Défilé contre les violences sexistes et sexuelles, le 25 novembre 2018. Photo Cyril Zannettacci pour Libération
Le Haut Conseil à l'égalité rend public ce jeudi un état des lieux très fourni du sexisme en France et appelle à la mise en place d'un vaste plan de lutte contre ce fléau.
C’est un mal sournois, qui semble solidement implanté, sans que l’on sache précisément dans quelle mesure. Dès lors, comment l’endiguer ? Jusqu’à ce jeudi, il était difficile de mesurer l’ampleur du sexisme en France. Voilà qui est désormais réparé : le Haut Conseil à l’égalité (HCE) vient de rendre public le premier état des lieux de ce fléau. Non qu’il vienne tout juste de débouler dans l’Hexagone (loin de là), mais aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune disposition législative ne contraignait à pareil examen, jusqu’à la loi relative à l’égalité et la citoyenneté du 27 janvier 2017. A titre de comparaison, la lourde tâche d’évaluer l’ampleur du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie dans le pays a été confiée depuis 28 ans déjà à la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Il était donc grand temps d’agir.
Ainsi, sur une centaine de pages, le HCE livre un bilan peu reluisant, qui commence par une mise au point : non, le sexisme n’est pas une simple «attitude discriminatoire fondée sur le sexe», comme le clame le Larousse, mais bien une «idéologie qui repose sur le postulat de l’infériorité des femmes par rapport aux hommes» et se manifeste par des «gestes, propos ou comportements», des plus anodins (remarques) aux plus graves (viols, meurtres). En matière de violences conjugales par exemple, l’instance souligne le «décalage important entre le nombre de plaintes enregistrées et le nombre de condamnations» : en 2017, 81 080 plaintes ont été enregistrées, qui n’ont abouti qu’à 15 418 condamnations, soit 19 % des cas… Signe s’il en fallait de la grande «tolérance sociale dont bénéficie le sexisme par rapport à d’autres systèmes d’oppression». Pour illustrer son propos, le Haut Conseil a mis l’accent sur deux manifestations quotidiennes largement banalisées de ce fléau : l’humour et les injures. En ligne de mire : faire comprendre que ce type de comportement, souvent présenté comme banal et anodin, entraîne en réalité un réel recul de la place des femmes dans la société.
«Entre-soi masculin»
Tout au long du mois de novembre, la très sérieuse institution a passé au crible près de 70 contenus humoristiques diffusés dans des matinales radio, des vidéos YouTube, ou sur Internet. Résultat ? Dans plus de la moitié des cas, au moins un ressort sexiste est mobilisé : réduire les femmes à un simple prénom, les présenter comme incompétentes ou encore oser d’hilarantes remarques sur leur physique («aussi grosse que ce tonneau»)… «Dénoncer le sexisme récurrent dans l’humour est parfois vu comme une forme de puritanisme voire de censure», observe le Haut Conseil. Or, ce type de blagues «consolide l’entre-soi masculin» et «dévalorise l’image que les femmes ont d’elles-mêmes», insistent les auteurs du rapport, qui exhortent la société à dénoncer ce type de comportements, en saisissant par exemple le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ainsi, en 2016, le CSA est intervenu à pas moins de huit reprises sur le thème des droits des femmes.
Autre pandémie sexiste : l’injure. En la matière, les chiffres cités dans le rapport sont on ne peut plus éloquents : en 2017, 1,2 million de femmes ont subi une injure sexiste, complètement gratuite, cela va sans dire, puisque 70 % d’entre elles ne connaissent pas l’auteur de ces invectives. Seules 6 % se sont rendues dans un commissariat, et quatre condamnations ont été prononcées. A toutes fins utiles, le HCE rappelle les peines encourues : un an de prison et 45 000 euros d’amende. «Si la législation condamnant le sexisme a évolué positivement ces dernières années […], force est de constater que le droit est peu mobilisé et que la justice condamne peu le sexisme», souligne le HCE.
Notons au passage cet instructif paragraphe sur l’étymologie de l’invective «salope», (la plus utilisée avec le très élégant «pute»). Apparue au XVIIe siècle et alors orthographiée «saloppe», contraction de «sale» et de «hoppe», un oiseau très sale, le terme n’a pris une connotation sexuelle qu’au XVIIIe siècle, lorsqu’il fut employé pour désigner les «femmes débauchées».
Face à ce constat accablant, le HCE appelle de ses vœux au lancement d’un vaste plan d’action contre le sexisme en France, qui pourrait être étalé de 2019 à 2022, et pourquoi pas, reprendre une partie des préconisations contenues dans le rapport. La principale étant de dénoncer tout agissement sexiste, que ce soit aux forces de l’ordre, aux instances professionnelles telles que le conseil de l’ordre des médecins, ou encore au Défenseur des droits. En la matière, le HCE salue la vaste libération de la parole engagée avec la vague #MeToo et appelle à poursuivre les efforts, en diffusant par exemple des outils pédagogiques sur le sexisme ou en formant médias et forces de l’ordre.
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