Un des scénarios de France Stratégie propose de «s’autorise[r] à toucher aux dépenses de santé marchande» en allant plus loin qu’une simple «maîtrise». Photo FRANCK FIFE. AFP
Cette semaine, deux notes d'organismes proches de Matignon ont proposé de nombreuses pistes de réformes qui pourraient être reprises par le gouvernement.
Seize petites pages d’un côté, douze de l’autre. Cette semaine sont parues deux «notes» publiées par des organismes proches de Matignon qui devraient beaucoup intéresser Bercy en pleine recherche d'économies pour ne pas (trop) aggraver le déficit public et la dette française. Lundi, c'est le Conseil d’analyse économique (CAE), dont le président délégué, Philippe Martin, est proche d'Edouard Philippe, qui s’est livré à une critique remarquée sur la politique coûteuse pour peu de résultats de «baisses de charges» menées par les précédents gouvernements. Jeudi, c'est France Stratégie, think tank placé sous l’autorité du Premier ministre, qui a livré plusieurs scénarios pour «réduire le poids de la dépense publique». Retour sur ces deux études qui pourraient inspirer les futures décisions de l’exécutif… et confirmer certains orientations déjà choisies par Emmanuel Macron.
France Stratégie : trois pistes d’économies pour 3 points de PIB
L’avertissement a le mérite d’être clair : «les scénarios bâtis [...] ne doivent pas être interprétés comme des scénarios "souhaitables" ni comme des recommandations. Ils ont une vocation illustrative». Mais les trois pistes développées par cette étude comparative de France Stratégie devraient être rapidement analysées par un gouvernement dont l’objectif reste de baisser de plus de 3 points de PIB le poids de la dépense publique. Dans le projet de loi de finances pour 2019, l’exécutif prévoit de ramener en 2022 le ratio dépense publique sur richesse produite à 51,8% du PIB contre 55,1% du PIB en 2017.
Dans son premier scénario, le think tank prévient qu’il sera difficile de ne pas toucher aux «dépenses sociales» et aux «dépenses militaires» tout en revenant dans les canons européens pour les «autres postes». «L’effort supplémentaire à consentir ramènerait les dépenses de soutien à l’économie (investissement, subventions et transferts), les dépenses d’administration générale et les dépenses de loisirs et de culture en dessous de la moyenne des pays européens», écrivent les auteurs qui évoquent un «exercice peu réaliste».
Autre possibilité : «contenir la croissance des dépenses sociales» tout en «modér[ant] les efforts consentis sur l’investissement local». France Stratégie propose ainsi de «s’autorise[r] à toucher aux dépenses de santé marchande» mais d’aller plus loin qu’une simple «maîtrise» : «il faudrait en passer par une part de déremboursements ou de baisse de la prise en charge de soins par la Sécurité sociale». Ce qui, dans le contexte tendu du monde de la santé en France, paraît difficile à assumer politiquement. En revanche, ce scénario, assure le think tank, permettrait de dépenser plus dans l’éducation - donc de rattraper le retard français en la matière sur la moyenne des autres pays européens (-0,7 points de PIB) et d’investir également dans la défense, la police et la justice.
France Stratégie propose enfin un chemin «plus équilibré» : une «baisse plus modérée et sans doute plus réaliste du poids des dépenses de santé» qui passerait par «une restructuration globale [du] système de soins», une hausse du poids des dépenses d’éducation et de défense et une stabilisation de celui de l’investissement public. Où le gouvernement devrait-il alors contenir la dépense ? Dans les «prestations sociales», y compris les retraites, et dans «l’accueil et l’aide aux personnes». Un chemin sur lequel le gouvernement semble lancé : «Les décisions prises [...] de désindexer partiellement les retraites en 2019 et 2020, de même que la volonté de mieux maîtriser les dépenses d’assurance-chômage», vont dans ce sens, fait remarquer l’organisme qui rappelle cependant qu’il faudra en rabattre sur «les aides diverses à l’économie marchande». Ce qui, pour l'instant, n’est pas le choix fait en 2019 : la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en «baisses durables» de cotisations patronales, c’est 20 milliards d’euros supplémentaires.
CAE : pour la fin de certaines aides sur les salaires
Avec cette note-là, c’est le titre lui-même qui a le mérite d’être clair: «baisses de charges: stop ou encore ?». Venant d’une instance composé d’économistes chargés de conseiller l’exécutif, la remise en cause d’une partie de la politique économique menée sous François Hollande - dont le secrétaire général adjoint à l'Elysée puis le ministre de l’Economie était un certain Emmanuel Macron - a le mérite de surprendre. Les trois auteurs - dont le président délégué du CAE, Philippe Martin - recommandent notamment de concentrer les «baisses du coût du travail» sur les bas salaires et de supprimer ces réductions de cotisations sociales «au-delà du seuil de 1,6 smic».
La note va, en partie, dans le sens des intentions actuelles du gouvernement. Reportée à octobre pour des raisons budgétaires, la baisse de quatre points de cotisations patronales pour les salaires situées au niveau du smic rentre parfaitement dans la première recommandation du CAE : «Au regard du seul objectif de soutien à l’emploi et de lutte contre le chômage», les économistes conseillent de «privilégier des exonérations ciblées sur les bas salaires et éliminer toutes les charges au niveau du Smic». Selon leurs données traitées, «les baisses du coût du travail, lorsqu’elles ne se font pas sous la forme d’un crédit d’impôt et lorsqu’elles sont concentrées sur les bas salaires, ont bien un impact positif sur l’emploi» et peuvent «dans certaines conditions, aider la compétitivité des entreprises».
En revanche, «les baisses de cotisations sociales sur les salaires plus élevés (au-delà de 1,6 smic)», soient une partie de celles du CICE ou du Pacte de responsabilité version 2016, «n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité», assurent les trois économistes : «Nous ne trouvons pas d’impact positif sur les exportations, alors qu’elles étaient en grande partie motivées par un objectif de compétitivité.» Résultat : ils recommandent carrément d’«abandonner pour le budget 2020 les baisses de charges au-dessus de 2,5 smic voire 1,6 smic». «Au regard du coût pour les finances publiques (plus de 26 milliards d’euros pour le CICE et le Pacte 2016), des décisions devront s’imposer sur la base d’une analyse coût-bénéfice», ajoutent-ils avant de rappeler que «les exonérations de 1,8 point entre 1,6 et 3,5 smic coûteront 4 milliards d’euros en 2019». Il reste à voir si ce gouvernement en quête d’économies budgétaires sera capable dans les mois qui viennent d'emprunter une piste de nature à fortement déplaire aux chefs d’entreprise.
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