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vendredi 9 novembre 2018

En France, les agences sanitaires ont peur de leur ombre

Par Eric Favereau — 
Manifestion de l'Association française des malades de la Thyroide, contre une nouvelle version du Levothyrox, à Bourgoin-Jallieu (Isère) en novembre 2017
Manifestion de l'Association française des malades de la Thyroide, contre une nouvelle version du Levothyrox, à Bourgoin-Jallieu (Isère) en novembre 2017 Photo Romain Lafabregue. AFP

L'affaire du Levothyrox comme celle des bébés nés sans bras ont été l'occasion de réactions bien maladroites de la part d'instances supposément vigilantes et réactives. Comme si elles oubliaient l'essentiel : se démener pour comprendre ce qui se passe.

Mais que se passe-t-il dans les agences sanitaires françaises? Y aurait-il une malédiction qui les rendrait perméables aux scandales ? L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a été secouée l’année dernière par une gestion déroutante du Levothyrox, ce médicament utilisé par plusieurs millions de patients pour stabiliser leur dosage en hormones thyroïdiennes. La nouvelle formule a entraîné des milliers d’effets secondaires, mais l’Agence répétait que «tout était à l’identique». Puis, récemment, le scandale de la mauvaise prescription de Depakine chez des femmes enceintes a attesté une légèreté dans la politique du bon usage des médicaments de l’agence. A présent, c’est au tour de Santé publique France d’être à son tour en position d’accusée, à propos des naissances de bébés sans bras dans l’Ain : l’agence n’a là non plus guère pris au sérieux un nombre de cas par bien des aspects inquiétant.

On dira que les dossiers n’ont rien à voir les uns avec les autres, et que chaque affaire repose sur des éléments distincts. Dans le dossier du Levothyrox, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a minoré le sujet, avançant un problème de communication et ajoutant un facteur franco-français : «Nous avons affaire à une énorme défiance des Français à l’égard des médicaments, et à la fois nous sommes le pays qui en consommons le plus en Europe», a-t-elle ainsi déclaré. La faute à un manque de maturité de la population, en somme.

Pas d'explications rationnelles

Un rapport sur le Levothyrox a pourtant souligné une kyrielle de manquements, allant «de l’absence d’anticipation et d’accompagnement» à «l’absence de réaction aux nombreux signaux venant des réseaux sociaux, d’associations…» mais aussi une communication de crise «artisanale, insuffisamment coordonnée». L’ANSM s’en est défendue, répétant «que les procédures avaient été respectées», «que le nouveau produit était meilleur que le précédent». Bref tout ce qui passait n’avait, en fait, pas d’explications rationnelles. Et donc n’existait pas franchement. Or c’est étrangement le même argumentaire qui est utilisé par Santé publique France devant ces bébés qui naissent sans bras.
Alors que des interrogations sanitaires se posent à l’évidence, l’agence semble faire l’impasse et s’agace au passage que d’autres qu’elles-mêmes fassent de la surveillance. Ainsi, pour l’Ain, RAS: «L’analyse statistique ne met pas en évidence un excès de cas par rapport à la moyenne nationale, et Santé publique France n’a pas identifié une exposition commune à la survenue de ces malformations». Pour la Loire-Atlantique et la Bretagne, «l’investigation a conclu à un excès de cas. Cependant, aucune exposition commune n’a été identifiée». C’est un peu bizarre, mais comme il n’y a pas de cause identifiée, tournons la page. «Je suis agressé, comme quoi je veux casser le thermomètre, cacher la réalité des choses alors que l’agence est probablement une de celles qui font le plus en matière de protection des populations et pour mesurer l’impact des pesticides sur la santé», s’est indigné son directeur général, François Bourdillon, dans un entretien à l’AFP. Et d’accuser «une association qui joue à un jeu extrêmement personnel».

Nouvelle enquête exigée

Peut-on se satisfaire de ce type de réactions ? En tout cas, peut-être échaudée par l’affaire du Levothyrox, la ministre de la santé n’a guère apprécié le dégagement en touche de Santé publique France. «On ne peut pas se satisfaire de dire qu’on n’a pas trouvé de causes, c’est insupportable», a déclaré Agnès Buzyn. Et François de Rugy, ministre de l’environnement, d’ajouter : «Bébés nés sans bras : s’en remettre à la fatalité n’est pas acceptable» ! Les deux ministres ont exigé une nouvelle enquête.
Qu’en déduire? La répétition de ce type de séquence est pour le moins déroutante. Comme si les agences sanitaires, créées au départ pour être actives et réactives, étaient devenues des lieux d’enregistrement où l’on applique des règlements, où l’on vérifie, où l’on observe et où l’on fait entrer la réalité dans des cas et tant pis si cela dépasse. Bizarrement, les deux directeurs des deux dites agences, Dominique Martin pour l’ANSM et François Bourdillon pour Santé Publique France, ont été formés à l’école de Bernard Kouchner, c’est-à-dire à être plutôt ouverts à l’imprévu. Or les voilà encombrés dans des habits de gestionnaires de la santé, se retranchant derrière le règlement ou la défense de leurs structures. Bons professionnels, reconnus dans leur domaine, mais ils semblent n’avoir plus d’autre souci que de ne pas faire de vagues. Exit donc l’autonomie et l’indépendance que revendiquaient les premiers directeurs des agences sanitaires lors de leur création. Faudra-t-il un nouveau scandale pour se rendre compte que la santé publique mérite de l’audace, mais également une résistance au syndrome du parapluie pour se protéger ? Sachant que le projet loi de Finances pour 2019 prévoit la suppression de 15 postes à Santé publique France et 23 postes à l’Agence du médicament…


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