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dimanche 17 janvier 2021

Covid : en Ehpad, «la priorité est de rechercher le consentement»

Par Virginie Ballet, envoyée spéciale à Dijon, photos Marc Cellier — 15 janvier 2021

Mercredi aux Hortensias à Dijon, le docteur Cécile Labourdette parle avec Monique Frater,résidente octogénaire, de la campagne de vaccination contre le Covid.

Mercredi aux Hortensias à Dijon, le docteur Cécile Labourdette parle avec Monique Frater,résidente octogénaire, de la campagne de vaccination contre le Covid. Photo Marc Cellier pour Libération

A Dijon, la vaccination s’organise auprès des résidents des Hortensias. Les premières doses seront administrées d’ici à deux semaines.

Assise sur le lit face à sa patiente, le docteur Cécile Labourdette prend le bras de madame J. Installée dans son fauteuil, près de la fenêtre d’une chambre tapissée de coloriages, la nonagénaire frémit au contact des mains froides de son médecin, qui s’en excuse. En ce pluvieux matin d’hiver, la praticienne boucle ses consultations pour recueillir le consentement à la vaccination des résidents de l’Ehpad les Hortensias. Les visites se font dans le décor intimiste et rassurant de leurs chambres.

Dans cet établissement privé à but non lucratif de Dijon, qui accueille 86 pensionnaires, la campagne débutera le 27 janvier. D’ici là, la structure doit déterminer avec précision le nombre de doses nécessaires à la vaccination des premiers résidents et membres du personnel éligibles, pour le communiquer à l’agence régionale de santé. Et ainsi organiser la livraison par la pharmacie référente, située à une dizaine de kilomètres de là.

Sauf qu’avant de pouvoir parler vaccins avec madame J., 94 ans, il faut d’abord mettre la main sur ses appareils auditifs. Après cinq bonnes minutes de fouille, et un coup de fil à l’aide-soignante, «ses oreilles» sont finalement retrouvées dans le placard. Même si elle sait que sa patiente souffre de troubles cognitifs, et qu’elle devra probablement consulter sa personne de confiance, le docteur Cécile Labourdette prend le temps de lui expliquer simplement les enjeux et le calendrier de la campagne à venir, toujours les yeux dans les yeux. Quitte à devoir rembobiner un peu, en rappelant qu’un virus circule activement en France et dans le monde. «Ah bon ?s’étonne madame J., qui enchaîne : Moi je suis d’accord, d’accord pour tout.» La médecin poursuit : «On va poser la question à votre fille, d’accord ?» Des allergies à signaler ? «Je ne sais pas», répond la vieille dame, qui ne sait pas non plus très bien quel jour on est.

Après avoir vérifié sa tension, son cœur et ses poumons, et s’être enquis de la qualité de son sommeil, la médecin lui explique qu’un infirmier va passer prendre sa température : ces temps-ci, elle est un peu enrhumée. La praticienne quitte la chambre gratifiée d’un compliment sur ses «beaux cheveux», mais surtout avec la certitude que madame J. ne peut donner un consentement éclairé. «Est-elle vraiment d’accord, ou est-ce qu’elle dit ça pour me faire plaisir ?» appuie la médecin. De retour à son bureau, elle appelle la fille de madame J., désignée comme personne de confiance à son arrivée aux Hortensias. D’emblée, elle la rassure : tout va bien. Un œil sur le dossier médical de sa patiente, elle peut alors dérouler : pas d’allergie, pas de contre-indication particulière pour elle.«A son âge, avec de l’hypertension et vivant en collectivité, elle pourrait développer une forme grave du virus», poursuit la médecin. Au bout du fil, il ne faut que quelques minutes à son interlocutrice pour donner son accord, inscrit dans le dossier médical de la résidente, conformément aux directives gouvernementales.

«Attendre son tour»

Ici, on n’a pas attendu de connaître la date exacte des vaccinations pour informer résidents et familles et anticiper le recueil des consentements, entamé dès la fin décembre. Ce sont les deux praticiennes salariées de la structure et la dizaine de médecins traitants extérieurs qui s’en chargent, chacun auprès de patients qu’il connaît bien. «La priorité, c’est de rechercher le consentement du résident», synthétise le docteur Imad Sfeir, directeur médical de la Mutualité française bourguignonne, qui chapeaute 18 Ehpad dans la région, dont les Hortensias. Le cas échéant, contact est pris avec son représentant légal s’il en a un (dans le cadre d’une tutelle, par exemple), ou avec sa personne de confiance. Si aucune n’a été désignée, c’est la famille qui sera consultée. Elle peut parfois l’être à la demande d’un résident hésitant qui en ressentirait le besoin. «Les cas de conflits ou de difficultés sont très rares. Mais si ça arrive, on tente de parvenir à un consensus en réunissant le médecin et la famille», détaille le docteur Sfeir. De toute façon, parmi les résidents des Hortensias, l’atmosphère est plutôt favorable, parfois jusqu’à l’impatience. A ce stade, sur les 14 patients du docteur Labourdette déjà consultés, un seul refus a été exprimé. Le signe d’un rapport peu défiant aux vaccins chez une génération qui a connu «de grosses épidémies, comme la variole ou la polio», analyse la médecin.

