Le tribunal de grande instance de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, le 3 mars 2017. Photo Geoffroy Van Der Hasselt. AFP
Après la tribune des juges des enfants sur le manque de moyens et l'état alarmant de la justice des mineurs à Bobigny, parue ce lundi, «Libération» a interrogé Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis.
Dans une tribune publiée ce lundi par le Monde et France Inter, les quinze juges des enfants du tribunal de grande instance de Bobigny dénoncent une justice des mineurs en péril en Seine-Saint-Denis. Faute de moyens, les jugements pénaux sont notifiés dans des délais démesurés (environ un an), perdant tout leur sens. De plus, les mineurs en détresse ne reçoivent pas l’aide dont ils ont besoin. «Nous sommes devenus les juges des mesures fictives», écrivent les signataires, soulignant que près de 900 mesures et 900 familles sont aujourd’hui en attente. Et de conclure : «Notre alerte est un appel au secours.»
Réponse de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet sur France Inter le même jour : «C’est une politique qui appartient au département que d’exécuter ces décisions de justice.» «Donc vous n’avez rien à voir ?» insiste l’animateur Nicolas Demorand. «Non, je n’ai pas dit ça mais quand on présente quelque chose, on le dit clairement. Moi je vous dis ceci : je ne nie pas la responsabilité de l’Etat mais je dis que la mise en œuvre des décisions de nature civile comme celles dont vous me parlez qui concernent les enfants, cela appartient aux départements.» Si la ministre reconnaît – sans s’étendre sur le sujet – le manque de moyens alloués à la justice, elle renvoie donc le département à ses responsabilités. Trois questions à Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.
Dans la tribune cosignée par les juges des enfants, il est écrit : «En Seine-Saint-Denis, des mineurs en détresse ne peuventainsi plus recevoir l’aide dont ils ont besoin, faute de moyens financiers alloués à la protection de l’enfance par le conseil départemental, tributaire en partie des dotations de l’Etat.» De quelles sommes parle-t-on ?
D’abord, il me semble important de préciser que les juges ont raison : il y a un problème pour les enfants en danger malgré les moyens que le département y consacre. Concrètement, le budget de l’aide sociale à l’enfance (ASE) représente 253 millions cette année au titre des crédits d’intervention et 28 millions de masse salariale. Je vais y mettre 20 millions d’euros en plus pour l’année prochaine. Ce qui n’est pas négligeable. Ce n’est pas moi qui le dis mais la Cour des comptes : il s’agit de la plus forte augmentation de France et du plus gros budget d’Ile-de-France (hors Paris). Au total, le budget total de la Seine-Saint-Denis est de 2,2 milliards d’euros.
Vous êtes à la tête du département depuis 2012. Quels sont les principaux enjeux auquel vous faites face ? Comment la situation a-t-elle évolué ?
Nous prenons en charge les mineurs étrangers isolés (MNA), or leur nombre a triplé depuis 2015 compte tenu de la crise migratoire : il est passé de 450 à 1200 en 2018. Ces enfants ont droit à une protection, ce qui coûte près de 38 millions d’euros. La ministre a omis de préciser que l’Etat ne compense cette enveloppe qu’à hauteur de 10%. Un des autres enjeux importants est celui des retours de Syrie. Les enfants, originaires ou non du département, arrivent à l’aéroport de Roissy qui est rattaché au tribunal de Bobigny. Ils relèvent donc de l’ASE de Seine-Saint-Denis. Cette fois, cela représente 2,8 millions d’euros. Or l’Etat nous en accorde 250 000.
Que pensez-vous des propos de la ministre renvoyant le département à ses missions ?
Madame Belloubet ne peut se contenter de se défausser sur le département : nous sommes dans une situation intenable. Par ailleurs, elle a une mémoire défaillante, un rapport parlementaire transpartisan des députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo [sur «l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis», ndlr], remis au mois de mai, soulignait que l’Etat était défaillant dans ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis. Il n’est pas acceptable que la justice manque de greffiers, que les délais soient aussi longs. Il n’est pas acceptable que l’on n’ait pas suffisamment d’éducateurs. Il faut que tout le monde renforce le travail commun et les différents partenariats, surtout que l’Etat assume ses responsabilités.
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