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mardi 20 juin 2017

Aux sources du Coran

Avec humour, Rachid Benzine et Ismaël Saidi conversent et décryptent le texte sacré des musulmans.

LE MONDE  | Par 

Le livre

« Finalement, il y a quoi dans le Coran? », de Rachid Benzine et Ismaël Saidi. Ed. La Boîte à Pandore, 149 pages, 14,90 euros.

C’est un petit livre qui, sans doute, va dérouter. Par le ton qu’il adopte, empreint d’un humour inhabituel dans ce genre d’entreprise. Par le couple inédit que forment ses auteurs, l’un, « Belge, musulman de culture judéo-chrétienne », qui rêve de faire naître un « islam d’Europe » et s’alarme que dans sa ville, Bruxelles, de nombreuses mosquées, protégées par une liberté de culte qui les met à l’abri des regards, diffusent un message vide, intellectuellement pauvre, décalé par rapport aux exigences d’une société moderne. Ismaël Saïdi a écrit, en 2014, Djihad, une fable tragicomique sur l’engagement de jeunes paumés dans une cause dont, en définitive, ils ignorent tous les prétendus fondements.

L’autre est un érudit, chercheur, enseignant parisien qui, d’ouvrage en ouvrage, s’emploie à remédier à l’ignorance généralisée qui entoure l’islam, à faire connaître ce qu’il pense être sa vraie nature, à déconstruire les mythes, souvent destructeurs, que véhiculent certains courants fondamentalistes. Rachid Benzine a, par ailleurs, lui aussi écrit une pièce, Lettres à Nour (2016), récit poignant de la relation tragique entre un père, qui enseigne la religion musulmane, et sa fille, partie rejoindre un combattant.

Passant par le théâtre, le chemin du gamin de Saint-Josse et celui de l’intellectuel de Trappes étaient donc appelés à se croiser. Et de quoi parlèrent-ils ? De l’islam, évidemment… A propos duquel le premier avait énormément de questions, tandis que le second possédait des réponses, puisées dans sa connaissance de l’histoire et de l’anthropologie.
« Les grands textes sacrés sont des voyageurs. Ils traversent les siècles, voire les millénaires. Ils deviennent alors ce que les hommes de chaque époque en ­font », explique-t-il lors de sa première rencontre avec celui qui se demande si, en soumettant sa femme – comme, lui a-t-on dit, le Coran l’enseigne –, il pourra, enfin, installer dans sa chambre l’écran plasma qui lui permettrait de regarder plus confortablement Netflix… Raté : le savant qu’il consulte lui parle de « mur anthropologique », de la nécessité de replacer d’abord le texte dans son époque (le VIIe siècle).


Vision critique


« Pour comprendre le Coran, il faut comprendre trois choses ­essentielles : le temps, le lieu, le groupe humain du Coran », explique Richard Benzine. Et, dès lors, « quand on étudie l’histoire on doit repérer ce qui fait la spécificité de chaque société et quelles sont les différences. Il ne s’agit pas de juger, de dire que c’est bien ou mal, mais d’étudier ce qui est spécifique, sans ce qu’on appelle un jugement de valeur ».


« Point de départ et pas d’arrivée », le texte sacré doit donc être replacé dans son époque, délivré des exégèses tardives qui ont tenté de l’interpréter et l’ont « théologisé ». « En fait le Coran est souvent une sorte de prétexte pour des gens qui ne l’ont pas lu », suggère le coauteur de ce petit manuel de décodage. Il veut partir du texte et non pas de ses « traductions » islamiques qui l’ont reconstruit, sacralisé jusqu’à le rendre parfois totalement coercitif, ce qui accentue, chez beaucoup de musulmans européens, un sentiment de trouble et de décalage par rapport à une société que certains jugent dès lors incompréhensible, et d’autres hostile.

Déjà auteur des Nouveaux Penseurs de l’islam (Albin Michel, 2004) ou du Coran expliqué aux jeunes (Le Seuil, 2013, actualisé en 2016), Benzine s’est plié de bonne grâce à une autre démarche, celle du dialogue au quotidien avec le grand gamin qui sommeille en Ismaël Saidi, troublé par ce qui se dit ou se vocifère à propos de sa religion.

En neuf chapitres, leur savoureux dialogue, léger mais jamais creux, simple mais pas simpliste, aborde les questions qui, aujourd’hui, troublent les musulmans, les non-croyants et, au-delà, une société ébranlée. Les surenchères politiques sur les thèmes de la cohabitation, de la laïcité, du multiculturalisme ou, évidemment, du terrorisme rendent-elles audible un propos raisonné, étayé, nuancé ? C’est le pari de deux compères qui affirment vouloir s’adresser à « tout le monde » et surtout à tous ceux, explique Benzine, qui, par paresse ou par défiance, n’ont pas eu accès à une explication un peu dépassionnée sur les fondements de cette religion. Le livre, évidemment – et heureusement –, privilégie aussi une vision critique, sans laquelle toute croyance devient dangereuse.


Une mise en perspective


Ni énième plaidoyer pour un « islam libéral » ni ouvrage visant à la déradicalisation, ce voyage aux sources du Coran fera sans doute grincer des dents. Dans certaines facultés, on s’alarmera du ton adopté. Un chapitre est intitulé « Mécréants, chiens d’infidèles et autres curiosités », un autre « S’il te frappe sur la joue droite, coupe lui la tête », un autre « Salomon, vous êtes juif ?, Rabbi Jacob, scène 24, verset 3 » quand il s’agit de rectifier l’erreur selon laquelle le Coran parlerait de tous les juifs de tout lieu et de toute époque…

« Mon objectif est de rendre le savoir disponible, sans transiger sur la rigueur scientifique », réplique Benzine à l’intention des grincheux. Chaque conversation avec Saïdi est assortie d’une brève mise en perspective historique, géographique et philosophique.
Bien ciblée, elle rappellera, par exemple, que le Coran, contrai­rement aux idées reçues, est un texte très peu normatif et prudent en matière d’interdiction, misant plutôt sur l’exhortation et « l’appel au bon sens pour amener la collectivité à reconsidérer ses habitudes ». Le voile, les in­terdits alimentaires ? Que les rigoristes aillent voir quel est leur sens d’origine et ce qu’ils peuvent bien signifier dans le monde actuel. De quoi se persuader, en tout cas, qu’étudier une société sous le seul angle de la religion nécessite, au moins, ­la prudence.
« Finalement, il y a quoi dans le Coran? », de Rachid Benzine et Ismaël Saidi. Ed. La Boîte à Pandore, 149 pages


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