A l’hôpital Sainte-Anne (XIVe arrondissement de Paris), le 6 septembre.
Photo Cyril Zannettacci. Vu
Après huit mois de grève et trois plans jugés insuffisants, médecins, personnels soignants et cadres hospitaliers vont marcher côte à côte ce jeudi, lors d’une mobilisation aux pourtours inédits. Son ampleur devrait déterminer la réponse du gouvernement.
C’est un événement rarissime. Ce jeudi, l’hôpital public est en grève. La journée de mobilisation nationale devrait prendre des allures de «santé morte», à Paris mais aussi dans une dizaine d’autres villes, avec en vitrine le départ - à partir de 14 heures devant la maternité parisienne de Port-Royal - d’une manifestation inhabituellement œcuménique. A l’appel du collectif Inter-Urgences, à l’origine depuis huit mois d’une grève dans près de 300 services d’urgences en France, et du collectif Inter-Hôpitaux, médecins, personnels soignants et cadres hospitaliers vont défiler côte à côte, soutenus par l’ensemble des syndicats mais aussi par les partis de gauche, pour tenter de sauver un hôpital public très mal en point. Même la conférence des doyens, qui regroupe toutes les universités de médecine, a appelé à ne pas faire cours de manière à libérer les étudiants…
C’est que l’hôpital est au bord de l’implosion. «Depuis dix ans, il a été la variable d’ajustement de la dépense publique, s’indigne Yasmina Kettal, infirmière et coordinatrice du collectif Inter-Urgences. Ce n’est plus possible, nous sommes à un point de rupture.» Aux fermetures de lits par trop systématiques, à la taylorisation des soins, mais aussi aux rémunérations en berne, s’ajoute désormais un climat interne lourd. L’épuisement des personnels soignants comme des médecins a entraîné une hémorragie vers le privé des professionnels de santé, lassés d’être maltraités et exclus des politiques médicales. De quoi enclencher une «spirale de la lose» : des «centaines de postes sont budgétisés et non pourvus», ont alerté mercredi 70 directeurs médicaux de l’Assistance publique, ce qui entraîne «des centaines de lits d’hospitalisation et des dizaines de salles d’opération fermés».
Nouvelle dégradation
Face à cette situation, le gouvernement écope en vain. Depuis juin, trois plans ont été annoncés qui, faute de temps et de moyens financiers suffisants, ont tous échoué à endiguer la colère. Le quatrième est dans les tuyaux, la tension ayant atteint un paroxysme mi-octobre après la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. En cause : la faiblesse de la progression de l’objectif national de dépense d’assurance maladie (Ondam) hospitalier décidé par le gouvernement. Limitée à 2,1 %, la hausse du budget de l’hôpital est inférieure de moitié à la dynamique naturelle des dépenses de santé (+4,5 %) induite par le vieillissement de la population et la multiplication des maladies chroniques. Une annonce vécue par les hospitaliers comme le prélude à une nouvelle dégradation des conditions de soin… «L’important, c’est d’avoir une vision», s’est défendue Agnès Buzyn, convaincue que son plan «Ma Santé 2022» voté cet été et qui a pour ambition de réorganiser la médecine de ville pour alléger la tâche de l’hôpital finira par porter ses fruits.
Le hic, c’est que l’hôpital estime ne plus pouvoir attendre. De l’avis général, une injection immédiate d’argent frais s’impose pour éviter le naufrage. «Nous estimons à 3,8 milliards d’euros le surcroît de crédits nouveaux qu’il faut débloquer pour satisfaire nos revendications, insiste Yasmina Kettal. Cela suppose de porter à 4 % la hausse de l’Ondam pour 2020». Inenvisageable pour Matignon. «A elle seule, la prime de 300 euros pour tous les personnels soignants que réclament les collectifs coûterait 3 milliards d’euros, indique-t-on de source gouvernementale. Budgétairement, c’est hors de portée.»
Gestes et réformes
Pour le tandem exécutif, difficile pourtant d’en rester à cette fin de non-recevoir. Alors que le climat social se durcit autour de la question des retraites, il lui faut d’urgence éviter que les blouses blanches ne prennent le relais des gilets jaunes. Aiguillonné par l’Elysée, Matignon a donc sommé les ministres de la Santé et du Budget de préparer une sortie de crise suffisamment crédible pour apaiser le gros des troupes hospitalières. Mais sans faire flamber l’addition. Du coup, c’est sur un plan multiforme, mêlant à la fois gestes immédiats (investissement dans le petit matériel hospitalier par exemple), et réforme plus structurelle (sur la gouvernance des hôpitaux, l’attractivité des carrières ou la mise en place de mécanismes d’intéressements collectifs) que travaille le gouvernement. Avec un leitmotiv clair : rassurer les soignants sur l’intérêt que portent les pouvoirs publics à la préservation de l’hôpital. L’idée de donner aux établissements de santé une visibilité sur leurs ressources jusqu’en 2022 (en garantissant par exemple des tarifs planchers sur les actes de soin) fait son chemin.
Reste une inconnue de taille : la revalorisation de l’Ondam, que l’exécutif est prêt à consentir dès 2020 pour éteindre la colère. A Matignon, on espère s’en sortir avec une hausse de 0,1% par rapport à ce qui est prévu, ce qui limiterait l’effort à 200 millions d’euros. «C’est totalement inaudible», prévient un député LREM. En suspens à l’Elysée, cet arbitrage-là devrait attendre que l’ampleur de la mobilisation des hospitaliers soit connue.
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