Crédit Photo : Ariel F. Dumont
Il y a quatre ans, le neurologue turinois qui a étudié à Lyon préférait parler de greffe de tête pour éviter dit-il de passer pour un fou. Aujourd’hui, le Pr Sergio Canavero annonce que la première transplantation a été réalisée sur « deux cadavres frais » en Chine.
La prochaine étape consistera en une greffe totale du cerveau avec « anastomose meningo-encéphalique et somatique ». Le « Quotidien » a rencontré le Pr Canavero à Vienne à l’occasion de la présentation de son livre « Medicus Magnus - The Revolution in Medicine and how we use it ».
LE QUOTIDIEN : Où en est votre projet de greffe de tête ?Pr SERGIO CANAVERO : Lorsque nous avons discuté pour la première fois en 2013, je n'ai pas révélé le véritable objectif de ma démarche : la greffe de cerveau. À l’époque, j'ai menti, à vous et à tout le monde. j’ai dit que je voulais faire une greffe de tête. Maintenant que la Chine a effectué la première greffe de tête (projet HEAVEN/GEMINI en vue de la première transplantation de tête avec fusion des moelles épinières), tout le monde peut se rendre compte que j’avais raison et que les autres avaient tort. Aujourd’hui, je peux lancer le projet Brave, Brain and Anastomose venture qui vise à réaliser la première greffe totale de cerveau de l’histoire de l’humanité. C'est en réalité une greffe meningo-encéphalique parce que nous n’avons pas de technologie permettant de relier les veines du pont. Cela veut dire que nous greffons tout le cerveau avec la dure-mère ; le terme scientifique serait « anastomose meningo-encéphalique somatique ». Si j’avais dit cela, il y a quatre ans, on m’aurait traité de fou.
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Vous annoncez avoir participé à la première transplantation de tête en Chine. Quand cela s’est-il passé ?
En Chine où on m’a fait confiance, les Chinois ont cru au projet GEMINI, une technique sans laquelle la greffe est impossible. Les plus hautes instances chinoises ont décidé de voir si cela pouvait fonctionner. Il y a un an, la Chine a effectué la première transplantation sur un modèle humain la première anastomose céphalo-somatique de l’histoire. L’intervention a duré 18 heures. L’équipe dirigée par le chirurgien chinois Xiaoping Ren a prélevé la tête d’un homme qui venait à peine de mourir et l’a positionné sur le corps d’un autre patient également à peine décédé.
Les deux patients étaient atteints d’un cancer et ils étaient hospitalisés dans le service d’oncologie de l’hôpital Harbin (province de Heilongjiang) qui a une capacité de 5 000 lits. Pour les deux corps, le consentement des familles a été recueilli. Il fallait des cadavres frais pour contourner le processus de la décomposition. Les nerfs, les vaisseaux sanguins et la colonne vertébrale ont été parfaitement connectés. Le larynx, les nerfs phréniques, rien n’a été endommagé.
Quel a été votre rôle au sein de l’équipe chinoise ?
Je m’occupe seulement de la partie concernant la moelle épinière, tout le reste a été fait par les Chinois. C’est une histoire de découpage, de couture, de jointures, de soudures. Deux chirurgiens américains ont admis que si le patient est sain, c’est-à-dire qu’il n’a pas de cancer par exemple, c’est une simple affaire de chirurgie standard. Ils l’ont affirmé dans la revue américaine « International journal surgery ». Reconnecter la moelle au bout du compte n’est pas très compliqué, seulement fatiguant. La Chine a décidé de monter une équipe légère et spécialisée dirigée par Xiaoping Ren. Nous étions vingt chirurgiens plus les paramédicaux et les techniciens.
Valéry Spiridonov s’est porté candidat pour la greffe de tête. Quand l’opération aura-t-elle lieu, vous aviez annoncé une opération en décembre ?
Le projet chinois ne prévoit pas une opération sur un ressortissant russe. La Chine s’occupe des Chinois. J’ai discuté avec l’Académie des Sciences russe, avec des chirurgiens russes. Le projet les intéresse mais ils n’ont pas de fonds. En réalité, ils en ont. Nous avons proposé avec le Pr Xiaping Ren de l’aider mais c’est impossible. Il existe un autre problème, à la fois psychologique et physique. Valéry Spiridonov a le type slave, sa peau et sa carnation n’ont rien à voir avec celle d’un Chinois. Il faudrait trouver un donneur russe ce qui est possible mais visiblement les Russes ne sont pas intéressés par le cas « Valéry Spiridonov ». J’ai discuté avec lui, je lui ai dit qu’il pourrait marcher après l’intervention, courir je ne sais pas. Souvenons-nous toutefois des images tournées en Corée du Sud avec le chien qui gambadait comme un fou et les rats aussi d’ailleurs.
