Le laboratoire psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant de l’université Paris-Descartes lance en septembre un diplôme universitaire de neuroéducation. Entretien croisé avec Grégoire Borst, directeur de la structure, Arnaud Cachia, professeur de neurosciences, et Marion Petipré, directrice du service AGIR.
Comment le stress, le sommeil ou l’alimentation influencent-ils les apprentissages scolaires ? Quels sont les processus cognitifs qui sous-tendent la mémorisation d’une notion ou l’acquisition d’une compétence en lecture ? Comment construire des activités pédagogiques en prenant en compte les connaissances scientifiques en neurosciences et en psychologie du développement ?
Ces questions seront abordées à partir du mois de septembre dans le cadre du diplôme universitaire neuroéducation lancé par le laboratoire psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDE) et le dispositif AGIR de l’université Paris-Descartes.
La création de cette formation destinée aux enseignants, formateurs et personnels d’encadrement du ministère de l’éducation nationale n’a rien d’anodin alors que l’apport des neurosciences est défendu par la Rue de Grenelle depuis le début du quinquennat. Explications avec Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et directeur du LaPsyDE, Arnaud Cachia, professeur de neurosciences, et Marion Petipré, directrice du service AGIR.
A quoi répond la création de ce diplôme universitaire (DU) en neuroéducation ? A qui s’adresse-t-il ?
Arnaud Cachia : L’objectif de ce DU est de mettre les travaux de recherche en psychologie et en neurosciences des apprentissages au service des enseignants, formateurs, conseillers pédagogiques, psychologues, inspecteurs de l’éducation nationale et de façon générale à l’ensemble du monde de l’éducation. Nous souhaiterions que ces profils variés, sensibilisés aux neurosciences, essaiment ensuite au sein de l’éducation nationale à leurs différents niveaux.
De fait, il existe aujourd’hui des technologies d’imagerie cérébrale qui nous permettent de regarder et de mesurer de manière non invasive l’activité cérébrale qui sous-tend les processus cognitifs et socio-émotionnels. Nous pouvons alors dire dans quelle mesure une approche pédagogique est en adéquation, ou pas, avec les grandes lois d’apprentissage du cerveau.
Depuis 2017, Jean-Michel Blanquer n’a pas caché sa volonté de s’appuyer sur les neurosciences pour améliorer les pratiques enseignantes et les apprentissages des élèves. La création de ce DU s’inscrit-elle dans le même mouvement ? Y répond-elle ?
Marion Petipré : Cette formation est lancée cette année car elle est le fruit d’une rencontre en juin 2018 entre les travaux de recherche du laboratoire et le savoir-faire du service accompagnement à la gestion de l’innovation pour la réussite des étudiants (AGIR) de Paris-Descartes en termes d’innovation pédagogique et de formation à distance.
Grégoire Borst : Nous souhaitons répondre à un besoin exprimé par le terrain. Il arrive que certains enseignants soient perdus avec ce qu’ils entendent au sujet des neurosciences. Ils sont parfois sceptiques face à cette illusion visant à dire qu’il est possible d’effectuer un transfert direct entre les activations observées dans le cerveau et les pratiques pédagogiques capables d’aider les élèves à apprendre… comme s’il existait un seul remède, une seule approche. Selon nous, les neurosciences permettent de compléter la boîte à outils pédagogique des enseignants au même titre que d’autres approches disciplinaires.
Comment s’organise la formation ?
GB : L’enjeu est de donner suffisamment de compétences et de connaissances en neurosciences aux enseignants pour leur permettre, au moment où ils construisent leur pédagogie, de prendre en compte, s’ils le souhaitent, ce qu’ils comprennent de la mémoire humaine, des problématiques d’attention, etc. L’idée est donc de leur transmettre des connaissances-clés en psychologie et en neurosciences sur le fonctionnement et le développement du cerveau.
AC : Un premier module de 60 heures (dont 21 à distance) permet de revenir sur les mythes en neurosciences, puis d’aborder les questions de plasticité cérébrale et des facteurs qui influencent les apprentissages (stress, sommeil, alimentation). Avant d’expliciter les processus cognitifs généraux (mémoire, attention, raisonnement) et spécifiques (lecture, calcul) liés aux apprentissages scolaires tout en précisant le rôle des facteurs socio-émotionnels de l’élève.
