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De mémoire d’observateur du monde médical, on a déjà vu ça. Les gynécologues et les sages-femmes se querellent depuis que les dernières ne sont plus seules au chevet des femmes. « Depuis quatre siècles nos deux professions se chamaillent. Si vous voulez monter nos professions l’une contre l’autre, répétez les erreurs de l’histoire » constate l’auteur sage-femme du blog Carnets d’un passeur. Ce dernier, relisant le communiqué qu’ont fait paraître cette semaine plusieurs instances représentant les gynécologues poursuit sur cette même ligne à propos de l’argument avancé selon lequel de trop grandes compétences attribuées aux sages-femmes pourraient représenter une perte de chance pour les femmes. Il remarque : « J’ai déjà lu ça. C’était dans une gazette de sage-femme de 1908, quand les sages-femmes n’avaient plus le droit de prescrire d’antiseptique. Je l’ai relu en 1974, parce que les sages-femmes n’avaient pas accès aux technologies nouvelles. Je l’ai lu en 1930 au Québec parce que les femmes n’avaient pas accès aux études supérieures. J’ai lu ça des dizaines de fois, des centaines de fois. Je l’ai entendu dans beaucoup de bouches. Des bouches d’hommes, de politiciens, de médecins ».
Vive les vacances !
Ce n’est donc pas la première fois, mais la millième, que sages-femmes et gynécologues se livrent une guerre picrocholine. A l’heure des blogs et de Twitter, la bataille prend cependant une nouvelle saveur et dans ce cadre, les sages-femmes apparaissent mieux défendues (on trouve à cet égard peu de blogs défendant la même que le SYNGOF sur le web).
Dès le début de ce nouvel épisode, plusieurs d’entre elles sont montées au créneau. On s’en souvient, c’est la publication d’un décret autorisant les sages-femmes disposant d’une expérience en la matière à réaliser des IVG médicamenteuses qui a mis le feu aux poudres. Le Syndicat national des gynécologues obstétriciens français (SYNGOF) s’est fendu d’un communiqué en soulignant que la possibilité pour les sages-femmes de prescrire des arrêts de travail allait à l’encontre du principe qui veut qu’elles ne doivent pas prendre en charge la "pathologie". Au-delà de ce rappel à l’ordre, le secrétaire général du SYNGOF a élargi le propos sur Facebook en estimant que plutôt qu’un arrêt de travail, les femmes seraient mieux inspirées d’utiliser un jour de congé afin que le motif de leur interruption ne soit pas connue et in fine pour que leurs arrêts trop fréquents ne soient pas utilisés contre elle par leur employeur pour justifier une rémunération plus faible que celle allouée aux hommes. Bien sûr, cette charge n’est pas passée inaperçue, d’autant plus qu’elle émane d’Elisabeth Paganelli qui s’était déjà fait remarquer en comparant les "maltraitances" de certains gynécologues (remarques déplacées, refus d’accéder à certaines demandes…) avec l’irrespect des patientes. Ainsi, la sage-femme du blog 10lunes n’a pas tardé à monter au créneau en ironisant : « C’est comme quand tu as la grippe, tu poses des jours de congé » avant de moquer : « Parce qu’en faisant des arrêts de travail à tout va à ces bonnes femmes même pas capables de prévoir le refus ou la rupture de capote, la gastro ou l’oubli de pilule, ben on les pénalise ».Avorter le week-end, accoucher en semaine !
De manière plus didactique, la juriste Marie-Hélène Lahaye auteur du blog Marie accouche là, dédié à la naissance et à ce qu’elle nomme les "violences" obstétricales, observe : « Sans surprise, cette gynécologue méconnaît le droit en ignorant qu’au nom du secret médical, la raison de l’interruption de travail ne doit pas être mentionnée sur le certificat. Depuis le confort de son cabinet libéral, elle doit en outre être peu sensible à la réalité des travailleuses pour lesquelles il n’est pas toujours aisé d’obtenir un congé un jour précis, surtout sans en expliciter la raison, ce qui les expose d’autant plus au risque de devoir évoquer devant son employeur sa nécessité d’avorter, ou d’inventer un quelconque mensonge. Quant à l’incitation à avorter un jour férié, je cite ma comparse Clara de Bort qui, sur Twitter, s’amusait de ce qu’"entre les obstétriciens qui veulent pas qu’on accouche le week-end et ceux qui veulent pas qu’on avorte en semaine… ", il reste probablement peu de place pour l’agenda spontané du corps féminin. Il s’agit surtout d’imposer une contrainte de plus aux femmes qui veulent avorter, qui s’ajoute à la difficulté de trouver un praticien dans le délai légal très court de l’IVG » estime-t-elle.
