Par Florence Rosier Publié le 19 janvier 2021
En moyenne, le génome des jumeaux monozygotes diverge par cinq mutations très précoces, qui peuvent être transmises à leurs descendants, montre une étude dans « Nature Genetics ».
Les « vrais jumeaux », des doubles parfaits ? Pas tout à fait, confirme, chiffres à l’appui, une étude publiée le 7 janvier dans la revue Nature Genetics. Ces « clones naturels », à la ressemblance si troublante qu’on les confond souvent, sont issus de la fécondation d’un seul et même ovule par un seul et même spermatozoïde – comme tout enfant. Sauf qu’ensuite, au moment du développement des cellules embryonnaires, celles-ci vont se scinder pour permettre le développement de deux embryons : les futurs jumeaux. On les dit « monozygotes » (issus d’un même œuf). A priori, ils partagent donc un même génome : celui de l’embryon initial, avant sa division.
Mais il faut nuancer, comme le montre cette étude islandaise dirigée par Kari Stefansson, de l’université de Reykjavik. Pionnier dans l’utilisation de la génétique à l’échelle de la population pour comprendre les variations de séquence du génome humain, il est aussi le fondateur et PDG de la société biopharmaceutique deCODE genetics.
Les auteurs ont déchiffré (« séquencé ») l’ensemble du génome de 381 paires de vrais jumeaux, ainsi que de deux trios de triplés monozygotes. Ils ont analysé trois types de tissus (sang, tissu adipeux, cellules de l’épithélium buccal). Résultats : sur ces trois tissus, ils ont trouvé un total de 23 653 mutations spécifiques à un seul des jumeaux. Soit une médiane de 14 mutations distinguant les jumeaux d’une même paire : autrement dit, la moitié des paires de jumeaux portaient plus de 14 mutations les distinguant, et la moitié en portaient moins. Ce nombre de mutations était très disparate : par exemple, une trentaine de paires de jumeaux montraient plus de 100 mutations les distinguant et une trentaine aucune. En moyenne, par ailleurs, 5,2 mutations sont survenues très précocement lors de l’embryogenèse.
Mutation après la scission
On connaissait déjà l’existence de rares mutations distinguant des jumeaux monozygotes. « Mais c’est la première fois qu’une étude dénombre ces mutations sur un aussi vaste échantillon », salue Jorg Tost, chercheur au Centre national de recherche en génomique humaine (CEA, Evry).
Pourquoi ces mutations ? Si un seul des (vrais) jumeaux est touché, c’est que la mutation n’a pas été héritée de ses parents. C’est donc qu’elle est nouvellement apparue chez l’embryon – on parle de « mutation de novo ». C’est aussi qu’elle est survenue après la scission de l’embryon initial, chez un seul des deux embryons.
Pour 181 paires de vrais jumeaux, les auteurs ont également séquencé le génome de leur partenaire et de leurs enfants. Avec l’idée suivante : si la mutation est retrouvée chez un enfant, c’est qu’elle est survenue très tôt et peut être considérée comme une mutation « germinale » ou « constitutionnelle » – par contraste avec celles qui se produisent plus tard et ne touchent que certains tissus (mutations « somatiques »). Résultat : chez environ 15 % de ces paires gémellaires, l’un des jumeaux a transmis à ses descendants des mutations qui lui sont propres (non partagées avec son double).
Certes, il faut relativiser le nombre de ces mutations qui distinguent les vrais jumeaux. Par comparaison, « deux individus pris au hasard se distingueraient par environ 3 millions de variations génomiques », relève Jorg Tost. Pour autant, elles existent bel et bien. Quel pourrait être l’impact de leur découverte ? Les vrais jumeaux, ces miracles de la nature, offrent de précieux modèles en génétique humaine. L’objectif est alors de démêler la part des facteurs génétiques et environnementaux dans l’expression d’un caractère – ou d’une maladie. Dans ce but, on a beaucoup comparé les taux de « concordance » d’un caractère donné entre vrais et faux jumeaux. Par exemple, si l’un des jumeaux est atteint d’une maladie et l’autre aussi, ils sont dits « concordants » pour cette maladie. On part d’un constat : les vrais jumeaux ont le même capital génétique, tandis que les faux n’en partagent qu’une moitié. Vrais et faux jumeaux, par ailleurs, sont censés avoir la même proximité environnementale – un postulat discutable.
Des modèles remis en cause
Ces modèles ont rencontré un vif succès : en 2012, on recensait 18 grandes cohortes de jumeaux à travers le monde, regroupant 720 730 paires gémellaires. Maladies métaboliques, affections neuropsychiatriques, cancers, aptitudes cognitives… ont ainsi été passés au crible de ces modèles. Un exemple : pour les troubles autistiques, la concordance mesurée était de 90 % chez les vrais jumeaux, contre 50 % chez les faux jumeaux. Avec un tel écart, difficile de dire que les gènes n’ont rien à voir avec l’autisme.
Mais les interprétations de ces comparaisons sont limitées, relève Françoise Clerget, directrice de recherche émérite Inserm à l’institut Imagine (hôpital Necker, Paris). « La notion d’héritabilité n’a de sens que lorsque la variabilité de l’environnement peut être contrôlée. Elle est très utile en génétique animale et végétale. Mais l’espèce humaine est soumise à des environnements très hétérogènes », indiquait la généticienne en 2014 dans Le Monde. Ces modèles sont aujourd’hui remis en cause. Très simplifiés, ils ont conduit à majorer l’importance de la part génétique. La plupart, en effet, se fondaient sur « trois hypothèses peu réalistes : une absence d’interactions entre les gènes et l’environnement, une indépendance entre les facteurs génétiques et environnementaux, un effet additif des actions des gènes concernés », résume Françoise Clerget.
Les discordances entre jumeaux monozygotes, pour certains traits ou certaines maladies, ont été beaucoup moins exploitées. Comme on partait de l’hypothèse que ces jumeaux ont un génome identique, on expliquait généralement ces discordances par des différences dans les facteurs d’environnement ou par des effets épigénétiques. Mais « l’étude des différences génomiques entre vrais jumeaux, et du moment de leur apparition, peut parfois remettre en cause ces interprétations », estime la généticienne.
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