Le deuxième module de 52 heures (dont 6 à distance) permet ensuite de développer des compétences pratiques et de comprendre comment on construit une activité pédagogique à partir de ces connaissances scientifiques : comment met-on en place une nouvelle pédagogie et comment l’évalue-t-on ? Quelle place pour le numérique ?
Dans une institution où la formation à la pédagogie n’est pas toujours allée de soi, la maîtrise d’une discipline étant prépondérante, comment intéresser les enseignants aux neurosciences ?
GB : Le premier degré a toujours questionné les approches pédagogiques car enseigner une autre discipline que la sienne n’est pas chose aisée, alors que le second degré est historiquement fait de cultures disciplinaires plus fortes. Les enseignants du secondaire ont pu aussi, parfois, avoir l’impression que l’apport des neurosciences ne concernait que leurs collègues du primaire… Les mentalités ont aujourd’hui heureusement évolué.
Si on veut transformer en profondeur la pratique pédagogique des enseignants, il faut arriver à créer un dialogue horizontal entre les communautés enseignante et scientifique, éviter de retomber dans une approche trop verticale qui n’est pas adaptée aux enjeux de l’éducation.
La neuroéducation peut les intéresser, à tous les niveaux, si on prend comme point de départ les situations scolaires qu’ils rencontrent au quotidien : pourquoi vos élèves ont-ils du mal à comparer des nombres rationnels ? A mémoriser tel ou tel concept ? C’est d’ailleurs dans cet aller-retour entre laboratoire et école que nous menons nos recherches.
C’est-à-dire ? Comment s’organisent ces échanges entre la classe et le laboratoire ?
GB : Si nous nous intéressons à l’apprentissage du français ou des mathématiques, nous allons toujours d’abord parler avec les enseignants pour savoir quelles sont les erreurs systématiques chez leurs élèves, et dans quel contexte elles apparaissent, pour revenir ensuite au laboratoire afin de comprendre quels sont les processus qui viennent bloquer ces apprentissages. Ce sont souvent des automatismes que les élèves ont créés durant leur scolarité et qui les empêchent de s’adapter au nouveau contexte, ou à la nouvelle formulation, de l’exercice à faire.
Nous testons ensuite au laboratoire différentes méthodes pédagogiques pour y répondre, et notamment des approches métacognitives – afin d’apprendre à l’enfant à prendre conscience de ses automatismes et à les contrôler. Puis nous retournons sur le terrain pour vérifier dans quelles mesures ce qu’on a observé en laboratoire est valable en classe. Parfois les enseignants nous disent « mais nous utilisons déjà des outils pour contrôler les automatismes ! ». Nous pouvons alors mettre en place, avec eux, une méthode expérimentale pour évaluer ces outils ou activités dont ils ont déjà connaissance.
Les neurosciences peuvent-elles être un levier pour agir sur les inégalités sociales ?
GB : On dit souvent à l’élève « sois concentré », « fais tes devoirs », « révise telle leçon », mais sans lui expliquer précisément comment faire. On ne lui dit pas pourquoi c’est important de faire des pauses, de travailler sur des périodes courtes plutôt que pendant trois heures d’affilée, que le « coût » pour le cerveau est très augmenté quand on essaie de faire deux activités en même temps… Or ces compétences implicites d’« apprendre à apprendre » sont, de fait, explicitées dans les milieux les plus favorisés. C’est une façon parmi d’autres de lutter contre les inégalités sociales, dans un pays où les résultats aux tests PISA [Programme international pour le suivi des acquis, une enquête concernant les élèves de 15 ans des pays de l’OCDE] sont, beaucoup plus qu’ailleurs, fortement liés aux origines sociales des élèves.
AC : Cette question de l’environnement des élèves renvoie aussi à la notion de neuroplasticité du cerveau. A savoir la capacité qu’a l’environnement à amplifier, moduler ou compenser l’expression de certains facteurs génétiques. C’est pourquoi nous nous intéressons à la manière avec laquelle on peut jouer sur l’environnement pour agir sur la plasticité cérébrale.
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