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mercredi 16 janvier 2019

SDF : A la Cité des dames, «elles savent porter notre fardeau»

Par Virginie Ballet, Photos Cha Gonzalez — 
Le 8 janvier, dans le lieu cogéré par l’Association pour le développement de la santé des femmes et l’Armée du salut.
Le 8 janvier, dans le lieu cogéré par l’Association pour le développement de la santé des femmes et l’Armée du salut. Photo Cha Gonzalez

Depuis début décembre, ce centre du XIIIe arrondissement de Paris accueille les femmes précaires, qui peuvent s’y installer pour quelques jours ou plus, avoir accès à des produits d’hygiène et se reposer.

Assise sur un siège fuchsia en simili-cuir, bonnet vissé sur la tête malgré la chaleur ambiante, une septuagénaire tricote, concentrée sur sa pelote de laine rouge. A côté d’elle, une autre, la vingtaine, casque sur les oreilles, ne quitte pas son portable des yeux. Certaines somnolent, d’autres conversent autour d’un café, tandis que les bénévoles s’agitent pour finaliser la décoration, à grands renforts de plantes et autres pendules. Ouverte début décembre, la Cité des dames, dans le XIIIe arrondissement de Paris, est l’un des trois lieux uniquement dédiés aux femmes en situation de grande précarité récemment ouverts dans la capitale. Outre la Halte femmes, accueil de jour implanté dans les environs de la gare de Lyon depuis de nombreuses années déjà, deux salles de l’Hôtel de Ville sont depuis la mi-décembre mises à disposition des plus fragiles nuit et jour, tandis que la mairie du Ve arrondissement devrait elle aussi bientôt proposer une initiative similaire. En parallèle, des bains-douches exclusivement féminins devraient voir le jour dans le XIIe arrondissement, grâce à une campagne de financement participatif lancée par le Samu social.

Sororité

A la Cité des dames, l’accueil, inconditionnel, se fait vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. En un mois, près de 150 femmes de tous âges et de toutes nationalités se sont déjà posées ici, pour quelques jours ou plus, en fonction des besoins. «L’objectif est de tendre la main à celles qui n’osent plus demander de l’aide», résume la déléguée générale de l’Association pour le développement de la santé des femmes (ADSF), Nadège Passereau, qui cogère la Cité des dames avec l’Armée du salut. «On essaie de s’adapter, au cas par cas, en créant un climat de confiance», complète Christophe Piedra, directeur de la Cité de refuge, lieu d’accueil et d’hébergement conçu par Le Corbusier dans les années 30 et chapeauté par l’Armée du salut, auquel s’est greffé ce tout nouveau cocon féminin. Sur plus de 200 m2, il est proposé de se reposer, de parler à un psychologue ou à un travailleur social, de consulter une sage-femme, ou tout simplement de faire une lessive ou de prendre une douche. Un kit d’hygiène, des vêtements issus de dons sont également fournis. Fait rare dans ce type de structures : les animaux de compagnie sont bienvenus. Celles qui font escale à la Cité des dames viennent parfois spontanément, ou sont aiguillées là par des associations spécialisées lors de maraudes.
Martine a découvert cette halte par l’intermédiaire d’un commissariat. Comme toutes celles présentes en cet après-midi de janvier, elle a d’abord tenté de trouver un hébergement d’urgence en contactant le 115. Saturé. Lovée dans sa polaire bleu marine, voix douce et langage châtié, cheveux soigneusement relevés en chignon, Martine attend que soit possible son «nouveau départ». D’ici là, elle doit prendre son mal en patience. «Ce n’est pas dans mon tempérament de faire du surplace», s’agace-t-elle. Il lui faudra pourtant accepter ce coup de main qu’elle a eu tant de mal à venir chercher. L’histoire de Martine est selon elle une allégorie de «la condition féminine». «De son vivant, ma mère disait : "Ne te mets jamais à la merci d’un homme"», se souvient-elle. Et pourtant, par amour, la quadragénaire, autrefois géomètre, a quitté la région parisienne où elle vivait pour s’établir dans le sud de la France avec son compagnon au milieu des années 2000. «Lui gagnait très bien sa vie, il m’a convaincue d’arrêter de travailler», résume-t-elle. De fil en aiguille, Martine renonce à avoir son propre compte en banque, voit son indépendance grignotée. Jusqu’au jour où elle découvre les «multiples mensonges» de son conjoint. C’était il y a sept mois. «Lui voulait me garder, j’ai préféré partir.»
8 janvier 2019, Paris. Une résidente de la Cité des Dames récupère des affaires dans sa valise. Le local à valises est fermé à clef, en particulier la nuit, pour éviter les vols. 
COMMANDE N° 2019-0032
Une résidente de la Cité des Dames récupère des affaires dans sa valise. Le local à valises est fermé à clé pour éviter les vols. Le 8 janvier, à Paris.
Martine se fait héberger quelque temps chez sa sœur, en Ile-de-France. Mais le soir de la Saint-Sylvestre, cette dernière lui demande de partir. «Au fond de moi, je savais que je ne resterais pas dehors», martèle Martine, déterminée. Après une nuit dans un hall d’immeuble, elle se rend dans un commissariat, où on lui parle de la Cité des dames : «C’est sécurisant d’être entre femmes, de trouver un peu d’humanité pour se relever.»
«La précarité économique des femmes est un réel problème de société, abonde Nadège Passereau, de l’ADSF,leurs salaires sont moindres [près de 19 % de moins que les hommes en équivalent temps plein selon l’Insee, ndlr], et le décès d’un conjoint ou une séparation peuvent tout faire basculer»,observe-t-elle. Il règne entre les fauteuils roses de l’espace accueil comme un parfum de sororité. Rachel (1), 28 ans, s’affaire près des casiers destinés au dépôt d’effets personnels. Espiègle et souriante, elle est l’une des quatre «femmes repères» de la Cité des dames. De celles qui sont sorties de la galère. Rachel, ivoirienne, mère de trois enfants de 3 à 12 ans, a passé deux mois à la rue. Elle n’aime pas vraiment évoquer cette période, tout juste ce qui l’a le plus marquée : «Ne pas avoir de protections hygiéniques. C’est humiliant de devoir aller dans les WC publics chercher du papier toilette… Aujourd’hui, la première chose que je tends aux femmes, c’est des serviettes.» S’il y a bien un sujet sur lequel elle est en revanche intarissable, c’est son engagement bénévole au sein de l’ADSF, qui l’aide à «s’épanouir» : maraudes, service des petits-déjeuners, traduction… La jeune femme prend son rôle très à cœur. «Je sais à quel point il est difficile de créer du lien quand on est dehors , souffle-t-elle. On ne pense pas qu’on peut s’en sortir. Moi, j’ai voulu mourir. Mais aujourd’hui, je peux dire aux femmes : "J’ai été dans la même situation que toi. Ça va aller."»

