par Bertrand LAVOISY | 17 juin 2017
La psychiatrie a-t-elle encore les moyens d’être en marche ?
15 juin 2017
A quelques jours du renouvellement de l’Assemblée Nationale, le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
alerte la nouvelle majorité sur les besoins nationaux en santé mentale et les attentes des professionnels de
la psychiatrie.
Les futurs députés qui auront à se pencher sur les questions de santé devront notamment examiner le
prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale que prépare le gouvernement, avec un président
qui promettait comme candidat un maintien de l’ONDAM à 2,3 % sur 5 ans. Or depuis plusieurs années,
c’est une diminution constante qui est appliquée aux attributions régionales des DAF, tandis que les
péréquations pratiquées par les ARS se font selon des critères assez obscurs pour convaincre les
établissements de psychiatrie qu’il s’agit plus de répartir les mesures d’économie que de redistribuer les
financements de fonctionnement.
Des contestations s’expriment depuis plusieurs semaines dans des hôpitaux psychiatriques comme celui du
Vinatier à Lyon, ou de Pinel à Amiens, soutenus ou relayés dans d’autres régions, et qui signent plus qu’une
simple demande de moyens. A travers l’expression de l’épuisement des personnels et du mécontentement
devant le démantèlement des offres de soins, c’est une alerte sur l’écart entre les demandes adressées à la
psychiatrie, croissantes en quantité et complexes en nature, et les moyens qui lui sont attribués.
Le rapport de l’Assurance Maladie de fin mai a révélé que le poids de la santé mentale dans les dépenses
de santé n’a cessé de croître. Plus de 7 millions de personnes sont concernées par des remboursements de
soins psychiatriques, en consultation ou en hospitalisation ; une projection pour 2020 annonce une hausse
de 11 % du nombre de personnes atteintes de maladies psychiatriques. La maladie mentale rejoint en cela
les défis lancés aux sociétés occidentales par la croissance des maladies chroniques. Face aux dépenses,
c’est le recours aux réorganisations et restructurations qui est toujours préconisé par les tutelles, faute de
mieux: la sectorisation psychiatrique, qui est pourtant le résultat du virage ambulatoire pris par la discipline il
y a des décennies, bien avant que les dernières réformes ne le préconisent comme mesure d’efficience
pour la MCO, en a fait les frais. Fragilisé au fil des réformes par la volonté de fondre l’organisation de la
psychiatrie dans les mêmes recettes de planification que les autres disciplines médicales, le secteur
psychiatrique vient avec la loi de santé de perdre sa qualité de territoire, hospitalière mais aussi ambulatoire,
face à la logique de regroupements d’hôpitaux pensés pour la médecine et la chirurgie dans les GHT. Les
projets médicaux d’établissements qui en découlent abandonnent la continuité des soins organisée par la
sectorisation pour privilégier les mutualisations de gestion, en coupant les soins hospitaliers de leurs relais
ambulatoires.
En plus d’absorber depuis plusieurs années les effets des réformes sanitaires qui ignorent ses spécificités, la
psychiatrie a dû s’adapter sans délais aux 2 réformes successives touchant les soins sans consentement qui
lui sont seuls, réservés. Cette loi née de la volonté politique de renforcer la rétention administrative des
malades, a été remaniée in extremis par l’obligation constitutionnelle d’assurer le contrôle systématique des
mesures de privation de liberté par un juge : son application productrice d’une jurisprudence abondante,
génère dans les services de soins une prolifération quotidienne de traces de preuves pour répondre aux
exigences des autorités administratives et juridiques. Les différences d ‘interprétations liées à des logiques
parfois irréconciliables contraignent les soignants à un déploiement d’inventivité pour en déjouer les effets
pervers et assurer malgré tout ce qui reste de sanitaire dans des mesures faites originellement pour assurer
des soins à des personnes privées de la capacité d’y consentir.
