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mardi 19 janvier 2021

Sept films qui nous font éprouver le confinement

Publié le 12 janvier 2021

Les salles de cinéma étant (toujours) fermées, voici notre sélection quotidienne de films à voir en replay, VOD ou en streaming.

Dans « Funny games » de Michaël Haneke, deux adolescents en quête de divertissement trouvent leur distraction dans la torture.

LA LISTE DE LA MATINALE

La menace d’un reconfinement plane au dessus de nos têtes épuisées. En langage cinématographique, le confinement s’appelle un huis clos et prend souvent la figure du cauchemar. En voici quelques uns, pour mieux exorciser le nôtre.

« Fenêtre sur cour » (1954) : chef d’œuvre de l’immobilité

En temps de confinement, tout le monde n’a pas la chance de posséder un appareil photo muni d’un puissant téléobjectif et de fréquenter Lisa Fremont, une fille intrépide.

Dans ces conditions, L.B. Jeffrey, un reporter cloué sur une chaise longue à la suite d’une fracture de la jambe peut, malgré son impatience, continuer de mener ses activités de fouineur professionnel. Avec le premier, il mate ses voisins et découvre que l’un d’eux est peut-être l’assassin de son épouse ; avec la seconde, il dispose d’une aide précieuse pour mener l’enquête à sa place.

Chef-d’œuvre de l’immobilité dans un décor quasi unique, Fenêtre sur cour déjoue tous les clichés du film d’action en immobilisant son héros et en inversant les attributs liés au genre. Passif (et un peu ridicule) dans son pyjama bleu, Jeffrey est contraint de déléguer à sa fiancée blonde et manucurée les situations les plus périlleuses. Cette dernière déconstruit à son tour les clichés sur les femmes soi-disant trop sophistiquées pour être téméraires. D’abord réticente et peureuse, Lisa se révèle une enquêtrice têtue et courageuse sous les yeux de son compagnon.

Voyeur et impuissant, L.B. Jeffrey nous entraîne alors dans son vice. Nous n’avons d’yeux que pour ce qu’il voit et notamment Grace Kelly, détective manipulée et faussement soumise qui conserve toutefois dans sa valisette un vaporeux déshabillé de soie. Philippe Ridet

« Fenêtre sur cour », film américain d’Alfred Hitchcock (1 h 49) avec Grace Kelly, James Stewart, Thelma Ritter, Raymond Burr. Sur CanalVOD, FimoTV.

« Le Grand Couteau » (1955) : Hollywood salement amoché

Première charge de Robert Aldrich contre Hollywood et son système véreux – avant qu’il ne récidive avec Qu’est-il arrivé à Baby Jane (1963) et Le Démon des femmes (1968) – Le Grand Couteautient entre les quatre murs d’une riche villa. Prison dorée où, durant près de deux heures, vont se tenir d’âpres négociations entre un directeur de studio, Stanley Shriner Hoff (Rod Steiger ) et l’un de ses acteurs vedettes, Charles Castle (Jack Palance).

Le premier exige du second qu’il signe un nouveau contrat de sept ans, ce à quoi celui-ci se refuse, encouragé par son épouse Marion (Ida Lupino), qui rêve d’une autre vie, loin des faux-semblants et magouilles du milieu. Mais elle ignore qu’à cause d’une sale affaire, son mari a pieds et mains liés avec son producteur. Lequel n’hésite pas à exercer son chantage.

Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Clifford Odets, Le Grand Couteau met le feu au huis clos, encrasse le luxe hollywoodien, éreinte les idéaux et les consciences. Robert Aldrich transforme la maison qui sert de cadre à son récit en ring de boxe et met en scène l’affrontement de ses personnages à la façon d’un match âpre et violent dont tout le monde sortira K.-O. Véronique Cauhapé

« Le Grand Couteau », film américain de Robert Aldrich. AvecJack Palance, Ida Lupino, Wendell Corey (1 h 51). En Blu-Ray, DVD.

« Répulsion » (1965) : Catherine Deneuve vit mal le confinement

Roman Polanski, enfant du ghetto de Varsovie, s’est depuis toujours entendu en matière de huis clos méphitique. Au point que l’auteur de Rosemary’s Baby est rapidement passé maître dans le genre. Son premier long-métrage réalisé en Pologne, Un Couteau dans l’eau (1962), sacrifie déjà au genre, dans une version criminelle et nautique à la fois.