Approximations volontaires et mépris
La tempête, on le sait, ne s’est pas arrêtée à cette bataille autour des arrêts de travail. Cette semaine, la publication non plus seulement par le SYNGOF mais par plusieurs instances représentant les gynécologues d’un communiqué s’inquiétant des compétences élargies des sages-femmes vantées par une récente campagne du ministère de la santé a suscité de nombreuses réactions. Moins bavarde et pugnace qu’à son habitude, l’auteur de 10lunes a fait part de sa grande déception : « Non, je ne me fendrai pas d’un énième billet sur #NosAmisduSyngof. Je dirais même que là ce soir, je n’ai plus du tout envie d’en sourire. L’immensité de leur mépris, leurs approximations volontaires, leurs accusations sans fondement… Trop c’est trop ». Les Carnets d’un passeur ont préféré s’atteler à une petite explication de texte reprenant plusieurs des arguments des gynécologues. Il revient notamment sur l’artificielle scission entre physiologie et pathologie. « Les sages-femmes sont des diagnosticiennes. Nous sommes formés, entraînés, formatés à en être. Et c’est normal, car nous sommes en première ligne : salle de naissance, urgences obstétricales, gynécologie de prévention… Nous sommes une profession qui existe pour repérer et orienter et, avec un bon réseau, pour accélérer les prises en charge. Nous n’avons pour autant jamais eu vocation à traiter la pathologie… ». Le blog se moque par ailleurs de l’argument selon lequel les gynécologues pourraient être tenus responsables d’une faute qui serait commise par une sage-femme. « Dire que l’assurance d’un médecin couvrira une sage-femme, c’est infantiliser notre profession, la décrédibiliser, refuser de la traiter sur un pied d’égalité ». Mais la sage-femme tient à rassurer : « Je pense que, comme un médecin doit être lucide sur ses compétences (un gynécologue fera-t-il une consultation à la place d’un cardiologue ?), une sage-femme doit savoir quelles sont ses limites. Ce n’est pas une question de rester à sa place, c’est surtout une question d’honnêteté professionnelle. Les médecins se font confiance, les sages-femmes font confiance aux médecins, mais les médecins ne devraient pas faire confiance aux sages-femmes ? ».
Instrumentalisation ?
L’un des fils rouges des gynécologues, selon lequel les sages-femmes seraient instrumentalisées par le ministère de la Santé pour diviser deux professions, est également fortement nuancé. L’auteur des Carnets d’un passeur rappelle en effet, comme nous l’avons signalé, qu’il n’a pas fallu attendre Marisol Touraine et son manque d’aménité à l’égard des médecins pour assister à de telles querelles. Beaucoup jugent qu’il s’agit une nouvelle fois d’une tentative d’infantilisation. En outre, les sages-femmes ne se montrent elles aussi pas avares de critiques au sujet du ministère. Ainsi, concernant la campagne, l’auteur du blog Maïa raconte comment (contrairement au Carnets d’un passeur), elle a refusé de participer à l’opération de promotion, qui laissait peu de place à la diffusion de messages différents (notamment sur la vaccination).
