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mercredi 21 juin 2017

Pourquoi faire consulter un psychologue à un enfant qui a mal ?


F. REITER,
Psychologue, centre  douleur et  migraine de l’enfant et de l’adolescent,
hôpital A. Trousseau, AP-HP, Paris
Après une première évaluation médicale, voire multidisciplinaire des douleurs chroniques, quels enfants adresser au psychologue et dans quel contexte ? Florence Reiter précise ces conditions, ainsi que les méthodes mises en œuvre et leurs possibles résultats. Avec le cas d’Élisa, elle met en perspective ces données théoriques.
Le centre douleur et mi graine de l’hôpital Trousseau (Paris) reçoit des enfants et adolescents ayant des douleurs ou des céphalées chroniques. Dans un premier temps, le patient est vu en consultation médicale ou consultation multidisciplinaire médecin-psychologue* pour une évaluation de la douleur approfondie et multidimensionnelle. Les composantes sensorielles et émotionnelles de la douleur chronique sont détaillées. Cette évaluation est faite sur une ou plusieurs consultations en s’intéressant aux données médicales apportées par le patient et ses parents. Lors de ces consultations, l’enfant, lui-même, est invité à partager ce qu’il vit, ce qu’il perçoit de la situation et ce qu’il en a repéré. Les parents sont également amenés à raconter l’histoire de leur enfant et, si nécessaire, à compléter le contexte de survenue des douleurs, les facteurs déclenchants ou aggravants. Sont également évalués les retentissements sur le quotidien de l’enfant (sommeil, appétit, fatigue, humeur, limitation des loisirs, scolarité, etc.), les relations sociales, sur la vie familiale, etc.

L’orientation vers le « psy »

« J’ai mal » pour « Je suis mal », quand le corps s’exprime

Il apparaît souvent des éléments qui aident à « la compréhension globale de la situation et aux propositions thérapeutiques ». Cette évaluation globale permet souvent de faire apparaître des éléments nouveaux, des difficultés et souffrances intriquées et/ou anciennes. Ces consultations bio-psychosociales permettent au patient et ses parents de percevoir l’intrication des facteurs psychologiques et somatiques. Lorsque la composante psychologique paraît importante, il est proposé au patient de rencontrer un psychologue ou un pédopsychiatre**, afin d’évoquer plus spécifiquement les retentissements déjà évoqués et de proposer un suivi adapté.

Ni folie, ni manipulation

La douleur est réellement ressentie par le patient. Elle n’est pas remise en doute ou déniée, mais elle est prise en charge à différents niveaux. Étant dans l’impossibilité de comprendre ou de dire que ce qu’il vit est difficile, la douleur s’exprimerait à la place de l’enfant ou de l’adolescent.

Quels patients pour le « psy » ?

De manière générale, on pourra adresser en cas de retentissements importants, d’absentéisme scolaire, d’anxiété importante, de troubles de l’humeur, du sommeil ou de l’appétit d’un fonctionnement familial pathologique, de difficultés relationnelles avec ses pairs et sa famille.

Comment adresser au psy ?

Il est parfois difficile d’orienter. Le médecin peut partir des éléments fournis en consultation comme les événements déclenchants ou aggravants, le vécu du traumatisme initial, les symptômes en cours : troubles du sommeil, de l’appétit, de l’humeur, la fatigue, des absences répétées ou de nombreuses consultations médicales.
Il est important que le médecin souligne que cette démarche prend du temps et qu’elle ne sera pas magique. Il faut veiller à faire le lien avec le psy et à ne pas arrêter les consultations médicales.

La prise en charge du psychologue

Des projets thérapeutiques

Le psychologue reçoit l’enfant et ses parents sur quelques séances espacées afin de proposer un projet thérapeutique adapté à leur demande et d’évaluer ce qu’ils perçoivent de la situation. Il peut proposer :
• des médiations corporelles comme la relaxation thérapeutique, l’hypnose ou la sophrologie, en individuel ou en groupe ;
• une psychothérapie verbale avec médiation : pâtes à modeler, jeux, dessin, etc. ;
• une thérapie familiale ;
• des entretiens ponctuels avec l’enfant et les parents. Ces suivis sont plus ou moins longs en fonction de l’histoire de chaque patient.

Des méthodes efficaces

Plusieurs méta-analyses ont établi que les psychothérapies et aussi les médiations psycho-corporelles comme l’hypnose, la relaxation, le biofeedback sont efficaces dans la prise en charge de la douleur de l’enfant et de l’adolescent.