Il en ira de même du suivant, réalisé en Angleterre où il a fui l’atmosphère étouffante du régime communiste et où il compte bien prendre son envol. Après un séjour infructueux à Paris, il coécrit le scénario de Répulsion avec Gérard Brach, mais ne trouve que Compton Films, une petite boîte londonienne de production de films érotiques qui vise à la respectabilité, pour s’engager dans l’aventure sans grands moyens. Qu’à cela ne tienne. Répulsion sera le récit halluciné d’une femme schizophrène interprété par la jeune Catherine Deneuve, dans un rôle qui annonce sa carrière bunuélienne.

Carol, manucure d’une grande beauté, mais d’une impavidité étrange, rejette les hommes et entend des voix. La situation s’exacerbe lorsque sa sœur, chez laquelle elle est hébergée, part quelques jours en vacances avec son fiancé. Poussée à bout par le comportement brutal d’hommes qui se comportent en prédateurs sexuels, elle voit son équilibre vaciller, en même temps que celui du film, qui oscille dès lors entre l’onirisme surréaliste et l’hyperréalisme hitchcockien.

Murs qui se fissurent, mains obscènes qui en sortent, lame de rasoir saignant le cochon qui est en l’homme : voici un cauchemar dont l’ombre accompagnera durablement son auteur. Jacques Mandelbaum

« Répulsion », film anglais de Roman Polanski. Avec Catherine Deneuve, Yvonne Furneaux, John Frazer (1 h 45).Sur La Cinetek et Universciné.

« L’Empire des sens » (1976) : l’enfermement d’un maître et de sa domestique

Le couple engagé sur le sentier de la passion sexuelle représente la plus puissante posture de subversion sociale qu’on puisse imaginer. Dans l’alcôve où les corps s’adonnent aux rituels du plaisir, le monde extérieur, ses grands enjeux politiques, sont renvoyés au néant et à la vanité qui les caractérisent au regard du désir.

C’est en tout cas ce renversement dans l’ordre des choses que mettait en scène Nagisa Oshima, l’enfant terrible de la « nouvelle vague » japonaise, dans le magnifique L’Empire des sens, premier film de l’auteur à lever le tabou de la représentation d’actes sexuels non simulés à l’écran, tourné clandestinement au Japon mais financé par le producteur français Anatole Dauman.

Inspiré d’un fait divers des années 1930, au sujet d’une servante ayant étranglé et émasculé son amant, le film décrit l’enfermement mutuel d’un maître et de sa domestique dans leur parade d’amour, où l’appétit dévorant de cette dernière finit par commander la relation, annule et renverse les rapports de classe (son titre original peut se traduire par « La Corrida de l’amour »).

Le monde mis à distance, c’est celui d’un Japon qui bascule dans un militarisme frénétique et morbide, dont la sexualité débridée des deux amants se coupe résolument, constitue le revers absolu. La splendeur rituelle des scènes d’amour, la progression obsessionnelle du film, la force de son nihilisme sexuel, n’ont depuis jamais été égalées. Oshima a dû en son temps en répondre devant les tribunaux de son pays, où le film n’a encore jamais été montré dans sa version originale. Mathieu Macheret

« L’Empire des sens », film français et japonais de Nagisa Oshima (1 h 51) . Avec Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji . Sur UniversCiné, LaCinetek.

« Shining » (1980) : effroi à l’Hôtel Overlook

Le onzième long-métrage de Stanley Kubrick, d’après le roman éponyme de Stephen King, est un film de maison hantée qui, à l’image du genre, investit complètement son décor, celui de l’Hotel Overlook, grande pension au passé glorieux, nichée dans les hauteurs isolées du Colorado et construite à la place d’un ancien cimetière indien.

Mais c’est aussi, comme tous les grands films fantastiques, un drame de la subjectivité dérangée : ou comment un foyer-type de la classe moyenne américaine – papa, maman et leur rejeton – est amené à se fracturer sous le poids insurmontable de la gêne financière et de la frustration.

Le séjour de la famille Torrance, engagée pour faire le gardiennage de l’établissement pendant la saison de fermeture hivernale, devient le laboratoire mental de la crise domestique, le lieu d’où l’on observe comme au microscope les ressorts de ses profonds dysfonctionnements.

A commencer par la psyché de Jack (Jack Nicholson dans une prestation hallucinée), père de famille alcoolique et violent, recuit dans ses rancœurs d’écrivain raté, et dont les démons envahissent les travées de l’hôtel, filmé par Kubrick comme un labyrinthe à grands coups de travellings hypnotisants.

