Accompagné par l’orchestre de Quincy Jones, Henri Salvador proposa en 1958 sa désopilante chanson Blouse du dentiste[1], écrite en collaboration avec Boris Vian. Psychiatre et enseignant à l’Université Paris-Descartes, Franck Lamagnère présente, en 2016, une observation clinique qu’on pourrait aussi qualifier de « blues du dentiste », bien qu’elle concerne cette fois une dentiste elle-même et non l’un de ses patients, comme dans la célèbre chanson de Salvador. Ayant « déjà coulé un cabinet dentaire » et exerçant dans un nouveau cabinet en situation précaire, cette dentiste souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) qui la poussent à s’affubler « d’une bavette, de lunettes de protection, d’un casque en plexiglas et de deux paires de gants superposées » à chaque fois qu’elle soigne quelqu’un ! Outre cette singulière panoplie d’astronaute, elle a installé, dans son cabinet, un appareil pour stériliser tous ses vêtements et sous-vêtements. Et elle ne serre jamais la main des patients, mais passe toutefois deux heures dans sa salle de bains pour assurer sa « propre décontamination » quotidienne ! Motif de ces comportements étranges : la peur des « microbes », y compris celle d’« attraper le sida » au contact de sa clientèle. Pour réduire encore tout risque de contamination, elle ne fréquente plus les restaurants et n’a plus de relations sexuelles avec son mari depuis sept ans.
Comme pour environ 2 % de la population, le « blues » de cette dentiste consiste en un TOC : elle est « envahie par des pensées » suscitant « un mal-être et des compulsions », ressenties comme nécessaires pour apaiser ses angoisses et « imagine qu’une catastrophe surviendra en l’absence de ces rituels » (en l’occurrence d’évitement de tout contact rapproché, de « désinfection » et de lavage).
TCC et médicaments
Le psychiatre lui a proposé de contrer ces TOC invalidants par une approche cognitivo-comportementaliste, associée à un traitement médicamenteux (un inhibiteur de recapture de la sérotonine, également indiqué comme antidépresseur). Grâce à ce « duo gagnant », précise l’auteur, cette dentiste en détresse a trouvé à la fois le recul pour abandonner ses croyances erronées et pour oser s’attaquer à ses compulsions. Progressivement, la patiente a été incitée à se confronter au prétendu danger, dans le cadre d’une « technique d’exposition avec prévention de la réponse ritualisée visant à lutter contre les compulsions. » Le psychiatre lui a ainsi demandé de toucher un bâton de rouge à lèvres d’une patiente séropositive (après avoir lui-même donné l’exemple)... En définitive, nonobstant quelques résurgences des TOC sous forme de « superstitions portant sur l’assistante dentaire » (du type « si elle me passe l’instrument de telle façon, il va arriver un malheur »), cette dentiste devrait – touchons du bois et croisons les doigts !– retrouver une vie (professionnelle et conjugale) à peu près normale.
Dr Alain Cohen
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