« Les douleurs chroniques rebelles » d’Elisa

Le temps de la consultation médecin-psychologue

Élisa K., 16 ans, est adressée pour « des dorsalgies et cervicalgies rebelles aux traitements médicaux ». Elle et sa mère sont reçues en consultation multidisciplinaire par le pédiatre et la psychologue. On note d’emblée chez cette grande jeune fille (1,80 m) une timidité importante qui se retrouve dans une position en retrait et des échanges gênés. 
• L’inhibition : un symptôme familial
Élisa est 3e d’une grande fratrie. Elle est au lycée. Elle était bonne élève au collège mais ses résultats ont baissé cette année. Elle se passionne pour le dessin. Les relations avec ses camarades de classe sont pauvres. « Je vais de groupe en groupe ». Ces réponses
sont obtenues après de longs silences. Le médecin fait part de son étonnement quant à l’inhibition d’Élisa, qui contraste avec la facilité de discours de la mère. Mme K. rapporte, qu’avant d’avoir ses enfants, elle comme son mari, étaient timides. Le père est resté très solitaire. Les grands frères d’Élisa sont également décrits comme très inhibés.

• La douleur comme expression de tensions dans la relation à l’autre
Élisa décrit des douleurs permanentes qui se sont progressivement étendues à tout le dos depuis 3 ans. En 4e, elle se plaignait parfois de douleurs dans le bas du dos. Elles se sont étendues l’année suivante au cou et à la base du crâne. Lors de la consultation, les douleurs les plus fortes sont localisées à l’épaule. Différents spécialistes ont été consultés sans parvenir à circonscrire les symptômes. Élisa a une dispense en sport. Elle ajoute, d’ailleurs, être toujours la dernière à être choisie pour la constitution des équipes. Elle ne peut rien dire de plus de ce rejet mais fait le lien, comme en début de consultation, sur une origine psychologique à ses douleurs. La mère précise qu’à différentes reprises, depuis le collège, Élisa s’est retrouvée écartée de ses paires, aux passages en 6e et en 3e : « Ses copines l’ont laissée tomber ». On note que les douleurs ont pour conséquence de la mettre à distance de ses pairs et de la rapprocher de sa mère, avec qui elle parle beaucoup quand elle a mal. Mme K. dit que ce n’est pas toujours facile dans son organisation familiale, elle n’a pas toujours le temps. Élisa parle alors parfois avec son frère aîné.
• L’hôpital comme lieu de lien
Élisa accepte de venir revoir le psychologue. Elle dit se douter d’un rapport entre « déceptions » et douleurs. En fin de consultation, sa mère pense que le problème d’amitiés d’Élisa a une répercussion sur son moral. Plus jeune, Élisa a eu des idées noires. Mme K. pense que sa fille est « mal dans sa peau » mais semble opposée à un suivi psychothérapique à proximité du domicile.
Nous comprenons que la mère accorde une place importante à l’hôpital. Elle nous rappelle les revenus faibles du père et la difficulté de mettre en place un suivi sur le lieu d’habitation.

