Jacques Battistoni, président de MG France, syndicat des médecins généralistes, estime dans une tribune au « Monde » que l’engagement des professionnels de santé n’est possible que si la pérennité des financements et des engagements de l’Etat est garantie.
[Le 16 janvier débutent des discussions entre l’assurance-maladie et les professionnels de santé portant sur les modalités de mise en œuvre de deux mesures phares de la réforme de santé : les critères de financement des communautés professionnelles terroritoriales de santé (CPTS) et la création de postes d’assistants médicaux]
Tribune. La perception d’inégalités croissantes dans notre société contemporaine est une des causes majeures de la révolte populaire qui s’est exprimée dans le mouvement des « gilets jaunes ». Inégalités de revenus et de conditions de vie, mais aussi inégalités d’accès aux services publics et aux soins médicaux de proximité.
L’inégal accès aux services publics et aux soins crée, en zone rurale comme dans les villes moyennes, un sentiment d’abandon qui contribue à entretenir une fracture sociale déjà ancienne. Les déserts médicaux apparus il y a une quinzaine d’années témoignent d’une crise démographique médicale qui va s’accroître ces prochaines années du fait du départ en retraite des médecins de la génération du baby-boom des années 1950. L’absence de politique d’aménagement du territoire aggrave cette crise en rendant les installations de jeunes professionnels peu attractives là où les services publics, les écoles et les transports sont devenus rares.
Le président de la République le reconnaissait dans ses vœux en appelant les médecins à s’« installer où il en manque, dans certaines campagnes ou dans des villes ou des quartiers où il n’y en a plus ». Le gouvernement a la responsabilité de veiller à ne pas aggraver ces inégalités, puis de contribuer à les résoudre.
A cette spirale négative s’ajoute un trop fréquent manque de considération pour les soins ambulatoires – ou soins de ville. Le modèle hospitalier centré sur les services d’urgence et les soins très spécialisés demeure la voie royale de la médecine, popularisée par les médias et valorisée par les enseignants hospitalo-universitaires. Ce modèle continue à exercer une forte attractivité sur les étudiants qui connaissent mal l’exercice extra-hospitalier de la médecine.
Un défaut d’anticipation
Notre système de soins, longtemps décrit comme un des meilleurs au monde, souffre d’un défaut d’anticipation et d’investissements insuffisants. Au-delà des aspects démographiques, il est fragilisé par le manque de moyens des cabinets de médecine générale en matière d’équipements et de personnel.
Pressés par les élus locaux et par la population d’apporter des réponses à la progression des déserts médicaux, les pouvoirs publics ont tardé à reconnaître l’importance des soins ambulatoires.
Il faut en finir avec la surenchère à laquelle se livrent certaines collectivités territoriales pour attirer des professionnels
Les parlementaires se bornent à proposer des contraintes à l’installation, dont beaucoup s’accordent désormais à reconnaître le rôle contre-productif, parce qu’elles rendent l’exercice libéral encore moins attractif que le salariat.
De nombreux acteurs de soins, professionnels de santé, entreprises, start-up, tentent de tirer profit de l’absence d’organisation du système de santé français pour créer des niches d’activité. Ils développent des outils qui viennent concurrencer les professionnels sur le terrain : agendas de prise de rendez-vous électroniques, plates-formes de téléconsultation à distance, contournements du parcours de soins. Ces outils, quelle que soit leur valeur intrinsèque, ne répondent pas de manière cohérente aux besoins de santé de la population. Pire, ils contribuent à la désorganisation du système de santé.
Un nouveau visage aux soins ambulatoires
La réponse à ces initiatives maladroites réside dans une offre de soins ambulatoires organisée et visible dans tous les territoires, décidant elle-même de ses missions et ses outils.
La santé malade de son argent - retrouvez nos tribunes
Le déficit prévu de l’Assurance-maladie est de 900 millions d’euros pour 2019. Médecins et économistes débattent de l’avenir du système de soins.
- « Des mesures qui ont réduit les dépenses mais renforcé les inégalités d’accès aux soins », par le chercheur Bruno Palier.
- « Aux Etats-Unis comme en France, les inégalités de santé et de revenus ne vont pas nécessairement de pair », par les économistes Janet Currie, Hannes Schwandt et Josselin Thuilliez.
- « Nos voisins européens offrent aux malades du cancer un meilleur accès à l’innovation », par seize spécialistes du cancer.
- « L’industrie pharmaceutique est préoccupée avant tout par sa rentabilité financière », par les professeurs Alain Astier, André Grimaldi et Jean-Paul Vernant.
- « L’industrie pharmaceutique assume seule l’effort » d’innovation dans le médicament, par le médecin Jean-David Zeitoun.
Notre système de santé doit répondre à plusieurs défis : maintenir un maillage en médecine générale sur l’ensemble du territoire national ; constituer des équipes de soins primaires organisées, entre médecins généralistes, infirmières, pharmaciens, kinésithérapeutes, sages-femmes et autres professionnels de proximité libéraux ; développer l’accès à la technologie ; apporter des réponses graduées aux demandes de soins de la population ; rendre possible un exercice professionnel conforme aux aspirations des jeunes professionnels, avec un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ; rendre visibles les organisations de soins ambulatoires pour développer des coopérations intelligentes et non concurrentielles avec les établissements de santé de leur territoire ; assumer de nouvelles responsabilités en matière de prévention ; et enfin permettre à une population de plus en plus âgée de continuer à vivre et être soignée à domicile.
