C’est une vieille bataille, dans laquelle certaines organisations de sages-femmes hésitent à s’engager. Mardi 28 juin, six organisations de gynécologues se sont inquiétées, dans un communiqué, de récentes mesures gouvernementales en faveur de la prise en charge des patientes directement par des sages-femmes qui, selon ces médecins, « nuisent à la surveillance médicale des femmes ».
Mieux connues pour leur rôle lors des accouchements, les sages-femmes pourront bientôt, à la faveur d’un décret paru le 5 juin, procéder à des interruptions volontaires de grossesse (IVG) médicamenteuses (possibles jusqu’à sept semaines d’aménorrhée). En parallèle, le ministère de la santé a lancé le 22 juin une campagne de communication pour mieux faire connaître l’éventail de leur domaine d’action. Depuis 2009, elles peuvent assurer le suivi gynécologique de femmes en bonne santé (contraception, frottis…). Une campagne qui rappelle par ailleurs que la plupart des sages-femmes ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires.
Concurrence
Dans leur communiqué, les organisations de gynécologues fustigent toutefois une campagne qui « suggère que consulter une sage-femme est identique en termes d’accès aux soins à consulter un médecin, alors que les niveaux de formation et de compétence sont loin d’être les mêmes ». Selon elles, il en résulte « une perte de chances pour les femmes », liée àdes risques de « retard au diagnostic et à la mise en place d’un traitement adéquat ». Des déclarations « proches de la diffamation », déplore Marie-Josée Keller, présidente du conseil national de l’ordre des sages-femmes, qui, cette fois, a décidé de répliquer. Le conseil s’est dit, mardi, « profondément attristé » par ces déclarations.
Au cœur du différend, un mot que l’on prononce, de part et d’autre, du bout des lèvres : la concurrence. De plus en plus, les sages-femmes ont des compétences qui recoupent celles des gynécologues, à condition que la patiente soit en bonne santé. Dès lors qu’il y a pathologie, seul le médecin peut prendre celle-ci en charge. « On ne retire rien au métier de sage-femme », assure Michèle Scheffler, présidente d’honneur de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale. « Mais elles ne peuvent pas remplacer toute la qualité d’un médecin qui a fait douze à quatorze ans d’études », contre cinq pour leurs collègues.
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Cette crainte s’est exprimée à travers un récent imbroglio. Avec le recours aux IVG médicamenteuses (57 % des IVG en France métropolitaine), les sages-femmes ont été autorisées à prescrire quatre jours renouvelables d’arrêt de travail à leurs patientes.
Une décision que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français désapprouve. C’est également le cas du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens français (Syngof) : « Tout arrêt de travail relève d’une situation pathologique [qui] relève d’une prise en charge médicale par un médecin »,estime le syndicat représentatif de la profession.
Sur le compte Facebook du syndicat, sa secrétaire générale, Elisabeth Paganelli, s’est, elle, fendue d’un texte polémique. Si « tout se passe bien », écrit-elle, la patiente se voit proposer « de choisir le jour de l’expulsion [de l’embryon] un jour férié (…) ou de poser un jour de congé (cela lui évite de donner un arrêt de travail à son employeur et de craindre de devoir s’expliquer avec ses collègues) ». Privilégier un jour de congé plutôt qu’un jour d’arrêt pour pouvoir avorter, la sortie a fait grincer des dents.
Aujourd’hui, la médecin invoque un « malentendu », assurant avoir témoigné du vécu de ses patientes auxquelles elle dit « s’adapter ». « La plupart préfèrent le faire le week-end, car cela leur permet d’être accompagnée de quelqu’un, comme cela est recommandé, en raison des risques d’hémorragie », explique-t-elle. « On ne programme pas une IVG ! » rétorque Marie-Josée Keller. Plusieurs médecins contactés affirment ainsi faire en fonction de ce qui est le mieux pour la patiente, selon l’urgence de la situation, sa profession et sa situation personnelle, quitte à prescrire un ou plusieurs jours d’arrêt de travail. « Jamais dans ma carrière je n’ai eu à prescrire jusqu’à huit jours pour une IVG médicamenteuse. Si on doit aller jusque-là, c’est qu’il y a un problème », estime toutefois Elisabeth Paganelli, évoquant les risques d’abus. Le syndicat y a même vu « les prémices d’une médecine pleinement exercée par une profession qui ne l’a jamais apprise, avec les risques que cela comporte pour les patientes ».
Débat sur l’accès aux soins
Ces propos ont indigné les organisations de sages-femmes. « On sait où sont nos limites et on sait aussi adresser au médecin quand un cas devient pathologique », s’agace Elisabeth Tarraga, secrétaire générale de l’Organisation nationale syndicale de sages-femmes (ONSSF).« On n’a jamais dit qu’on allait prescrire systématiquement quatre jours d’arrêt de travail », ajoute Mme Keller. La présidente du conseil national de l’ordre rappelle que les sages-femmes ont déjà l’habitude de juger l’opportunité d’une telle décision, puisqu’elles prescrivent jusqu’à quinze jours d’arrêt de travail préventif pour les femmes enceintes.
Les organisations de sages-femmes insistent sur le fait que la plupart du temps, sur le terrain, les relations avec les médecins se passent bien. Mais elles dénoncent le « corporatisme primaire » de leurs instances représentatives. « Le vrai débat, c’est l’intérêt des patientes et l’accès aux soins », insiste Mme Tarraga.
Dans cette bataille, les sages-femmes savent qu’elles ont les faveurs du gouvernement. Celui-ci voit en elles une piste pour lutter contre la désertification médicale et l’encombrement des cabinets. Et ce d’autant plus que, selon les chiffres publiés mercredi 29 juin par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le mois d’août est celui où le nombre d’IVG est le plus bas. Or c’est aussi celui où les structures et les praticiens réalisant cet acte sont les moins disponibles.
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