défis auxquels ces dernières font face pour les patients. »
Pour Jeanne Barral, conservatrice de musée de 33 ans à l’origine de cette pétition, la mobilisation en faveur de la maternité constitue un « enjeu de santé publique, de féminisme et d’emploi local, car 120 emplois sont en jeu », explique-t-elle à 20 Minutes. Dans la pétition, elle rappelle également la philosophie de ce lieu : « Celui de donner naissance, ou non, et comme on le souhaite, éventuellement de façon physiologique et non médicalisée. »
A l’heure où les mouvements féministes dénoncent depuis plusieurs années les violences obstétricales et la surmédicalisation de l’accouchement, la maternité des Lilas défend « le libre choix », la possibilité d’« accoucher librement » et « l’accompagnement bienveillant » assuré principalement par des sages-femmes. Ces dernières constituent « la raison d’être » de cet établissement, rappelait en mars Corina Pallais à Libération.
A l’unisson, ses défenseurs craignent que l’identité singulière de l’établissement non lucratif soit dévoyée en cas de reprise, au profit d’objectifs de rentabilité. « Si la maternité est absorbée, les médecins seront en libéral, et non plus salariés », poursuit Corina Pallais, qui s’inquiète de ce nouveau modèle où les obstétriciens seront « payés à la tâche ».
Berceau de nombreux combats pour un meilleur accompagnement des femmes, l’histoire de la maternité est émaillée de crises financières, alors que le nombre d’accouchements y baisse, passant de 1 540 en 2015 à 1 278 en 2020, selon Libération.
Nombreux soutiens
La petite maternité de niveau 1 (ne pouvant traiter les grossesses à risques) s’est pourtant bâti une solide réputation depuis sa création. Fondée en 1964 par la comtesse de Charnières, la maternité des Lilas s’appuie sur la méthode de l’accouchement sans douleur, théorisée par l’obstétricien Fernand Lamaze, fondateur de la clinique parisienne des Bluets. Là-bas, les femmes peuvent accoucher sans péridurale, dans la position qui leur convient, avec une préparation variée, allant de la sophrologie à l’hypnose, en passant par le chant prénatal.
Son histoire est également étroitement liée à la lutte pour la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Si 1 200 naissances sont célébrées chaque année à la maternité des Lilas, l’établissement réalise également près de 900 IVG. Plus récemment, la maternité s’est illustrée en assurant l’accompagnement de la première grossesse d’un homme transgenre reconnue par l’état civil. « J’ai toujours pensé qu’il aurait fallu un statut particulier à ce lieu, c’est un véritable conservatoire de l’humanité », confie à Madmoizelle Chantal Birman, la sage-femme emblématique du documentaire d’Aude Pépin, A la vie, qui a travaillé quarante ans au sein de l’établissement.
Ce positionnement a permis à la maternité de compter sur de nombreux soutiens, dont celui de Catherine Ringer, la chanteuse des Rita Mitsouko, qui a écrit une chanson pour la maternitéen 2013, alors que l’établissement était déjà menacé de fermeture. Dès 2011, l’actrice Karin Viard racontait ses deux accouchements au sein de cette maternité. « Pour eux, la vérité, c’est la vérité de chacun », soulignait la comédienne dans une vidéo, évoquant un lieu où les soignants « n’appliquent pas des dogmes ».
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