PAR
ANNE BAYLE-INIGUEZ
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PUBLIÉ LE 15/11/2019
Crédit photo : S. Toubon
Le Pr Noël Garabédian exulte. 15 jours avant son départ à la retraite de la présidence de la commission médicale d'établissement (CME) de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le chirurgien ORL s'offre une sortie « en fanfare », se marre-t-il. Des milliers de soignants ont envahi ce jeudi 14 novembre les rues de Paris à l'appel du collectif inter-hôpitaux (CIH) qui a réuni ses troupes en fin d'après-midi dans deux amphithéâtres de la fac de la Pitié-Salpêtrière. À la tribune, devant plusieurs centaines de médecins, paramédicaux et cadres, le médecin de Necker, expérimenté « mais pas encore à l'EHPAD » évoque, ému, un mouvement « qui lui rappelle mai 1968 ». « Bravo ! Vous êtes formidables ! Maintenant, il faut y aller, il faut continuer le combat ! »
Fierté
À l'ordre du jour de cette seconde assemblée générale (AG) nationale : le vote de deux motions portant sur les revendications du collectif et les nouvelles propositions d'action.
Le contexte a changé. Entre le 10 octobre, date de la première AG et ce nouveau rassemblement, les hospitaliers ont sorti l'Élysée de son silence. Emmanuel Macron, en déplacement à Épernay, a promis jeudi des « décisions fortes, un plan conséquent » dont l'annonce interviendra mercredi prochain 20 novembre. « Je suis émue, fière et heureuse de cette victoire. L'exécutif, au-dessus d'Agnès Buzyn, a enfin pris la parole. Notre objectif, c'est Macron, c'est Philippe, c'est ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Notre objectif, c'est de les faire plier ! », lance sous les vivats Yasmina Kettal, infirmière et figure de proue du collectif inter-urgences, à l'origine d'une grève qui dure depuis huit mois dans certains services.
« Vous tuez le mouvement »
Pendant une heure, des représentants du Havre, de La Rochelle, de Bordeaux, d'Annecy prennent la parole sous un tonnerre d'applaudissements. L'ambiance est électrique, les hospitaliers, boostés par l'adrénaline, sont heureux de la démonstration de force et du succès de la manifestation.
Puis vient le temps plus délicat de voter les motions. La priorité est de définir une nouvelle journée d'action. À la barre du CIH, le Dr Anne Gervais, vice-présidente de la CME de l'AP-HP, propose d'« organiser des manifestations massives unitaires » sur tout le territoire le 12, 13 ou 14 décembre. La tension monte d'un cran immédiatement. Car sur les bancs de l'amphi, la date du 5 décembre, jour de la grande grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites, court de lèvres en lèvres. On évoque la « convergence des luttes », la « force de la masse », « l'unité » avec les cheminots et les salariés de la RATP, « qui ont les mêmes revendications que les hospitaliers ». « La grève, ça se fait avec les syndicats, l'hôpital doit être présent le 5 décembre ! », jette un participant, franchement applaudi.
À la tribune, les membres du collectif inter-hôpitaux essayent de reprendre la main et d'imposer une date de manifestation dédiée à « 100 % à l'hôpital public ». Les pompiers sont appelés en renfort. Très appréciée, Marie Citrini, représentante des usagers au conseil de surveillance de l’AP-HP, tente d'apaiser la salle : « Il faut faire la distinction entre l'hôpital public et le reste. Chacun doit avoir sa part de responsabilité. Tout le monde peut faire grève le 5 décembre, mais à titre personnel. »
Le Pr André Grimaldi, vieux sage de l'AP-HP, monte au créneau : « Les retraites, ça nous concerne, mais ici, c'est le collectif inter-hôpitaux. Je vous le dis : cette assemblée se clivera immédiatement si on manifeste pour la RATP. Le CIH n'a ni la fonction, ni la légitimité, ni les compétences pour négocier cette réforme le 5 décembre. Le CIH n'appellera pas à manifester ce jour-là ! » Le regard triste, le Pr Antoine Pelissolo, autre représentant du CIH, jette à la salle : « Vous tuez le mouvement. »
« Pourquoi c'est elle qui fait le décompte ? »
Les minutes passent et l'amertume remplace l'allégresse. La faculté doit fermer les portes de l'amphi à 20 heures, horaire largement dépassé. Pressée par le temps, le Dr Anne Gervais prend un risque et propose le 5 décembre au vote de la salle. « Il y a 75 voix pour », compte-t-elle. « 112 ! », lui répond un soignant furieux dans la salle. « Mais pourquoi c'est elle qui fait le décompte ? », s'indigne une soignante syndiquée CGT. « Il y a 103 voix contre », clos le Dr Gervais.
La grogne s'empare de l'amphi. Les pro-5 décembre quittent les lieux. Dans les dernières minutes de l'AG, le collectif fait voter à l'arraché le samedi 30 novembre comme prochaine date de manifestation à Paris. Hausse de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) à 4 %, augmentation de 300 euros net mensuels pour tous les personnels non médicaux, arrêts des fermetures de lits : les trois revendications principales du CIH sont maintenues, dans l'attente des annonces de l'exécutif mercredi prochain.
Mais les hospitaliers le savent : davantage que le gouvernement, c'est le vent de discorde qui a soufflé ce jeudi sur l'amphi qui se révèle désormais leur pire ennemi.
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