Vous envisagez donc réellement une transplantation chez l'homme. Combien de chances de survie pour le receveur ?
En l’état actuel, j'estime le niveau très élevé, plus de 90 %. Si on réussit à congeler la tête avant la mort, les possibilités de réussite sont infinies. Mais le Pr Xiapong Ren ne partage pas mes idées sur l’hypothermie profonde.
Quelles seront les étapes de cette intervention ?
L’intervention se déroule en deux temps sur deux jours. Le premier jour, le receveur est emmené au bloc opératoire et le chirurgien établit une connexion entre l’artère vertébrale et la carotide externe. On recoud et on réveille le patient. Dès qu’on trouve un donneur, on passe à la phase 2, c’était-à-dire la greffe. Durant l’intervention, le flux cérébral n'est jamais interrompu parce qu’on utilise une machine pour établir une circulation sanguine croisée entre le donneur et le receveur. Le transfert de tête dure quelques secondes à peine. À partir du moment où le sang commence à circuler, il commence immédiatement à irriguer le tronc cérébral où se trouve le centre respiratoire. Après, on recoud. Le seul problème concernerait éventuellement le polygone de Willis qui est incomplet dans 50 % des cas. Il faudrait donc d’abord faire une angiographie. Grâce à la connexion effectuée le premier jour sur le receveur, on évite le problème du cycle incomplet. Cette procédure mise au point par le Pr Xiaoping Ren est extraordinaire.
Comment réactiver la respiration ?
Grâce à la procédure GEMINI qui permet de rétablir la motricité du corps avec la fusion des moelles épinières du donneur et du receveur. On coupe la moelle épinière puis on raboute les nerfs des deux patients et enfin on ajoute des molécules PEG (polyéthylène glycol) pour fusionner les axones des neurones lésés. On reconnecte les cordons nerveux à l’aide d’une stimulation électrique. En fait, ce système représente la clef de voûte de ce type d’intervention, sans elle, la greffe est impossible.
Au départ j’avais proposé de couper à la hauteur de C5, de couper les nerfs phréniques et d'utiliser la technique GEMINI. La Chine a refusé et nous avons décidé de sectionner au niveau de C3, C4 et C5. On a épargné deux racines C4 et C5 qui forment le nerf phrénique. Les tests sur les animaux ont démontré que ce type de procédure suffit à soutenir le diaphragme. Après avec la fusion de la moelle épinière, le signal passe normalement et la respiration repart. Cela a fonctionné sur les singes et les rats.
Avez-vous effectué d’autres transplantations depuis celle de l’an dernier en Chine ?
Il faudrait le demander aux Chinois. C’est l'affaire de la République populaire de la Chine. J’ai été autorisé à donner une partie des informations, le reste… Il faut savoir que beaucoup de tests ont été faits mais c’était la première fois l’an dernier, que l’on faisait tout en même temps sur la base d’un programme, d’une feuille de route plus exactement, chirurgicale.
La Chine s’est lancée dans cette aventure pour soigner les maladies dégénératives comme la dystrophie musculaire. Cette technique va bouleverser la médecine et la vie d’un certain nombre d’êtres humains atteints de graves pathologies.
Mais il va falloir du temps pour perfectionner le protocole. Nous avons lancé un ballon d’essai, il y aura une évolution.
Pour en revenir aux questions de greffe de ce type : on parle d’avatars, de transplanter un cerveau dans un cyber et tout cela ne fait pas scandale contrairement à mon projet qui fait sursauter et réagir tout le monde. Mais greffer sur un cyber n’a rien à voir avec l’être humain, nous ne sommes pas faits pour cela. Je profite de la sortie de mon livre « Medicus Magnus, The Revolution in Medicine and how we use it »* pour lancer la prochaine étape : la greffe du cerveau. Les critiques vont fuser mais on commencera à réfléchir. Les neurologues qui ont le sentiment d’être à un pas de Dieu, vont sursauter.
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Propos recueillis à Vienne par A
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