Depuis plus de dix ans, portée par les maisons de santé pluriprofessionnelles, se développe une coopération entre professionnels de santé libéraux qui améliore la qualité des soins.
Une révolution des soins primaires
Comme chez nos voisins européens, des équipes de soins primaires sont apparues en France. Elles développent de nouvelles relations entre soignants, respectant les compétences de chaque profession en lui reconnaissant des responsabilités différentes et complémentaires. Ces équipes de soins facilitent grandement le suivi des malades à domicile et celui des patients atteints de maladies chroniques ou de longue durée.
Elles s’appuient sur des expériences réussies de coopération entre infirmières de santé publique et médecins généralistes, qui permettent aux personnes atteintes de diabète ou de maladies cardio-vasculaires de mieux connaître leurs maladies et de mieux s’y adapter.
Elles proposent des initiatives en santé publique en développant la place, longtemps non reconnue, des professionnels libéraux dans les registres de promotion de la santé, de prévention et d’éducation thérapeutique des patients.
Ces équipes de soins se préparent à l’arrivée de nouvelles technologies qui vont permettre de rapprocher les soins des patients, grâce à des plateaux techniques de proximité, incluant notamment l’accès à des examens de biologie et d’échographie.
Une véritable révolution des soins primaires est déjà en marche en de nombreux points du territoire.
Surenchère
Les professionnels de santé libéraux sont prêts à s’organiser, sur leurs territoires, pour répondre aux besoins de santé de leur population. Ils le feront en s’appuyant sur un diagnostic territorial de l’offre de soins établi avec les Agences régionales de santé et avec l’assurance-maladie, en lien avec les élus locaux, partenaires indispensables de leurs projets.
Il faut en effet en finir avec la surenchère à laquelle se livrent certaines collectivités territoriales pour attirer des professionnels. Une action concertée entre élus et professionnels est une condition indispensable à la réussite des projets territoriaux. Les problèmes fonciers et l’importance des investissements immobiliers sont parfois des questions insurmontables pour les professionnels.
Nos parlementaires doivent comprendre que la loi n’est pas un bon moyen pour décrire la place de chaque professionnel au sein de l’équipe de soins
La population doit connaître les règles du bon usage des soins et disposer d’un mode d’emploi du système de santé de son territoire. La réponse aux demandes de soins non programmés doit s’appuyer sur un numéro d’appel dédié, le 116-117, différent de ceux des urgences vitales (15 et 112). L’information et la prise en charge de la population seront développées en particulier pour les parcours de soins complexes et le maintien à domicile des patients dépendants.
Les structures d’hospitalisation, publiques comme privées, doivent créer les conditions d’une coopération efficace avec les soins de ville, garantissant la pertinence des prises en charge et une sécurité sanitaire retrouvée.
Enfin un accord conventionnel entre l’assurance-maladie et les professions de santé libérales doit valoriser efficacement les missions assurées par les professionnels.
Une question de moyens cruciale
Une négociation va s’ouvrir le 16 janvier entre syndicats de professionnels de santé et assurance-maladie dans le but de donner aux professionnels libéraux les moyens de réaliser les missions que l’Etat souhaite leur confier.
Cette question des moyens est cruciale : l’ambition politique affichée doit être suivie d’une volonté à la hauteur des enjeux. Il s’agit d’investir pour améliorer la pertinence et la qualité des soins et mieux gérer notre système de santé.
Rien ne sera possible sans l’adhésion et la participation active des professionnels de santé : améliorer la santé de la population doit s’accompagner d’une attention soutenue à la qualité de vie des professionnels dans leur exercice.
Le travail en équipe ne se décrète pas, mais il s’organise en pratique sur le terrain. Nos parlementaires doivent comprendre que la loi n’est pas un bon moyen pour décrire la place de chaque professionnel au sein de l’équipe de soins.
Le besoin d’une sécurisation financière et sociale
Si l’exercice regroupé est une modalité d’exercice souhaitée par les jeunes générations, les médecins isolés et proches de la retraite ne doivent pas être laissés au bord de la route. Ils constituent encore une part importante de l’offre de soins. Le bénéfice d’un assistant médical ne doit pas leur être refusé, il doit leur permettre de continuer à travailler malgré le départ en retraite de leurs confrères.
L’exercice libéral coordonné n’a pas besoin de plus de contraintes, mais d’une sécurisation financière et sociale sans laquelle le salariat restera plus attractif. L’engagement des professionnels n’est possible que si la pérennité des financements et des engagements de l’Etat est garantie.
Il appartient au gouvernement de donner aux négociateurs les clés de la réussite d’une réorganisation des soins qu’attendent les Français. L’aggravation des conditions d’accès aux soins n’est plus, à juste titre, tolérable par la population. Le gouvernement portera donc une grande responsabilité dans l’issue de cette négociation.
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