Si Shining demeure aujourd’hui l’un des films les plus authentiquement effrayants de l’histoire du cinéma, c’est pour sa faculté à déceler l’origine de la violence, à en observer le mécanisme et (pessimisme oblige) à saisir ce qu’elle a d’inéluctable, dans un cadre aussi restreint, et finalement dangereux, que celui du foyer. Un film tout simplement indispensable. Ma. Mt.

« Shining », film américain et britannique de Stanley Kubrick (1 h 59). Avec Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd. Sur Netflix.

« Funny Games » (1997) : jeu de massacre et torture

Préparez-vous à être pris en otage, séquestré durant douze heures dans une maison de villégiature située au bord d’un lac, obligé d’assister à l’agonie puis au massacre d’un couple et de leur fiston âgé d’une dizaine d’années.

Le lieu est pittoresque et paisible, le voisinage, nanti et bien élevé. On y débarque dans une ambiance plutôt joyeuse, aux côtés de la petite famille qui vient d’arriver et déjà s’affaire. Ouverture des volets, déchargement des bagages et des provisions. Un rituel que l’arrivée de deux jeunes garçons impeccables et fort courtois trouble à peine. Ils sont des amis d’amis qui les ont envoyés pour demander des œufs. Rien de bien exceptionnel. Si ce n’est qu’à partir de cet instant, une série d’infinis détails enraye le récit, annonce l’horreur.

Ce qui se produit ensuite relève de la terreur pure. Les deux adolescents, en quête de divertissement, trouvent leur distraction dans la torture. Georg (Ulrich Mühe), Anna (Suzanne Lothar) sont leurs prochaines victimes qui, après une nuit de torture et d’humiliation, devront être achevées. Il n’est pas d’issue possible à ce jeu de massacre dont les coups sont portés hors-champ. Seuls les effets nous apparaissent (corps disloqués, visages défigurés), comme un doigt accusateur tendu vers le spectateur – complice de la violence dès lors qu’il la regarde. Acteur puisque voyeur.

Michaël Haneke prend chacun de nous à partie (et nous le rappelle régulièrement par des clins d’œil et des interpellations face caméra), en déréglant les conventions du genre pour mieux nous réveiller et nous tenir en alerte. V. Ca.

« Funny Games », film autrichien de Michael Haneke. Avec Susanne Lothar, Ulrich Mühe, Arno Frisch (1 h 43). Sur Orange, LaCinetek, CanalVoD, UniversCiné.

« Bug » (2006) : l’Amérique du délire paranoiaque

William Friedkin (L’Exorciste, French Connection...) découvre Bug, de Tracy Letts, sur une scène de Broadway en 2004. Voici plusieurs années déjà que la pièce, notamment interprétée par Michael Shannon, y fait un tabac. Friedkin, reprenant l’acteur dans son rôle, adapte aussitôt la pièce au cinéma. Ce sera l’un de ses meilleurs films, ce qui n’est pas peu dire.

Shannon, renversant, y joue Peter, un ex-soldat de la guerre d’Irak en proie à un délire conspirationniste et à des visions paranoïaques aigües qui lui font croire que l’armée lui aurait injecté des insectes dans le sang. Faisant incidemment la connaissance d’Agnès (Ashley Judd), une serveuse dépressive et décavée qui a perdu son fils et subit les violences d’un ex-mari taulard, Peter la séduit et l’entraîne irrésistiblement dans son univers. L’action ne tarde pas à se resserrer dans la chambre du motel isolé où réside Agnès, dans un violent crescendo d’auto-suggestion et d’auto-mutilation.

Inserts disjonctifs, coupes incisives, fragmentation du plan et des personnages, frénésie des corps et du langage : très brillante mise en scène de Friedkin qui définit l’espace réduit dont il dispose comme la projection physique d’un processus de dislocation psychique.

Sous le motif de l’infestation par des insectes invisibles, Friedkin esquisse le tableau intérieur d’une Amérique dévastée par le repli sur soi et les fausses croyances, en même temps qu’il définit l’amour comme le plus aveuglant des consentements à la folie de l’autre. J. Ma.

« Bug », film américain de William Friedkin. Avec Ashley Judd, Michael Shannon, Harry Connick Jr. (1 h 40). Sur Cinémas à la demande.

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