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lundi 20 novembre 2017

Alexia Cassar, la tatoueuse qui redessine les seins des femmes

Cette ex-biologiste a travaillé dur pour parfaire sa technique de tatouage 3D. Aujourd’hui, elle réalise aréoles et mamelons en trompe-l’œil sur les poitrines reconstruites après un cancer.

LE MONDE  | Par 
Alexia Cassar, en novembre.
Alexia Cassar, en novembre. Thibault Stipal POUR LE MONDE

Aux côtés des chirurgiens discutant technique du lambeau dorsal et lipomodelage avant prothèse était assise une tatoueuse. Le 9 juin, au congrès de chirurgie mammaire de l’Institut Curie, une femme aux yeux translucides redessinés de noir, les bras plus spectaculaires encore, couverts d’un ­entrelacs de pivoines et de feuillages, venait expliquer à l’aréopage de spécialistes comment donner aux seins l’air de vrais seins par la magie du dessin.

Alexia Cassar, « Miss Tétons » sur les ­réseaux sociaux, tatoue aréoles et mamelons en trompe-l’œil sur les poitrines reconstruites de l’après-cancer. Le résultat ? Si réaliste que certains chirurgiens plasticiens lui adressent désormais leurs patientes. Ils sont en confiance. Alexia Cassar a eu une première vie de biologiste, œuvrant au développement de médicaments innovants, avant d’installer une unité de recherche clinique dans le service d’oncologie de l’hôpital parisien Saint-Louis. Jusqu’à ce qu’elle nomme son « changement de paradigme » : la naissance de sa fille Capucine, trisomique, rapidement atteinte d’une leucémie myéloblastique – elle est aujourd’hui en rémission.

« La chaîne humaine formée autour de nous a bouleversé ma façon d’appréhender le cancer, se souvient la toute jeune quadragénaire. J’avais participé au développement de molécules, mais qu’est-ce que j’avais fait pour les ­patients ? Dans l’industrie pharmaceutique, je ne me sentais pas suffisamment aidante. » Aux hasards de Facebook, elle découvre Vinnie Myers, « the nipple artist » (selon leNew York Times), cet « artiste du téton », tatoueur star de Baltimore, auquel tant d’anciennes patientes américaines confient leur poitrine après avoir parfois traversé tout le pays.


Un travail d’artiste peintre


« Quelle merveilleuse idée ! C’est devenu pour moi obsessionnel. Pourquoi ne proposait-on pas la même chose en France ? » Alexia Cassar profite de ses visites dans les centres anticancers pour interroger les chirurgiens. Elle compile les données scientifiques, démissionne de l’industrie, se voit expédiée en couveuse d’entreprise par un conseiller de Pôle emploi peu convaincu que tatoueuse de tétons ­devienne un jour un métier. Elle, elle n’en doute pas. Chaque année, 20 000 femmes ­subissent une mastectomie. Pour la minorité de celles dont la poitrine est ensuite reconstituée, la greffe de plaque aréolo-mammaire ne va pas de soi : refus d’une nouvelle intervention, dépassements d’honoraires…
« Alexia Cassar travaille sur les ombres, les couleurs, la forme, elle reproduit les tubercules de Montgomery », Alfred ­Fitoussi, ex-chirurgien de l’Institut Curie
Et, même effectuée, elle n’est pas forcément réussie, reconnaissent eux-mêmes les chirurgiens plasticiens, comme le docteur Alfred ­Fitoussi, cet ex-chirurgien de l’Institut Curie qui a convié Alexia Cassar au colloque. « Nous avons 20 % de très beaux résultats, mais pas 100 %. Le volume ne tient pas forcément, la couleur n’est pas au rendez-vous », admet-il. Alors il lui arrive de suggérer le tatouage 3D. « Alexia Cassar parvient à un rendu supérieur aux tatouages effectués en dix minutes par nos infirmières avec cinq ou six pigments ­résorbables… Elle travaille sur les ombres, les couleurs, la forme, elle reproduit les tubercules de Montgomery. Nous, nous ne sommes pas des artistes peintres ! »

En un mot : les pigments médicaux font des aréoles en rondelles de chorizo qui s’effacent en deux ou trois ans. Vinnie Myers ne pouvant la former, Alexia Cassar se fait la main dans un salon de tatouage proche de chez elle, puis au Texas, auprès d’une Canadienne, ­Stacie-Rae Weir. Et même sur sa propre hanche, où un téton d’entraînement témoigne d’un certain don de sa personne. En février, elle obtient par financement participatif de quoi ouvrir son Tétons Tattoo Shop, « salon de tatouage dédié à la reconstruction après un cancer du sein ». L’influent milieu des blogueuses cancer s’est mobilisé.

