Concluant en 1971 le premier essai clinique « randomisé » sur l’intérêt d’une prévention d’une rechute de la schizophrénie par un traitement neuroleptique au long cours, les auteurs (1) estimaient que pour maintenir une rémission des troubles psychotiques, cette prescription semblait « de peu d’intérêt à la fois chez les patients avec un bon pronostic et ceux les plus sévèrement malades », mais que ce traitement d’entretien pouvait au contraire être utile « chez les sujets se situant entre ces deux extrêmes. » The British Journal of Psychiatry publie une analyse récente sur ce même sujet : quel est à long terme l’intérêt d’une prescription prolongée de neuroleptiques ? L’espoir de contrer les récidives d’épisodes psychotiques est-il fondé ? Et, surtout, cette diminution éventuelle des rechutes de décompensation psychiatrique est-elle suffisamment significative pour contrebalancer le risque des « effets cumulés des neuroleptiques sur la santé physique et sur la structure du cerveau » elle-même ?
L’incidence somatique de ces traitements antipsychotiques au long cours est en effet documentée, notamment en matière de risque métabolique et/ou cardiovasculaire : dyslipidémie, obésité, résistance à l’insuline, diabète, arythmie... Et l’arrivée de neuroleptiques dits de « seconde génération » n’a pas supprimé ce risque : au contraire, il semble « plus élevé qu’avec les neuroleptiques de première génération » et certains auteurs (2) notent que « le passage (switch) aux neuroleptiques de seconde génération depuis le milieu des années 1990 s’est accompagné d’une augmentation de la mortalité. »
Cependant, le débat reste ouvert : ainsi, des données suédoises suggèrent « l’existence d’une plus faible mortalité chez les schizophrènes sous neuroleptiques au long cours » que chez ceux ne recevant pas ce type de médicaments. Malgré une « controverse persistante » et des incertitudes à ce sujet, les auteurs recommandent une attitude prudente, fondée sur le principe de précaution : le « psychiatre avisé » devrait régulièrement évaluer le rapport bénéfices/risques « pour chaque patient recevant un traitement prolongé par des neuroleptiques », en raison du risque d’effets latéraux indésirables (improprement qualifiés de « secondaires » bien qu’ils puissent parfois occuper le devant de la scène) et à cause d’une baisse possible, voire d’une « perte de l’efficacité », d’un traitement neuroleptique ininterrompu. C’est pourquoi les psychiatres devraient « travailler en accord avec leurs patients pour réduire progressivement les posologies des neuroleptiques aux doses minimales » permettant d’éviter une rechute des symptômes psychotiques. Selon les estimations des auteurs, « plus de 40 % » des sujets en rémission après un premier épisode psychotique pourraient bénéficier d’une « évolution favorable sur le long terme, soit sans traitement neuroleptique, soit avec une très faible dose » d’entretien.
Dr Alain Cohen
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