Des laïcs et des prêtres multiplient camps et stages pour aider les hommes à se réconcilier avec leur masculinité, jugeant que la société et l’Eglise sont dominées par des valeurs féminines.
LE MONDE | 27.12.2016 | Par Nathalie Brafman et Cécile Chambraud
Lorsque Philippe Matron s’est inscrit au camp « Au cœur des hommes », il ne savait pas bien ce qui l’attendait. Trois jours plus tard, ce catholique pratiquant de 56 ans, père de six enfants dont cinq filles, est ressorti transformé de ces moments passés « entre frères » et avec le Christ. « J’ai découvert qu’on ne devient pas un homme grâce à une femme mais par son père ou par des références masculines », dit-il.
Quentin Schaepelynck, 34 ans, lui aussi catholique pratiquant, se souvient de moments très forts où l’on peut se livrer, faire tomber le masque : « J’ai compris quelle était ma place en tant qu’homme au sein de ma famille, dans la société. Y aller, c’était un petit cadeau aux miens. »
« Au cœur des hommes », « Optimum », association Pater… Depuis deux ou trois ans, les offres destinées spécifiquement à des hommes à la recherche de leur masculinité et de leur place dans l’Eglise catholique se multiplient.
Comme si une inquiétude existentielle s’était emparée d’eux. Camps, retraites, expéditions, fraternités à l’ambiance « virile mais pas bourrin » sont venus s’ajouter aux quelques pèlerinages des pères de famille (Cotignac, Saint-Michel, Vézelay) déjà existants.
Ce phénomène très nouveau est certes encore limité, mais le bouche-à-oreille lui donne du dynamisme. Le père Alain Dumont, pionnier des retraites pour hommes, créées à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) il y a une quinzaine d’années, témoigne de cet engouement : « Nous avons commencé avec des retraites de dix ou douze hommes et, depuis cinq ans, cela monte en force. Aujourd’hui, chacune rassemble entre 80 et 120 hommes, majoritairement des trentenaires et des quadragénaires. » Aussi les a-t-il fait essaimer ailleurs en France.
Des techniques venues des milieux évangéliques américains
A l’origine de cette réflexion sur la masculinité et de ces initiatives, on retrouve souvent des laïcs, parfois insatisfaits de leur place dans l’Eglise. Des prêtres s’y trouvent aussi impliqués, mais ces initiatives sont d’abord l’un des fruits du grand mouvement de réaffirmation catholique qui s’est produit en 2013 lors des manifestations contre la loi Taubira sur le mariage homosexuel. « Ça a créé des liens et des initiatives. On est sur la lancée de ce dynamisme », confirme le père Simon Chouanard, curé du Cœur-eucharistique-de-Jésus, dans le 20e arrondissement de Paris.
La réflexion sur le masculin et le féminin conduite dans ce creuset a peut-être donné son impulsion à ce mouvement masculiniste. Il a pris forme dans la mouvance de la communauté de l’Emmanuel, qui a pour particularité de mélanger laïcs, laïcs consacrés et clercs, et autour de figures d’un catholicisme de réaffirmation, comme l’évêque de Toulon, Mgr Dominique Rey, aussi issu de l’Emmanuel.
Les derniers nés sont ces camps organisés le temps d’un week-end prolongé, qui attirent surtout les 30-50 ans. Les organisateurs se sont pour beaucoup inspirés de courants et de techniques venus des milieux évangéliques américains.
Un livre, au titre un peu boy-scout, fait figure de référence : Indomptable (Farel, 2015). Il est d’ailleurs fortement recommandé de l’avoir lu avant de venir au camp. Son auteur, John Eldredge, conférencier américain, pioche pêle-mêle dans son expérience personnelle, dans des scènes de films grand public (Gladiator, Braveheart, Un monde parfait…) et dans la Bible pour illustrer et révéler à ses lecteurs « le secret de l’âme masculine ».
La thèse qu’il défend – « l’homme ne sera véritablement sûr et doux que s’il assume la force que le Créateur lui donne. Il a besoin de se battre (…), d’un lieu où le guerrier qui est en lui peut reprendre vie » – a rencontré un énorme succès.
Attente d’un « déclic »
Mis au point au sein de la communauté de l’Emmanuel, les camps « Optimum » ont été les premiers à acclimater ceux fondés par Eldredge. Depuis février 2013, deux fois par an, ils accueillent entre 120 et 275 hommes pour trois jours de conférences, de sports, de prières et de « moments conviviaux ». Pour leur responsable, Gabriel Morin, un laïc consacré de 38 ans, les participants en attendent « un déclic ».
Patronnés par l’évêque de Toulon, Mgr Dominique Rey, les camps « Au cœur des hommes », à la Sainte-Baume, fonctionnent depuis l’automne 2014. Selon Clément Lescat, laïc de 40 ans qui en est le cofondateur, ils permettent de « décapsuler » les participants. « Il s’agit de leur faire prendre conscience des désirs profonds de leur cœur d’homme, spécifiquement masculins, que sont l’aventure à vivre, le combat à mener et la belle à conquérir », dit-il.
Ces catholiques sont en plein questionnement sur la masculinité, qu’ils jugent aujourd’hui « blessée ». A leurs yeux, l’Eglise comme la société, baignées par la mixité, entravent l’expression de ces « désirs » profonds et laissent les hommes incertains de leur rôle.
« Cela a un rapport à la force et à la violence » propres à l’homme, assure Clément Lescat. « C’est un sujet très épineux car la barbarie du XXe siècle a discrédité l’usage de la force. Aujourd’hui, l’homme se cherche entre deux caricatures : la soumission et la domination. Il a peur de ses désirs. Pourtant, il a un désir de combattre pour quelque chose qui le dépasse », résume-t-il.
