LE MONDE | 22.12.2016 | Par Isabelle Rey-Lefebvre
Dans le 11e arrondissement, des commerçants ouvrent leurs portes aux sans-abri pour rompre leur isolement.
Dans le 11e arrondissement, des commerçants ouvrent leurs portes aux sans-abri pour rompre leur isolement.
L’autocollant apposé sur la porte de quelque trois cents commerçants parisiens est discret : le logo, un carillon formé de trois cloches, avertit les initiés qu’ici l’accueil des sans-domicile-fixe sera bienveillant. Ils peuvent pousser la porte et demander à aller aux toilettes, recharger un téléphone portable, passer un coup de fil, faire une photocopie ou réchauffer un plat sans se faire comme souvent rabrouer.
« Les relations sont d’emblée moins tendues, la confiance se tisse », raconte Louis-Xavier Leca, jeune Parisien enraciné dans le 11e arrondissement qui, en septembre 2014, a créé ce réseau solidaire baptisé Le Carillon. « L’idée, c’est de mobiliser les citoyens, les commerçants, à la mesure de leurs moyens, et surtout de rompre cet isolement, l’une des plus grandes souffrances des sans-abri que l’on croise tous les jours en détournant le regard, explique ce diplômé d’économie. C’est aussi une façon de ne pas les cantonner dans les circuits spécialisés de l’action sociale ou des associations caritatives. » Un petit guide papier récapitule, par quartiers, qui propose quoi et à quels horaires. Les associations partenaires, la Croix-Rouge, Emmaüs, la Chorba, l’Ordre de Malte, les Restos du Cœur, les distribuent lors de leurs permanences ou de leurs maraudes.
« Le principe de Coluche »
« Pour nous, commerçants, ça ne nous coûte rien et on applique le principe de Coluche : s’occuper de ce qui est à sa porte », tonne Charly, le poissonnier de la rue Oberkampf, tout en préparant un plateau de fruits de mer. Bonnet rouge à la Cousteau vissé sur la tête, cette figure locale, distingué meilleur écailler de France, élu au conseil de quartier, est un des piliers du Carillon. Sa boutique ouverte sur la rue, à côté des bains-douches municipaux, est l’étape idéale. « J’ai besoin de les écouter. Beaucoup sont très cultivés, comme ce photographe des années 1970, à la dérive et aujourd’hui décédé, raconte-t-il. Autour d’un café, les jeunes se confient. Et je vois de plus en plus de femmes qui s’arrêtent ici avant d’aller faire leur toilette. Parfois, je leur propose un savon, une brosse à dents… »
Charly a entraîné dans l’aventure le pharmacien d’en face. « Refaire un pansement, prendre la tension, donner un conseil, communiquer l’adresse d’un médecin disponible ou d’un centre de soins, c’est notre métier et nous le faisons pour tous », explique ce dernier.
Les particuliers qui consomment chez les commerçants de l’opération peuvent financer des bons pour un café, un sandwich, un plat chaud, une coupe chez le coiffeur, à consommer aux horaires les moins chargés. Il y a aussi les événements, au rythme d’un par mois : pique-nique, apéros, soupes dites « impopulaires »… Le Carillon adore inverser les codes : ici, ce sont les sans-abri qui cuisinent des invendus pour les habitants du quartier. « J’aime éplucher les légumes, organiser la cuisine », confie J.-S., à la rue depuis un an, qui ne cache pas être du genre méfiant. « Avant, j’étais au fond du trou, enterré. Maintenant, j’ai monté quelques marches et j’en suis là,ajoute-t-il, en plaçant sa main à trente centimètres au-dessus du sol. J’ose rencontrer du monde, dire bonjour, comme à vous. » J.-S. est aussi devenu l’un des dix ambassadeurs du Carillon.
« C’est cool de pouvoir entrer dans un café et demander à se connecter au Wi-Fi, déclare Giovanni qui, à 22 ans, affiche quatre ans de galère. Avec les Carillonneurs, la relation est équilibrée. Beaucoup de travailleurs sociaux ou de bénévoles se croient supérieurs, posent des tas de questions sans se livrer eux-mêmes. »
Les fondateurs du Carillon se réunissent chaque trimestre pour tester de nouvelles idées. Elles ne manquent pas : un service de commande de vêtements d’occasion, en partenariat avec la friperie solidaire La Refinery, totalise déjà vingt commandes livrées ; des espaces de bagagerie ; l’échange des pièces de monnaies contre des billets, etc. L’initiative collectionne les récompenses de l’économie solidaire, de la Ville de Paris, les trophées de la Fondation Cognacq-Jay…
Partis du 11e arrondissement, les Carillonneurs ont déjà essaimé dans six arrondissements de l’est de Paris. Ils s’apprêtent à franchir le périphérique, vers Vitry, Charenton (Val-de-Marne) ou Montreuil (Seine-Saint-Denis).
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