Les malades mentaux ne sont pas les seuls à subir la stigmatisation des foules : ils partagent ce douteux privilège avec leurs soignants et avec la psychiatrie elle-même ! Exerçant au célèbre Karolinska Institutet de Stockholm d’où sont décernés les Prix Nobel de Physiologie ou Médecine, le Dr Wasserman (président en 2014 de l’Association Européenne de Psychiatrie[1]) évoque cette problématique préjudiciable pour l’image de marque de la spécialité et formule quelques propositions pour y remédier.
Parmi « les forces et les faiblesses » de la psychiatrie figure le constat que les psychiatres ne joueraient plus le rôle de « bons modèles » pour les étudiants en médecine, car on leur reprocherait de « ne pas se tenir suffisamment informés des avancées scientifiques », comme le font leurs confrères somaticiens des autres disciplines médicales.
Cette mauvaise opinion sur les connaissances réelles des psychiatres entache la perception de leur efficacité par des tiers et contribue à discréditer la profession, ce qui dissuade en retour les jeunes médecins de se spécialiser en psychiatrie. Il en résulte un cercle vicieux, alimenté aussi par la présentation tendancieuse des psychiatres par certains médias[2] : plus la psychiatrie semble « ringardisée », comparativement aux autres spécialités, plus les étudiants s’en détournent, et plus sa marginalisation s’aggrave. L’auteur voit là un «acte d’accusation » (indictment) renforçant la stigmatisation à l’encontre de la psychiatrie et des psychiatres. Et pour contrecarrer cette situation fâcheuse, les paroles ne suffisent pas mais doivent s’accompagner d’actions (« les bottines suivent les babines» dit-on au Québec), c’est-à-dire de changements de comportement dans la profession.
Pour promouvoir la déstigmatisation de la psychiatrie et « modifier les sentiments négatifs » les concernant, une « feuille de route » s’impose aux psychiatres : mieux communiquer sur leurs compétences, informer le public et leurs confrères des autres disciplines sur l’avancement des connaissances dans les neurosciences, susciter des collaborations multidisciplinaires. Pour renouer ce dialogue encore insuffisant entre médecins de diverses spécialités, l’auteur incite à développer la communication sur Internet et fait une proposition plus inattendue, instaurer une participation croisée dans les divers colloques nationaux et internationaux : des psychiatres seraient conviés aux congrès des autres spécialistes et réciproquement, d’autres spécialistes participeraient aux réunions entre psychiatres. Cette idée semble certainement très prometteuse car la méconnaissance de l’autre est le meilleur ferment du rejet. Loin de se cantonner dans une « forteresse vide » (pour reprendre l’image de Bruno Bettelheim), les « médecins de l’âme » doivent quitter leur tour d’ivoire, car « la psychiatrie et les psychiatres ont beaucoup à transmettre au monde extérieur, et c’est là un objet de fierté. »
[2] On peut ajouter que cette présentation partiale s’apparente également à une double contrainte (fréquente aussi à l’égard des juges) lorsqu’on reproche aux psychiatres d’être simultanément des irresponsables frivoles quand ils « laissent les malades dangereux sortir trop facilement » et des despotes discrétionnaires quand ils « enferment des gens trop longtemps, au mépris des libertés individuelles. »
Dr Alain Cohen
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