Tout dans l'autisme semble pousser au repli sur soi et à l'enfermement. C'est valable aussi bien pour les personnes autistes que pour toutes celles qui les accompagnent, tant parents que professionnels. Pourtant, contrairement aux clichés les plus répandus, le désir de changement et l'intérêt pour l'autre existent aussi chez ces personnes même si des angoisses massives entravent leurs manifestations. Il s'agit dès lors, pour tous ceux qui refusent le renoncement à la vie et l'enfermement dans une routine mortifère, de soutenir ces ébauches de désir tout en apaisant les terreurs qui les accompagnent.
Tout cela est bien beau et très facile à dire mais, dans la réalité de tous les jours, chaque pas est si difficile… Tous les parents d’enfants autistes ont dû renoncer à leur ancien mode de vie. Une simple promenade est une source de stress quand votre enfant risque à chaque instant de se faire écraser par une voiture à laquelle il ne prête aucune attention. Les courses au supermarché deviennent une épreuve quand il veut mettre tout ce qui l’attire dans le caddy et s’obstine à sortir par là où il est entré sans passer par les caisses. Le nombre d’amis et de parents qui vous invitent se réduit comme peau de chagrin (c’est bien le cas de le dire) et, finalement, on n’a même plus envie de les rencontrer car leurs préoccupations et leurs centres d’intérêt nous semblent tellement futiles.
Alors on rétrécit son univers, on ne sort plus le soir, on ne part plus en vacances et on privilégie les parcours connus et sécurisés.
Pourtant nous avons vite remarqué que notre fils Boris adorait les sorties : quand on lui propose d’aller au restaurant, il s’habille en quelques secondes alors que cela peut prendre des heures quand il n’est pas motivé. Quand il était petit son frère et sa sœur partaient chaque été en colonie de vacances. Il ne parlait presque pas à cette époque, il a commencé vers l’âge de 10 ans et il ne nous était pas même venu à l’idée de le laisser partir, lui aussi, loin de nous. Un jour, alors que son frère et sa sœur venaient de rentrer de colo avec leur sac à dos, nous le vîmes soudain entrer dans le séjour avec un sac. Je lui demandai s’il voulait lui aussi partir en vacances sans Papa et Maman, et à ma grande surprise, il répondit que oui. Très sceptiques, peut-être même un peu effrayés, nous avons reformulé la question de différentes façons et à différents moments mais la réponse était invariablement « oui ». Il fallait nous y résoudre et, l’été suivant, nous l’avons amené dans un centre de vacances adapté. Nous étions très inquiets, persuadés que les moniteurs ne résisteraient pas plus d’une nuit. En visitant le centre nous avons vite constaté que certains semblaient avoir plus de difficultés que notre fils mais, loin de nous rassurer, nous nous disions que ce n’était pas bien pour lui, que les autres ne lui apporteraient rien, qu’au contraire ils allaient le tirer vers le bas, que d’ailleurs ils étaient tous moches, voire effrayants pour certains. Bref nous revivions le traumatisme que nous avions vécu la première fois que nous étions entrés dans un établissement spécialisé et nous n’avions qu’une envie : rebrousser chemin et rentrer bien vite à la maison avec Boris. Mais lui ne paraissait pas du tout perturbé par cet environnement et nous avons donc accepté de prendre le risque de le laisser. En partant j’ai dû m’arrêter sur le bas-côté car j’avais la nausée. Les jours suivants, installés dans un hôtel à proximité, nous avons attendu chaque jour qu’on nous appelle pour venir le chercher. Deux semaines plus tard aucune catastrophe n’était arrivée et la colo s’est bien terminée. Boris avait l’air très content. Depuis cette première expérience de séparation il nous redemande chaque année de partir en colo, il veut regarder les catalogues car il veut chaque été découvrir un nouvel endroit.
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