A l’initiative de Marc Lavoine, le dispositif permet, depuis 2014, à des enfants hospitalisés de suivre leurs cours à distance dans leur école. Une manière de démystifier la maladie.
Sur sa copie, Nolann a très soigneusement souligné en rouge « Evaluation de calcul : la division ». Jambes repliées sous lui, l’élève de CM1 s’attaque désormais aux calculs.
En classe, l’enseignante lui demanderait de s’asseoir correctement sur sa chaise. Mais Nolann, tout juste 10 ans, suit les cours en chaussettes, sur une couette où se dessine un gros lion ébouriffé. Renfort bienvenu que ce roi de la jungle. Depuis ses 3 ans, l’enfant se bat contre le cancer, un neuroblastome métastatique qui l’oblige à fréquenter assidûment l’hôpital Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne).
« Je connais tout le monde. Ceux de la nuit, ils jouent avec moi au lieu de travailler », confie, mutin, l’écolier en sweat Superman, avant de se concentrer de nouveau sur les divisions. « La maîtresse » vient d’annoncer qu’il ne restait plus que cinq minutes…
Car l’école est là, dans la chambre qu’il partage dans l’appartement familial avec son petit frère, à Massy-Palaiseau (Essonne). Posée sur son lit, une tablette numérique diffuse en direct les images de la classe. Contrôle de maths fini, on y voit l’institutrice, de dos, inscrire au tableau les devoirs des jours suivants. Dans ses écouteurs, Nolann entend bien les soupirs des copains… Grâce à la caméra de la tablette, il peut lever la main et poser une question si une consigne l’intrigue.
Depuis septembre 2018, lui qui ne parle que de sciences et de mécanique automobile n’a pas raté une miette d’école. Sur son dernier bulletin était inscrit : « Elève sérieux, travailleur, agréable, très impliqué en classe ».
« On peut transmettre des images de la Lune mais pas relier un enfant à sa classe ? Je suis sorti un peu perturbé de n’avoir jamais pensé à cela » Marc Lavoine
L’idée de filmer sa classe et d’en capter les sons, afin qu’il suive sa scolarité à distance, semble toute simple. En 2012, pourtant, personne ne l’avait eue avant que Marc Lavoine, venu chanter à l’hôpital Purpan de Toulouse, n’échange avec une fillette, au service d’oncologie pédiatrique. Qu’est-ce qui lui manquait ? « Ma classe, mes amies, ma maîtresse », a répondu sans hésiter la petite patiente. « On peut transmettre des images de la Lune mais pas relier un enfant à sa classe ? Je suis sorti un peu perturbé de n’avoir jamais pensé à cela », se souvient Marc Lavoine.
Gratuit pour les familles
Sa réflexion se poursuit au sein d’un trio masculin qu’unissent de semblables origines populaires. Depuis un bout de temps, l’artiste lutte contre les discriminations en tout genre avec deux amis : Raymond Domenech, l’ex-sélectionneur de l’équipe de France de football, et Abdel Aïssou, énarque, ancien sous-préfet puis dirigeant à fibre sociale (Randstad France). « La maladie grave est une discrimination à affronter, rappelle ce dernier. Quand ils sont en danger, les adultes se mettent en pause. Pas les enfants. Ils veulent vivre totalement leur vie. Etre privés de leur classe, c’est une souffrance. »
Pour que les enfants malades restent des élèves comme les autres, le trio, bientôt secondé par des ingénieurs bénévoles et des enseignants à la retraite, doit soulever deux montagnes : l’éducation nationale et l’hôpital. Il leur faut développer une liaison Internet cryptée garantissant l’anonymat de l’enfant – et donc le droit à l’oubli de sa maladie. Un outil dont ils conservent la propriété intellectuelle, afin qu’il demeure gratuit pour les familles. Et qui puisse pénétrer en chambre stérile. Tout en levant les craintes des enseignants et des autres parents : le cours filmé n’est pas enregistré…
Tablette numérique confiée à un élève
Deux ans après les premiers tests, en 2014, l’association Mon Cartable connecté signe une convention d’expérimentation avec le ministère de l’éducation nationale. Depuis, les valisettes bleu ciel ont roulé un peu partout en France.
