L’ONG Mensen a mis en place un label pour permettre aux femmes de mieux vivre leurs périodes de menstruation sur leur lieu de travail.
Il y a celles pour qui les règles passent comme une lettre à la poste. Celles qui souffrent de syndromes prémenstruels. Celles encore qui saignent abondamment, mais font bonne figure, parce que « qui ne souffre pas ? ». Celles, enfin, qui n’ont d’autre choix que de se mettre en arrêt maladie, un ou deux jours tous les mois. Toutes ont un point commun : aucune, à quelques rares exceptions, n’aurait l’idée d’aller demander à son patron une adaptation de son temps de travail ou juste un distributeur de serviettes et de tampons dans les toilettes.
Quand il y pense, Patrik Arnesson, PDG de la start-up Forza Football, basée à Göteborg, en Suède, a presque honte. « Ne pas mettre de protections hygiéniques dans les W.-C., c’est un peu comme s’il n’y avait pas de papier. » Depuis quelques mois, tous ceux de sa compagnie, créatrice d’une application consacrée au football, en sont équipés.
Fin septembre, la société, qui compte une soixantaine de salariés, dont deux tiers sont des hommes, a été la première en Suède à obtenir une « certification menstruelle d’entreprise ». Le label lui a été décerné par l’association Mensen (« menstruation », en suédois), une ONG qui lutte contre les tabous autour des règles. Elle a obtenu un peu plus de 300 000 couronnes (28 000 euros) de l’Agence nationale de l’égalité pour développer ce certificat.
Un tabou au royaume de l’égalité des sexes
Petit rire gêné, Patrik Arnesson concède qu’il n’avait sans doute pas prononcé le mot « règles », depuis le collège. Et pourquoi donc l’aurait-il fait ? Même en Suède, royaume de l’égalité des sexes, « le tabou persiste », assure Klara Rydström, la directrice du projet chez Mensen. Pourtant, selon une enquête réalisée par l’association sur Internet, 57 % des femmes – sur les 800 qui ont répondu – estiment que leur cycle menstruel affecte leur travail et 42 % souhaitent que leur emploi du temps soit aménagé en conséquence.
Que Forza Football soit la première entreprise labellisée tient du hasard : une salariée de la start-up était en contact avec Mensen et a proposé que sa société soit cobaye pour ce projet pilote. Patrik Arnesson n’a pas hésité : « Nous travaillons beaucoup pour améliorer l’égalité entre les sexes. Cela allait dans le même sens. »
La certification a débuté par un état des lieux de l’entreprise et par une longue interview de ses dirigeants. Tous les employés ont dû répondre à un questionnaire, avant de suivre une formation : cinq heures, réparties sur deux jours, couvrant les représentations culturelles et historiques des règles, la biologie et les différentes pathologies.
« Ce sont des sujets qui, a priori, ont été vus en classe, mais souvent trop vite ou de façon incomplète », note Klara Rydström, qui précise que les hommes ne sont pas les seuls à accumuler les lacunes. « Pour beaucoup de femmes, c’est normal d’avoir des douleurs chaque mois. Dans le meilleur des cas, elles restent chez elles. Dans le pire, elles vont travailler. Très peu, en fait, vont consulter ou savent qu’il existe des traitements. »
Les demandes de certification affluent
L’objectif est donc d’abord d’élever le niveau de connaissance sur le sujet. Il est aussi possible d’introduire des changements dans le monde du travail. Ceux-ci peuvent être matériels, comme l’installation de distributeurs de protections hygiéniques, l’aménagement d’une pièce de repos ou l’adaptation du temps de travail, pour faciliter les passages aux toilettes ou permettre, quand c’est possible, de travailler à la maison.
Les besoins varient d’une société à l’autre, note Klara Rydström. Un point, cependant, ne varie pas : « À l’issue du processus de certification, les femmes doivent pouvoir se sentir suffisamment à l’aise pour se confier à leur chef ou à leurs collègues sur ce sujet. » Développeuse Web chez Forza Football, Caroline Kabat assure que ce n’est plus un problème : « Si je souffre d’un syndrome prémenstruel, que je n’arrive pas à me concentrer, je peux le dire et rentrer chez moi sans que personne ne trouve cela bizarre. » Âgée de 30 ans, elle juge cela « moderne ».
Pourtant, quand le projet a été annoncé, à l’automne 2018, il a suscité une vive polémique dans les médias du pays. Plusieurs éditorialistes de droite ont dénoncé le gaspillage de l’argent public, ridiculisant « l’obsession menstruelle » des féministes. Patrik Arnesson a dû lui aussi essuyer les moqueries de clients. « Mais il a suffi que j’explique notre démarche pour qu’ils changent d’avis et commencent à réfléchir à ce qu’ils pouvaient faire dans leurs entreprises. » Ces derniers mois, Mensen croule d’ailleurs sous les demandes de certification.
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