Les Hortensias accueillent 86 pensionnaires, souvent nonagénaires.Photo Marc Cellier pour Libération

Chignon bien noué et sandales roses, Monique Frater sait qu’elle devra «attendre son tour» avant de pouvoir bénéficier du vaccin, ayant récemment été atteinte par le virus. De toute manière, comparée aux presque centenaires de son étage, l’octogénaire fait figure de jeunette. Pour elle, ce ne sera sans doute pas avant mars. Pourtant, Monique a d’ores et déjà donné son consentement au docteur Labourdette, pour en bénéficier dès que possible. Ensemble, elles ont évoqué les deux piqûres à trois semaines d’intervalle du sérum Pfizer-BioNTech et les possibles effets secondaires. «Ce vaccin, je ne lui donne pas plus d’importance qu’à celui contre la grippe, que je fais tous les ans, même s’il me donne des petites douleurs et des courbatures», tranche Monique. Parfois, la résidente se demande si la vaccination ne devrait pas être rendue obligatoire «pour sortir de ce virus», tant la situation sanitaire lui pèse.

«C’est dur»

Cet après-midi-là, elle laisse tourner le téléviseur dans sa chambre, le volume poussé, pour «avoir un bruit de fond». Ni les mots croisés, qu’elle pratique assidûment, ni les contacts par SMS ou par Skype avec ses proches, dont les photos égaient les murs, ne suffisent à adoucir le quotidien. «Il arrive un âge où on n’a pas envie de vivre comme ça», souffle Monique. Pour beaucoup ici, se dessine désormais l’espoir de laisser loin derrière des mois difficiles.

«Etre confinés en chambre ou privés de certaines activités a été dur. Un an de vie pour vous et moi, ça ne semble pas grand-chose, mais à 90 ans…» appuie Jean-Baptiste Bouveret, la trentaine, directeur de la structure. Alors quand il passe dans les couloirs colorés de son établissement, il ne manque jamais de se faire alpaguer. Principale préoccupation : la reprise des repas en commun. C’est d’ailleurs là-dessus que l’interpelle Yvette Bouilly, 91 ans, qui patiente avant son rendez-vous chez la coiffeuse. «D’habitude, on est une bonne tablée de trois ou quatre… J’espère qu’on va vite se retrouver», plaide-t-elle. D’autant qu’Yvette a passé deux semaines confinée dans sa chambre, après avoir été testée positive en décembre. Epargné pendant la première vague, l’Ehpad n’a vu apparaître les premiers cas qu’en novembre, lors des campagnes de dépistage hebdomadaires. Ces deux dernières semaines, plus aucun cas positif n’est à déplorer. Mais l’arrivée du Covid entre les murs a été un choc pour certains résidents, comme Yvette. «Quand on m’a donné le résultat, j’étais mal… Heureusement, j’étais sans symptômes, ça m’a rassurée, mais j’ai quand même dû renoncer à aller voir les illuminations de Noël en ville. J’ai connu la guerre, l’exode, les restrictions… Alors finir avec ce virus, c’est dur», déplore-t-elle.

Bulle

Pour se faire vacciner, Yvette devra attendre trois mois. Et même si la nouveauté du vaccin l’inquiète un peu, elle y voit une opportunité d’être «plus protégée», et de pouvoir de nouveau sortir sans s’inquiéter. Au centre commercial voisin, par exemple, «où il y a toujours du monde. En plus, il faut prendre le tram, ça fait beaucoup de microbes», observe-t-elle, en guettant si c’est bientôt son tour de faire chouchouter sa chevelure courte frisée par la coiffeuse. De l’autre côté de la vitre, dans son petit salon orangé, Johana Desclerc reçoit ses clients un par un, gestes barrières obligent. Elle s’astreint surtout à une règle d’or : faire de ce lieu une bulle, où sont proscrites les conversations anxiogènes. Pas question d’y parler vaccin : «Je ne voudrais pas non plus influencer leur choix». Le temps de laisser poser sa coloration, Janine Treille cède sa place au salon. Serviette sur la tête, emmitouflée dans le peignoir de coiffure, sa silhouette frêle évoque celle d’une religieuse. «On dirait une sœur !» la charrie Yvette. Janine n’en a cure : même à 98 ans, pas question d’avoir les cheveux gris, elle tient à son châtain clair. Elle aussi a été testée positive, juste avant les fêtes. Perte du goût, de l’odorat, et surtout, «une grande grande fatigue, comme je n’en ai jamais connue», se souvient-elle. Sa décision de se faire vacciner dès que possible, elle l’a mûrie seule. «Mais dans ma famille, on est tous partisans de la vaccination. Pas un ne doute, parce que c’est sérieux», développe-t-elle. Seule condition, que l’injection ne se fasse pas dans l’épaule : «J’y ai la peau tellement fragile que je ne supporte rien.»

Elle dit «en avoir marre» de ce virus, mais pas tant pour elle que pour les jeunes générations. «On n’en souffre pas tellement ici, c’est un peu comme un cocon. On ne se rend pas compte de toute la misère qu’il peut y avoir à l’extérieur. Rien que ce couvre-feu à 18 heures, ça doit gêner des quantités de famille», observe Janine. Elle aime à se remémorer les temps heureux passés dans la petite ville thermale haut-saônoise où elle a passé sa vie, loin des «soucis qu’on a maintenant». Cet idéal de sérénité, si ce n’est d’insouciance, est peut-être ce qu’il y a de plus contagieux ces jours-ci, aux Hortensias.


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