Dotées de deux caméras, dont l’une est braquée sur le tableau et l’autre peut être pilotée par l’enfant, elles sont reliées à une tablette numérique confiée à un camarade volontaire qui joue l’interface avec le malade. Jusqu’à bavarder en douce avec lui, par écrit. Le tout se branche en cinq minutes le matin, selon Solenne Duquesne, l’enseignante de Nolann à l’école Emilie du Châtelet (Massy) : « A part envoyer quelques documents par mail, je travaille de la même façon. Nolann fait partie de la classe à 100 %. Quand il revient, il a moins de retard qu’un élève ayant manqué deux jours. Et les copains se responsabilisent. S’ils bavardent, je leur dis que Nolann entend moins bien, et le ton baisse. »
« A la récré, des fois, mes copains laissent la tablette allumée. Ils ont envie de rester avec moi. J’aimerais courir un peu partout, mais on joue au pendu. » Nolann
« A la récré, des fois, raconte Nolann, mes copains laissent la tablette allumée. Ils ont envie de rester avec moi. J’aimerais courir un peu partout, mais on joue au pendu. » Bon, pour la piscine, c’est compliqué – « la baignoire est pas assez grande ! » Mais il participe au carnaval, déguisé sur son lit d’hôpital. Et se joint au chœur, à l’heure du chant.
« Les infirmières écoutent, sourit la mère de Nolann, Marie Guelennoc. Le personnel soignant, et même les clowns, attendent la récré pour intervenir. Nolann a l’impression de reprendre un contrôle sur sa vie. » Car l’école est son moteur. « En cours de CP, se souvient-elle, quand il a rechuté, il a dit qu’il voulait bien suivre tous ses traitements mais seulement s’il allait en classe. Pendant les phases où ses défenses immunitaires étaient faibles, on s’arrangeait pour voir la maîtresse le midi, en l’absence des autres élèves. Et puis, cet été, j’ai découvert Mon Cartable connecté sur Internet. »
Son fils, qui rejetait l’école à l’hôpital (pas la « vraie » école, pas sa « maîtresse »…), n’éprouve qu’une frustration avec la tablette : ne jamais passer au tableau en maths.
Apprendre à lire à distance, remettre un réveil pour suivre les cours du lycée professionnel… Du CP à la terminale, la connexion vidéo épargne aux jeunes patients la double peine : traitements et redoublement.
« Dans les cancers de l’enfant et de l’adolescent, trois piliers participent au soutien psychologique : la famille, l’école, les amis. L’enfant isolé va moins bien se battre. Ce cartable est idéal », observe la pédiatre-oncologue de Nolann, le docteur Véronique Minard-Colin, sans minorer l’intérêt de l’école à l’hôpital et des enseignants dépêchés à domicile. « Mais là, Nolann poursuit sa scolarité avec son enseignante et ses copains. »
Généraliser le dispositif
Copains aux yeux desquels « le gamin n’a pas mystérieusement disparu d’un coup », remarque Raymond Domenech. « C’est important aussi pour eux. La maladie n’est pas taboue, elle est démystifiée. Le malade est avec eux, et quand il revient sans un poil sur le caillou, il a sa place. »
Tout cela réjouit Jacky Crépin, inspecteur d’académie, directeur de l’éducation dans l’Oise. Ce dispositif, auquel il ne voit que des avantages, se généralisera bientôt, parie-t-il, « comme une prolongation de notre service public d’éducation, qui doit être offerte à tous les enfants “empêchés” ».
Combien de Cartables connectés seront nécessaires ? Pour combien de jeunes patients hospitalisés plus de trois mois ? Marc Lavoine estime qu’il faudra passer de 130 cartables à disposition à environ 2 000, sous cinq ans, à 2 000 euros pièce.
« Comme le défibrillateur, il y en aura partout un jour. » Jusqu’alors, son association préfère ne compter que sur la générosité privée : mécènes (Jean-Claude Decaux – mort en 2016 –, François-Henri Pinault, François-Louis Vuitton…), événements caritatifs (matchs de foot, concerts), grosse PME nantaise pour la maintenance (Tibco), et des milliers de petits dons, surtout. Le cancer de l’enfant fédère. Il a même assoupli la direction générale de l’enseignement scolaire. Nolann n’est plus noté « absent » sur le cahier de son enseignante, mais « présent connecté ». Superman ouvre la voie.
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