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samedi 16 janvier 2016

Jeunesse oblige. Rendre les coups

LE MONDE DES LIVRES  | Par Christophe Honoré (écrivain et cinéaste)
La Révolte d’Eva, d’Elise Fontenaille, Rouergue, « Doado noir », 48 p., 8,30 €. Dès 12 ans.


Elise Fontenaille, 2011.
Elise Fontenaille, 2011. JI-ELLE/CC BY-SA 3.0

Il y a un mois, on ­pouvait voir, placardées dans les allées du Salon du livre jeunesse de Seine-Saint-Denis, à Montreuil, des grandes affiches barrées d’un slogan « La littérature jeunesse, c’est de la littérature ». On imagine combien pareille tautologie doit apparaître naïve, voire suspecte, pour toute personne peu informée de la crise que traverse le secteur jeunesse de l’édition. Ce cri, qu’on pourrait espérer être un cri de joie, un « Euréka ! » crâneur, est malheureusement un cri de plainte. Il a aujourd’hui le ton de la doléance. Il ­supplie de croire que, oui, la littérature jeunesse, c’est de la littérature.
Oui, elle vit et se révèle par le travail d’écrivains qui construisent une œuvre. Oui, elle est perturbante, difficile, délicate, contradictoire, folle, belle, terrible et, pour toutes ces qualités, constamment déconsidérée, menacée, détruite. Qui sont les agresseurs ? Avant tout certains auteurs, qui n’accordent que peu de valeur à leur tâche. Avant tout certains éditeurs, qui accordent plus de valeur aux produits qu’à l’écriture. Avant tout certains chercheurs, qui accordent valeur littéraire et discrimination sociale. Bref, les agresseurs sont ceux qui doutent des valeurs de nos enfants.

La révolte d'Eva par Fontenaille

Nul atermoiement, nulle prudence

Défiant cette armée solide, quelques chevaliers pavanent. Le roman d’Elise Fontenaille paru au Rouergue est un texte de combat. La Révolte d’Eva débute ainsi  : « Du plus loin que je me souvienne, papa m’a toujours tabassée. » Que peut la littérature jeunesse ? Rendre les coups. Elise Fontenaille [qui signe cette rentrée Bel Ordure, chez Calmann-Lévys’exécute avec bonté, puissance. Pour faire face à l’histoire de parricide dont elle se charge, elle choisit comme tactique d’écriture la vitesse. Nul atermoiement, nulle prudence de sa part, mais la volonté assumée d’en finir au plus vite. Elle pourrait écrire des pages sur la terreur familiale, des pages d’anecdotes qui diraient la misère d’une vie à l’écart, elle préfère galoper. Elle écrit depuis la place de celle qui s’est échappée. Un échappement qui n’avait rien d’une fuite. « J’ai posé le canon sur sa tempe, et j’ai tiré. » Les phrases claquent, s’emballent, ne se soucient guère d’être agréables, elles sont à la hauteur, cela suffit. Le pire advient et il est impossible de croire que c’est aussi le meilleur. Par la vitesse, Elise Fontenaille atteint l’incertitude, le tremblé, l’inachèvement. Elle s’échappe comme son héroïne de tous les pièges de son sujet.
La fille qui a tué son père sera acquittée à l’issue de son procès. La première chose qu’elle fera ensuite, c’est de se rendre au bord de la rivière, derrière la maison familiale. « Le printemps venait d’exploser d’un coup, c’était fou… Jamais il n’a été aussi rapide que cette année-là. Hier encore, il neigeait. » Puis de la rivière, elle marchera jusqu’à la tombe de son père pour y déposer une brassée de coucous, « De la part du chien, papa ». Et si je pleure à la fin de ce livre, ce n’est pas uniquement parce que je suis à la fois heureux et terrifié pour cette fille, mais aussi parce qu’Elise Fontenaille vient de trouver des mots précis pour décrire un secret partagé par tous les écrivains jeunesse  : les livres pour ­enfants sont des fleurs déposées sur les tombes de nos parents, de la part du chien.
  • Christophe Honoré (écrivain et cinéaste)

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