Entre 2012 et 2015, le nombre de patients soignés en psychiatrie sans leur consentement a augmenté de 15 %. De plus en plus, ces soins se font hors de l’hôpital.
Peut-on priver une personne de sa liberté pour la soigner ? La question n’est certes pas nouvelle en psychiatrie. Mais elle prend désormais une acuité particulière face à des chiffres qui interpellent. En 2015, plus de 1,7 million de personnes, âgées de 16 ans ou plus, ont été suivies en France dans un établissement psychiatrique. Parmi elles, 92 000 ont été prises en charge sans leur consentement. Un chiffre en augmentation de 15 % par rapport à 2012. « Et la tendance se poursuit puisqu’en 2016, on recensait 94 000 patients soignés sans leur consentement », précise Magali Coldefy, maître de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).
C’est un vrai signal d’alarme. La France est-elle devenue un pays où la logique sécuritaire conduit à enfermer de plus en plus les personnes en souffrance psychique ? C’est la conviction de certains acteurs de la santé mentale. Mais pour comprendre cette hausse, il faut surtout revenir au tournant qu’a constitué la loi du 5 juillet 2011.
Ce texte a d’abord instauré un contrôle systématique de la situation des patients par un juge (lire page suivante), entraînant un autre changement majeur : la possibilité d’instaurer des soins sans consentement en « ambulatoire ». Sans que la personne ne soit hospitalisée entre quatre murs. En 2011, la mesure avait fait grincer des dents dans certains cercles de la psychiatrie, opposés à cette contrainte dans les soins de ville. « Une surveillance sociale planifiée », affirmaient des psychiatres. Mais le législateur avait choisi d’entendre les arguments de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) qui plaidait de longue date pour cette innovation.
Des familles ne cachaient pas leur désarroi quand un de leurs proches refusait de prendre son traitement et voyait son état se dégrader. La seule solution était alors l’hospitalisation forcée. Une mesure parfois vécue comme trop radicale pour ces familles, juste désireuses que la continuité des soins puisse être assurée. Depuis la loi de 2011, les soins sans consentement continuent de démarrer à l’hôpital. Néanmoins, au bout de 72 heures, le psychiatre peut décider que le patient continuera à être suivi, avec une certaine contrainte, mais à l’extérieur. Il établit alors un « programme de soins » qui peut prévoir l’obligation pour le patient d’avoir des consultations régulières en ville. « Une fois par mois, un patient peut ainsi être tenu de venir en consultation pour recevoir son traitement par injection », indique Alain Monnier, administrateur de l’Unafam.
Certes, la contrainte sur le patient n’est alors pas la même que celle pouvant être mise en œuvre dans un hôpital. « Le psychiatre ne peut pas envoyer un infirmier à son domicile pour lui faire une piqûre de force », souligne Denys Robiliard, ancien député socialiste, auteur de plusieurs rapports sur la psychiatrie. Mais le patient sait que, s’il ne respecte pas son programme de soins, il risque de retourner en hospitalisation. Ce qu’il peut vivre comme une menace. « En tout cas, c’est bien le développement important de ces soins ambulatoires qui constitue la principale explication à l’augmentation globale du nombre de personnes soignées sans leur consentement. Ces patients, en effet, sont inclus dans des programmes souvent assez longs dans la durée », explique Magali Coldefy.
La loi de 2011 a aussi modifié les modalités d’entrée dans les soins sans consentement. Avant cette loi, il existait deux possibilités pour interner un patient. La première était l’hospitalisation d’office (HO) décidée par le préfet au vu d’un certificat « circonstancié » établi par un psychiatre et en cas de risques d’atteintes à la sûreté des personnes ou de troubles graves à l’ordre public. Cette modalité existe toujours. En 2013, 18 % des personnes ont été ainsi soignées à la demande du préfet. La deuxième modalité est l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT), en général un membre de sa famille. Dans ce cas, deux certificats médicaux sont nécessaires. Mais au final, c’est bien un tiers qui signe l’entrée dans les soins. En 2015, cela a été le cas dans 64 % des entrées dans des soins sans consentement.
Cette modalité, en réalité, ne peut s’appliquer quand les psychiatres se retrouvent face à des patients désocialisés et sans entourage proche. C’est d’abord pour eux que la loi de 2011 a introduit une troisième modalité : celle de soins psychiatriques en cas de péril imminent (SPI). Dans ce cas, ce n’est pas un tiers qui autorise les soins mais un médecin. « Cette nouvelle modalité a un peu explosé ces dernières années avec 21 % des demandes de soins sans consentement en 2015 », souligne Magali Coldefy. Une explosion qui suscite des interrogations. « Dans certains cas, c’est bien parce que le patient est sans attache familiale ou désocialisé que le médecin signe le certificat. Mais on constate aussi une certaine banalisation de ce mode d’admission qui devrait rester exceptionnel », indique Denys Robiliard.
Ce que ne conteste pas le docteur Hervé Claudel, psychiatre libéral à Lyon, qui a longtemps travaillé aux urgences de l’hôpital du Vinatier de Lyon. « Dans certains cas, il y a un recours un peu trop rapide ou systématique au ”péril imminent”, en particulier dans les services d’urgences hospitaliers », indique ce psychiatre. « Avant de signer ce certificat, on doit tout faire pour rechercher un tiers. Et on doit mentionner dans le certificat les recherches ainsi entreprises. Mais parfois, c’est compliqué. Les gens sont durs à joindre alors qu’il faut prendre des décisions rapides. Et le risque est qu’alors le médecin signe lui-même, par facilité. C’est une dérive contre laquelle on lutte au quotidien mais qui est possible », reconnaît le docteur Raphaël Gourevitch, responsable du Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil de l’hôpital Sainte-Anne à Paris.
Reste le cas de ces situations difficiles où un ou plusieurs tiers sont présents mais se refusent à signer l’entrée dans les soins. « Dans certaines situations, cela peut être très difficile pour un parent de signer pour son fils ou sa fille. Surtout s’il y a déjà eu par le passé des hospitalisations forcées qui ne se sont pas bien passées. Dans certains cas, le patient pourra en vouloir à son proche d’avoir signé. Ces situations sont douloureuses et on ne peut pas reprocher au tiers de se décharger de cette responsabilité sur le médecin », estime Denys Robiliard. Une réalité que n’ignore pas le docteur Gourevitch. « Notre métier consiste aussi à inclure au maximum la famille dans un processus de soins certes parfois compliqué mais utile pour le patient, indique-t-il. Autoriser des soins pour un proche en souffrance ou en danger, qui n’est pas en état de consentir, c’est d’abord un acte d’affection et de responsabilité. »
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