La contrainte en hôpital psychiatrique a fait l’objet d’une exposition par l’article 72 de la loi de santé et produit
de récentes recommandations HAS qui laissent de côté les pratiques de contention rencontrées dans
d’autres lieux de soins somatiques ou soins de suite, où des états d’agitation ou confusionnels peuvent les
rendre nécessaires. L’instruction DGOS associée à ces recommandations n’a été assortie d’aucune mesure
d’accompagnement visant les facteurs favorisant les tensions en milieu hospitalier qui s’ajoutent aux
symptômes propres aux pathologies psychiatriques : des effectifs soignants en nombre suffisant, une
formation centrée sur la pratique relationnelle, des mesures d’encadrement pour répondre à la violence, aux
conduites suicidaires ou aux actes d’automutilation, des travaux d’aménagements et de modernisation de
locaux pour améliorer les conditions de séjour de patients aux capacités d’autonomie inégales, des moyens
en personnel mais aussi en matériel pour assurer des activités de sociothérapie, sont autant de conditions
pour réduire des pratiques qui ne sauraient disparaître par l’enchantement de seules consignes.
Car l’objet de la psychiatrie est d’origine et sous influence multifactorielle, que la recherche en
neurosciences ou les dispositifs jugés innovants ne suffisent pas à résoudre. L’augmentation du nombre de
mesures de soins sans consentement relevée par le rapport d’information de la commission des affaires
sociales de l’Assemblée Nationale n’a pas trouvé d’explication univoque, pas plus que l’importance de la
consommation nationale de psychotropes qui ne sont pas prescrits par les seuls psychiatres. Et la société
continue tout à la fois de suspecter la psychiatrie d’internements abusifs tout en lui reprochant des délais
trop longs pour répondre aux demandes de consultations ou de ne pas jouer suffisamment de rôle dans sa
sécurité, avec des psychiatres qui courent le risque d’être condamnés pour des homicides commis par leurs
patients.
Le prochain décret du projet territorial de santé mentale s’apprête à entériner pour la psychiatrie ce qui n’est
demandé à aucune autre discipline médicale : s’organiser pour être présente partout, de l’intervention en
structure médico-sociale aux soins en milieu pénitentiaire, de la consultation de psychiatrie de liaison aux
interventions à domicile, du diagnostic précoce à l’intervention en urgence en cas de crise ou de
traumatisme. Dans ce contexte, les nouvelles instances de niveau national que sont le Conseil National de
Santé Mentale, le copil de psychiatrie et le comité de suivi de la stratégie nationale « santé des personnes
placées sous main de justice » peuvent apparaître prometteuses mais leurs périmètres de réflexions ne se
substituent pas aux rôles et décisions des élus locaux et des nouveaux ministres.
Et les exigences d’interventions multiples ont un coût. Les travaux qui ont fini par être annoncés pour établir
des critères de modulations régionales des DAF après les alertes lancées par nos organisations
professionnelles ne doivent pas négliger le niveau national des décisions : le SPH demande depuis plusieurs
années que les budgets de la psychiatrie soient repérés dès le niveau national pour en permettre le suivi lors
des attributions régionales et aboutir à des règles équitables de répartition territoriales. La psychiatrie qui
avait à souffrir d’être confondue dans la DAF des campagnes budgétaires avec les SSR attend également
une avancée sur ses modalités de financement.
Le plateau technique en psychiatrie est d’abord humain et subit aussi accidents du travail et risques
psychosociaux quand il est demandé aux professionnels d’assurer toujours plus d’actions, dans un climat
toujours plus suspicieux vis à vis de la profession qui alimente la crise des vocations qui touche la
pédopsychiatrie et la psychiatrie générale.
Le SPH attend de la Ministre des solidarités et de la santé, et des parlementaires qui ont choisi de
s’engager, des mesures concrètes pour qu’il ne soit pas simplement demandé à la profession de s’adapter
aux restrictions et se soumettre à la multiplication des contraintes.
Dr Marc Bétrémieux, président SPH
Dr Isabelle Montet, secrétaire général SPH
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