Une trentaine de femmes venues de partout en France, et même des pays voisins, a déjà fréquenté la petite maison de bois bâtie au fond de son jardin, à Marly-la-Ville (Val-d’Oise), que l’on découvre reposante et gaie. A gauche de l’entrée, les anciennes malades, tasse de thé en main, confient leur parcours de combattantes du cancer sur fond de papier peint verdoyant, entourées de jolis meubles chinés et de patères-têtes d’animaux. A droite, côté fauteuil médical, elles aperçoivent un alignement ­parfait de fioles d’encre et de tiroirs à matériel stérile. L’hôte du lieu se dit « psychorigide de formation ». Avant de recevoir ses patientes, elle a vérifié la date de la dernière intervention (un an minimum), demandé aussi de bonnes photos des seins reconstruits, histoire de s’assurer que la peau n’est ni trop fine sur la prothèse ni trop fragilisée par la radiothérapie.


Ne pas encrer de sentiments négatifs


Puis viennent les deux heures trente de rendez-vous pour trente minutes de tatouage. Alexia écoute, « exorcise ». « Je leur dis que c’est la dernière fois qu’elles racontent avant de passer à autre chose. On n’encre pas de sentiments négatifs… Puis je les rends actives après ce tourbillon de soins qui dépersonnalise. On décide ensemble de ce que la poitrine va devenir. » ­Tatouage effectué, illusion de relief et de texture créée, le premier regard dans le miroir vaut à chaque fois « cataclysme » pour ces ­patientes et leur tatoueuse, qui mesure sa chance. « Normaliser une apparence, redonner une capacité à s’aimer ! On rebranche plein de choses avec ce cercle de quelques centimètres de diamètre. Le cerveau réintègre le sein. »

Trois mois plus tard, pour la retouche couleur, les ex-malades paraissent souvent plus apprêtées. « C’était l’achèvement de tout un parcours. Un point final, un combat gagné. Je regardais de nouveau mon corps avec plaisir », se souvient Aurélie, 41 ans, venue tout exprès du Var. A peine ouverte, la petite maison dans le jardin ne désemplit pas. Six mois d’attente, déjà. Alexia Cassar envisage de ­réduire un brin le temps accordé pour ­accueillir davantage. De former, aussi, une poignée de personnes triées sur le volet. « Il faudrait cinq à dix lieux dédiés en France, travaillant en partenariat avec les hôpitaux. » Elle a monté sa chaîne YouTube, se démène contre la censure des photos de seins nus sur les réseaux sociaux. « Les femmes doivent être informées, ce choix existe ! »

Le remboursement de ce tatouage définitif (400 euros le sein, 600 euros les deux) par la Sécurité sociale aurait tout d’une bonne nouvelle
Au centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne), le chirurgien Nicolas Leymarie, spécialiste de la ­reconstruction mammaire, est un soutien de la première heure, convaincu par ses patientes revenues ravies du Tétons Tattoo Shop. « C’est un complément à la reconstruction chirurgicale, dit-il. Une technique plus esthétique et ­durable que notre technique actuelle de dermopigmentation. » Rien à craindre, donc, de l’utilisation d’encres définitives ? « Alexia utilise des encres de qualité, tracées, et on a un ­recul de plusieurs millénaires sur le tatouage. Aucun risque n’a été démontré. Nous sommes exposés au quotidien aux mêmes nanoparticules que celles présentes dans les pigments. »

Au point que, côté médecins, le remboursement de ce tatouage définitif (400 euros le sein, 600 euros les deux) par la Sécurité ­sociale aurait tout d’une bonne nouvelle. Deux patientes l’ont d’ailleurs obtenu après demande d’entente préalable adressée par leur chirurgien. Alexia Cassar, elle, ne s’est pas dessiné un avenir de millionnaire. Elle doit, en complément, jouer les rédactrices médicales, conseils en développement clinique et porte-parole d’associations de patients. Regrette-t-elle sa vie de cadre sup de l’industrie ? « Comment voudriez-vous ! Bien sûr, mon compte en banque est vidé et on ne part plus en vacances, mais je n’ai plus besoin de combler un vide avec des tatouages sur mon corps ou des achats compulsifs. Pour la première fois, je me sens à ma place. Chaque jour j’aide. » A la voir tout sourire devant ses fioles d’encre classées par couleurs, on devine que cette plénitude n’a rien d’un trompe-l’œil.

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