«Fardeau»

Ce genre de paroles réconfortantes, Deborah les chérit. «Ici, ils savent porter notre fardeau», apprécie-t-elle. Le sien pourrait se résumer ainsi : la maladie, les démarches pour demander l’asile politique et la couverture maladie universelle. Parler avec la psychologue - qu’elle appelle par son prénom - la «rassure». A 33 ans, la jeune femme a quitté le Congo en octobre, pour venir se faire soigner en France. Atteinte d’un fibrome, elle a confié son fils de 8 ans à sa mère le temps de consulter ici des spécialistes. D’ici une semaine, elle se fera opérer dans un hôpital parisien. «Trois jours d’hospitalisation, mais ensuite je dors où ? Je ne veux même pas y penserQuand tu arrives ici, tu vois tout en noir. Et puis tu réalises que la personne à côté de toi est dans une situation sans doute pire que la tienne. C’est ça qui donne de la force.»
Sur le siège voisin, dans ce coin un peu plus obscur de la salle d’accueil, Kouamba essaie, elle aussi, de voir le verre à moitié plein. Il y a quelques minutes encore, elle échangeait avec une jeune femme tombée enceinte dans la rue. «Certaines n’ont vraiment rien», se désole-t-elle. Kouamba, elle, a un travail, «en CDI». Chaque soir, cette coquette quadragénaire d’origine togolaise, petit haut moutarde et bijoux fantaisie assortis, fait le ménage dans une entreprise du XIIIe arrondissement, de 19 heures à 22 h 30, pour 550 euros par mois. Trop peu pour s’en sortir. Alors, pour compléter ses revenus, cette coiffeuse de formation fait des tresses à domicile. Jusqu’à début décembre, elle sous-louait un appartement dans le quartier, «un grand F1, pour 500 euros». Or le loyer de ce logement social, réglé par la locataire «officielle» qui lui sous-louait les lieux, s’élevait en réalité, selon elle, à 370 euros. «Le bailleur s’est aperçu de la situation, et j’ai dû partir.»
Se retrouver à la rue a été «un choc» pour Kouamba : «J’ai toujours bossé, depuis mes 15 ans, sans jamais rien demander», déplore-t-elle. Elle a dû «frapper à toutes les portes» : vagues connaissances, Secours catholique, Samu social… Jusqu’à trouver cet endroit où «se poser». Grâce à la Cité des dames, elle peut aussi faire soigner ce genou qui la fait souffrir et reprendre des forces, au chaud, avant d’aller travailler chaque soir. Jambes allongées sur les fauteuils, Kouamba ne peut s’empêcher de repenser à sa vie d’avant : «Quand je voyais les gens dans la rue, je me demandais pourquoi ils en étaient là. Jamais je n’ai pensé que ça pouvait m’arriver.»
(1) Le prénom a été modifié.


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