Une bataille, mais pas vraiment la guerre
En dépit cependant de ces réponses courroucées à la charge des gynécologues, les sages-femmes se refusent à un conflit total. A l’instar de l’auteur de 10lunes qui espère que les auteurs du communiqué « ne représentent qu’eux-mêmes », les Carnets d’un passeur rendent hommage à la collaboration entre gynécologues et sages-femmes. « Et dans mon évolution professionnelle, je remercie tous les obstétriciens qui m’ont formé comme des sages-femmes les ont formés », conclue l’auteur du blog. On notera par ailleurs que même s’ils sont moins présents sur la blogosphère, des médecins ont pu défendre une vision différente de celle présentée par les instances "officielles". Ainsi, il y a deux ans, lors de la grande grève des sages-femmes qui avaient fini par courroucer les gynécologues, Luc Perino avait estimé que le développement des compétences des sages-femmes pouvait permettre de faire émerger une véritable réflexion sur les dangers de la sur-médicalisation selon lui trop souvent ignorés par les gynécologues.
Misogynie
Cependant, le caractère sans nuance de l’attaque lancée par les praticiens favorise la reprise de messages eux aussi parfois outranciers. Ainsi, Marie-Hélène Lahaye va jusqu’à assurer que «les gynécologues ne connaissent pas grand-chose de la physiologie des femmes ». Pour elle il est certain que cette polémique est une nouvelle illustration de la «misogynie » de la profession de gynécologue obstétricien, dont elle parle sans tenter d’établir une différence entre les praticiens. Elle déplore que face à cette situation, les sages-femmes tardent à se défendre (sauf sur les blogs !) et relève : « Face à cette misogynie et ce mépris pour leur profession, les instances professionnelles des sages-femmes peinent à affirmer la spécificité de leur métier » et regrette encore que : «Malheureusement, bon nombre de sages-femmes s’envisagent d’abord comme des techniciennes, comme des "obstétriciennes light" se limitant à être les petites mains des institutions hospitalières ».
Où sont les femmes ?
Et les premières concernées, c'est-à-dire les femmes ? On semble affirmer des deux côtés que cette polémique n’a d’autre souci que leur bien-être et d’éviter une "perte de chance", qui pourrait être toute relative. « Cette perte de chance, au vu des chiffres de santé publique (le suivi gynécologique est ouvert depuis 2009), cela reste principalement un argument commercial. Il s’agit de faire peur aux femmes » remarque les Carnets d’un passeur. Pour Marie-Hélène Lahaye la perte de chance est la conséquence de ce conflit : «Entre les gynécologues obstétriciens qui considèrent les femmes comme leur chasse gardée et les sages-femmes incapables de se hisser à la hauteur de leur fonction, les femmes payent le prix fort de ce conflit entre les soignants. Les futures mères subissent les risques d’une prise en charge défaillante en raison d’un défaut de collaboration entre sages-femmes et obstétriciens. Elles se voient priver de la liberté de mettre au monde leur enfant comme elles le souhaitent, en devant se conformer aux protocoles et diktats de professionnels défendant leurs propres intérêts. Elles sont contraintes de se soumettre sans broncher à la domination des soignants cherchant à se protéger les uns des autres », milite-t-elle. Les Carnets d’un passeur observe qu’on leur laisse peu la parole. « Est-ce qu’on a demandé ce que souhaitaient les femmes ? (…) Est-ce qu’on pourrait dépasser la basse querelle corporatiste pour s’intéresser aux premières concernées ? ». Il faudrait pour se faire ne pas considérer qu’elles refusent obligatoirement la "sur" médicalisation (ou qu’elles s’y sont soumises inconsciemment ou consciemment) ou qu’au contraire qu’elles manquent forcément de confiance dans les sages-femmes en raison des mauvais procès qui leurs sont faits. Vaste programme.
Pour poursuivre cette guerre séculaire, désormais à l’heure du 2.0, vous pouvez aller sur les Carnets d’un passeur : http://orcrawn.fr/
10 lunes : http://10lunes.com/
Marie accouche-là : http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/
Maïa :http://maiasagefemme.canalblog.com/archives/2016/06/20/33962984.html
et Luc Perrino http://lucperino.com/91/si-les-sages-femmes-pouvaient.html
10 lunes : http://10lunes.com/
Marie accouche-là : http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/
Maïa :http://maiasagefemme.canalblog.com/archives/2016/06/20/33962984.html
et Luc Perrino http://lucperino.com/91/si-les-sages-femmes-pouvaient.html
Aurélie Haroche
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