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mardi 21 avril 2015

L’homme hyperconnecté, à data sur ses données

20 AVRIL 2015 

Lorsqu’il s’assoit en face de nous dans un café du nord de Paris, samedi en fin d’après-midi, Olivier, 42 ans, a déjà parcouru 9,31 kilomètres dans la journée, soit exactement 12 594 pas et 62 étages montés, en termes de dénivelé. Depuis minuit, il a dormi 5 h 50 (avec huit phases de sommeil agité) et été actif 84 minutes. Son pouls, stable, affiche une moyenne de 55 battements par minute au repos.
Olivier ne s’est pas amusé à tout compter lui-même. Un discret bracelet de suivi d’activité porté au poignet droit s’en occupe constamment pour lui. C’est un Charge HR de la marque américaine Fitbit. Accéléromètre, altimètre, moteur vibrant et moniteur de fréquence cardiaque optique : tout l’attirail nécessaire pour enregistrer ses faits et gestes 24 heures sur 24. Les données sont ensuite transmises par bluetooth à des applications installées sur son smartphone, sur lequel il peut consulter ses statistiques. «Ce qui m’intéresse c’est de bouger davantage. Le bracelet me motive et me rassure un peu. J’y ai pris goût», confie le quadragénaire.

Communauté. Doux euphémisme. Car Olivier ne quitte son Fitbit que pour prendre sa douche : la nuit, il le garde au poignet. Ce n’est d’ailleurs pas le seul objet connecté grâce auquel il se «suit». Au bras gauche, il arbore une montre sport comptant ses pas et calculant son altitude. Il a aussi une balance pour scruter son poids et un tensiomètre pour vérifier sa pression artérielle. L’application santé du groupe canadien Tactio collecte tous ses indicateurs physiques et lui délivre des conseils s’il le souhaite.
Olivier a ainsi appris qu’il ne dormait pas suffisamment et qu’il marchait trop. La plupart du temps, ce responsable de maintenance informatique pour la mairie de Paris se rend à pied au boulot, dans le XIIIe arrondissement de la capitale, depuis son domicile du XVIIe. Dix kilomètres, 13 500 pas, qu’il effectue en 1 h 30. «Etre assis toute la journée devant un ordinateur n’aide pas beaucoup à maigrir, alors je me force un peu, admet-il. Mais ce n’est pas désagréable. Je passe devant Notre-Dame tous les jours.» Quand il a la flemme, il prend un Vélib. «Malheureusement, ça n’est pas comptabilisé dans le Fibit», sourit ce geek assumé. Le soir, il rentre en métro et descend trois stations avant la plus proche de chez lui :«Je ne perds pas plus de temps et c’est plus sain.»
Au départ de sa passion pour l’auto-mesure, en 2012, il y a donc l’envie de perdre du poids, lui qui faisait «zéro sport» : «J’ai commencé par la méthode d’un docteur qui offrait un podomètre. C’était sympa et ça me motivait. Mais l’objet n’était pas connecté et il fallait entrer manuellement toutes les données sur un site web.»Trop fastidieux pour lui. Apparaît alors le mini-boîter «Pulse» de Withings, qu’il achète mais dont il se lasse vite. Plus tard, il découvre le bracelet de la marque qu’il porte aujourd’hui. Sa simplicité d’utilisation et la communauté grandissante de ses utilisateurs le séduisent. En trois ans, il s’offre quatre modèles différents, partageant chaque soir son bilan d’activité du jour, soncheck, sur Twitter. L’application Fitbit, qui intègre un classement, lui a aussi permis de se tirer la bourre avec ses amis. «Ça m’a imposé de m’en servir. Même les jours où j’avais honte de ne pas dépasser les 2 000 pas, je me forçais à publier mes stats.»
«Pseudo». De la marche, Olivier est passé à la randonnée, puis à la course. «Je me suis inscrit pour le marathon de Paris 2016 !»triomphe ce nouveau sportif. Grâce au self-suivi quotidien, le Parisien a perdu 30 kilos en trois ans. L’objet l’a aussi connecté aux gens. «J’ai rencontré plusieurs personnes à des soirées thématiques autour du quantified-self. On forme aujourd’hui une petite communauté. On se voit plusieurs fois par an, et plus forcément pour parler Fitbit.» Il y a par exemple sympathisé avec Guillaume, de 16 ans son cadet, qui, le soir de notre rencontre, l’accompagne pour son nouveau défi sportif, une marche de 51 kilomètres le long de la vallée de la Bièvre. «Si on m’avait dit en janvier que j’allais faire ça… !» s’étonne Guillaume. Le lendemain, le check d’Olivier, publié sur Twitter, nous confirme qu’il a bien pris le départ : 55,55 kilomètres parcourus, 75 135 pas, 649 minutes actives et 1 h 41 de sommeil depuis dimanche minuit. On lit plusieurs «bravo !» dans les commentaires.
Quid de la confidentialité des données ? «Je publie derrière un pseudo donc ça ne me gêne pas vraiment. Ce ne sont que des pas, je n’affiche pas mon poids ou mes taux sanguin.» Son docteur, elle, n’est «pas trop attachée à ce genre de chose» mais se réjouit de le savoir en activité. Même chose dans sa famille : «Ils se demandent pourquoi j’y tiens tant. Moi, je ne pourrais pas m’en passer. Je pourrais trouver des compensations, mais…» Il sourit : «D’une certaine manière, on est esclaves de cette technologie.» La dépendance n’exclut pas la lucidité.
Gabriel Siméon

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