« Il y a une force, une animalité en l’homme qui le pousse à aller vers l’extérieur. Elle doit être canalisée dans le don et la grandeur. Les garçons ont besoin de grandeur », affirme Arnaud Bouthéon. A 43 ans, cet ancien acteur des mobilisations contre le mariage pour tous et fondateur de Sens commun importe aujourd’hui en France l’organisation de bienfaisance catholique américaine des Chevaliers de Colomb, qui a la particularité d’être entièrement masculine.
Flottement dans l’identité masculine
« Dans les camps, on perçoit que les hommes, parfois, ne se sentent pas autorisés à être des hommes à fond, note Gabriel Morin. La virilité est suspectée d’une façon générale. Ils ont parfois intériorisé l’idée que c’est dangereux ou mal vu. Nous leur disons que la masculinité est une vocation, un appel de Dieu, et qu’on peut être pleinement homme sans être machiste et dominateur. »
Ces contradictions prendraient un tour aigu avec la « crise de la quarantaine ». « Dans la religion chrétienne, on dit aux hommes : sois gentil, sois doux et tais-toi. Imite Jésus, c’est un gentil. Ta force, mets-la de côté. Or, si Jésus est mort sur la croix, ce n’est pas parce qu’il est faible. Au contraire, il y va parce qu’il est fort et courageux », souligne Philippe Matron.
Tous les acteurs de ce mouvement viriliste évoquent avec envie des rites de transmission religieuse masculine, comme la bar-mitsvah (la majorité religieuse chez les jeunes garçons juifs de 13 ans), ou d’initiation, dans les cultures africaines. Ils regrettent que les garçons n’aient pas le temps de construire leur masculinité parce qu’ils « passent des bras de leur maman à ceux d’une jeune fille ». Pour expliquer le flottement qu’ils éprouvent dans l’identité masculine, ils évoquent pêle-mêle le poids du jansénisme, l’histoire du XXe siècle et « un rapport un peu compliqué au corps en France ».
Redonner du lustre à la masculinité, cela n’est pas destiné à entrer en compétition avec la place conquise par les femmes, assurent les artisans de ce réveil masculin. « Nous ne sommes surtout pas là pour réveiller la guerre des sexes », assure Clément Lescat. « Aujourd’hui, on tend vers une uniformisation des rôles, des façons d’être et de penser. Or si les hommes et les femmes sont totalement égaux, ils ne sont pas similaires pour autant », souligne Quentin Schaepelynck, qui a participé à l’un de ces camps pour homme.
« C’est le regard du père qui conforte la fille ou le garçon dans sa féminité ou sa masculinité », tranche le père Philippe de Maistre, aumônier du collège catholique Stanislas, à Paris, très engagé sur ces questions.
Ils trouvent même des vertus aux études de genre, pourtant vilipendées par le discours dominant dans l’Eglise. « Etre un homme, ça s’apprend et se construit, résume Arnaud Bouthéon. Il y a un mixte de nature et de culture. » C’est cette part culturelle de l’identité masculine qui leur paraît aujourd’hui à la peine.
Des cantiques qualifiés de trop « sucrés »
Il y a trois ans, l’abbé Simon Chouanard a fondé l’association Pater, qui propose quatre fois par an des week-ends à plusieurs générations d’hommes et de garçons, notamment pères et fils. « Certains regrettent que la mixité se soit faite sans réflexion dans l’Eglise, observe-t-il. Mais si l’on veut démontrer que les garçons et les filles ont des différences, il faut avoir des propositions d’éducation différenciées, car la fille n’a pas l’acquisition du genre à faire. Alors que le garçon doit faire un travail initiatique, il faut qu’il fasse un tour dans la communauté des hommes pour pouvoir revenir dans la communauté des femmes », explique l’abbé.
Dans l’Eglise catholique aussi, au clergé diocésain pourtant intégralement masculin, les laïcs à l’origine de ces initiatives font le constat que les hommes ne sont pas toujours à l’aise et qu’ils éprouvent le besoin de se ménager un espace pour être entre hommes.
L’effacement des communautés masculines pour les laïcs, l’omniprésence des femmes dans la vie paroissiale, des homélies jugées « asexuées », une liturgie post-concile Vatican II et ses cantiques qualifiés de trop « sucrés », tout cela contribue, selon eux, à une « féminisation de la vie en Eglise ».
« Où sont les mecs dans nos églises ? », s’écrit ainsi l’abbé Chouanard. « Aujourd’hui, beaucoup d’hommes suivent leur femme à l’église et ils ne se sentent pas suffisamment rejoints comme homme par l’Eglise », abonde Gabriel Morin, des camps « Optimum ». « Ils n’ont pas besoin de discours gnangnan. L’Eglise doit faire un gros travail de conscientisation sur l’homme », tranche Clément Lescat. La virilité de Jésus serait édulcorée, la figure de Dieu présentée comme trop maternante. « L’Eglise met en valeur les vertus féminines, assure le père de Maistre. C’est une Eglise matrice, couveuse, plus maternelle que paternelle. »
Pour plusieurs de ces militants de la masculinité, l’implantation de l’islam en France contribue aussi à bousculer l’identité des catholiques. « L’islam se développe sur ce manque de virilité. Il pose ces questions. Ils nous demandent : pourquoi n’êtes-vous pas plus forts ? Ils ne comprennent pas qu’on rentre la tête dans les épaules », assure l’abbé Philippe de Maistre. Gabriel Morin réfléchit aujourd’hui à adapter ces camps « à des jeunes des cités ».
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