Le temps du suivi psychothérapique avec le psychologue

Un mois plus tard, le psychologue revoit la jeune fille, seule puis avec sa mère. Élisa a toujours des douleurs intenses et des difficultés à s’exprimer. Elle est inquiète pour ses résultats scolaires, elle s’évalue mal, révise ses contrôles à 6 h du matin. On note des troubles du sommeil, avec des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes avec, dit-elle, des « spasmes intestinaux ». Nous reparlons des difficultés relationnelles d’Élisa. Après la consultation médecin-psychologue, sa mère a réalisé à quel point la timidité de sa fille la mettait en difficulté. Nous avons proposé à Élisa de participer au groupe de relaxation thérapeutique (méthode Bergès) avec deux autres patients. Le cadre de cette thérapie de relaxation permet de s’adresser au corps et d’amener cette adolescente à envisager ce que la douleur met sur le devant de la scène. L’identification aux pairs pourrait sussiter une autonomie psychique et physique vis-à-vis du cercle familial (l’inhibition), une distanciation dans la relation fusionnelle avec la mère et sa fratrie (induite par son symptôme douleur), mais aussi lui donner une place là où il est difficile pour elle d’en trouver une au sein de la fratrie nombreuse. Ainsi, la relaxation individualisée en groupe permettrait de mettre à distance ce corps familial et ainsi investir son propre corps. Le groupe évite à cette patiente d’être seule en séance, et ainsi de pouvoir « compter » sur les autres pour combler ses silences et peu à peu prendre la parole, se faire une place de sujet.
• Huit séances en groupe
Chaque séance commence par un temps de discussion avec le thérapeute et se termine par la relaxation. Élisa est dans un groupe de 3 patients du même âge (2 garçons, 1 fille) et est venue à 8 séances. Au fil de ces rencontres, elle ne parle plus uniquement de l’intensité et de la localisation de ses douleurs, mais fait des liens entre des événements (retard, lycée) et sa souffrance pour enfin aborder ses soucis au lycée. Lors des mobilisations au moment de la relaxation, on note des tensions musculaires importantes se traduisant parfois par une difficulté à plier les membres (comme des crispations).
D’autre part, dans les premières séances, il semble important pour Elisa d’avoir toujours le même emplacement, ce qui change aux dernières séances, indice de nouvelles souplesses tant psychiques que physiques.
• L’accès aux émotions : une ouverture
Le psychologue reçoit Élisa en entretien en fin d’année scolaire. Elle n’a plus de douleurs permanentes et les épisodes algiques s’espacent parfois pendant plus d’une semaine. Elle refait les séances seule quand elle sent la douleur revenir à la surface. Elle explique qu’en général les douleurs arrivent quand il y a trop de monde, qu’elle est en conflit avec des amis ou quand elle est en retard : « Je stresse toujours ». Ainsi, Élisa a peu à peu pris conscience que la persistance de ses douleurs provenait de conflits intérieurs. Désormais, elle identifie clairement les facteurs déclenchants et élabore sur l’origine de ses symptômes. Elle reproduit également les séances de relaxation à la maison ou au lycée pour relâcher ses tensions corporelles. Élisa peut enfin parler d’elle « sans passer par la douleur » et se permettre de se plaindre : elle se trouve timide et se pose beaucoup de questions. Elle parle de ses émotions : tristesse, colère, joie. Élisa dit aller mieux qu’en 3e, même si elle se sent triste de finir l’année. Elle évoque, avec fierté, ses dessins. Sa posture, plus ouverte pendant l’entretien, et son aisance verbale signent cette découverte de soi et sa possibilité de se mettre en lien. En parlant de la fratrie, elle verbalise que les «petits » sont plus difficiles que les « grands » : ils prennent plus de place. Elle ajoute aussi le fait que depuis l’année dernière son frère aîné se confie moins, il a « plus confiance en lui pour aller vers les autres ».
Il semble plus facile pour Élisa de parler d’elle. Cependant, elle nous dit qu’elle ne pourra pas continuer la relaxation en raison de la difficile organisation que cela nécessite pour elle et sa mère. Comme Élisa, Mme K. trouve que sa fille va mieux et qu’elle a moins de douleurs. Elle a également noté que sa fille perçoit ses douleurs comme un signal de « trop plein », de trop de stress. Mme K. raconte qu’elle a réussi à se faire un groupe d’amis. À la maison, sa mère a noté que sa fille a investi sa chambre dans laquelle Mme K. ne rentrait jamais. Il semblait difficile pour Élisa d’être dans un lieu où sa mère n’allait pas du tout. Malgré les améliorations notées et comme sa fille, elle dit l’impossibilité de continuer le suivi à l’hôpital Trousseau. Le manque de confiance en soi, la peur de l’échec scolaire, les troubles de sommeil sont évoquées par la jeune fille comme très invalidants et en lien avec la survenue et la persistance des douleurs. Le psychologue soutient l’amélioration des plaintes douloureuses, l’ouverture manifeste d’Élisa et précise la nécessité de continuer un suivi thérapeutique en CMPP pour Élisa. Un espace de parole lui permettrait ainsi d’élaborer et poursuivre ce travail.

Pour en savoir plus

• Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient. Recommandations de bonnes pratiques. www.has-sante.fr
• Annequin D, Tourniaire B, Amouroux R. Migraine, céphalées de l’enfant et de l’adolescent. Springer 2014.
• La prise en considération de la dimension psychologique des patients douloureux. Les cahiers de la SFETD. Mars 2013. www.sfetd-douleur.org/sites/.../cahier_sfetd_n1_-_mars_2013.pdf 
• Tourniaire B, Reiter F. La consultation douleur en binôme : corps et psyché indissociables. Arch Ped 2012 ; 19(6) : H272-3.
• Bergès-Bounes M et al. La relaxation thérapeutique chez l’enfant. Elsevier-Masson, 2008.
• Sites dédiés à la douleur de l’enfant : www.pediadol.orgwww.migraineenfant.org
• Comprendre la douleur – et ce que l’on peut faire en 10 minutes... Film accessible sur youtube.

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