Après la voiture sans conducteur (Google Car), les lunettes connectées (Google Glass), les drones de livraison (le projet « Wing ») ou encore les ballons stratosphériques pour connecter à Internet les zones les plus reculées de la planète (le projet « Loon »), l’américain Google s’est lancé, voilà deux ans, sur un terrain encore plus inattendu : les sciences de la vie. Les commandes du projet ont été confiées au biologiste et généticien Andrew Conrad, devenu riche après avoir cédé à prix d’or la start-up qu’il avait créée dans le domaine des tests sanguins. Au cœur de Google X, structure expérimentale du groupe, il dirige une équipe de 150 ingénieurs, biologistes, généticiens, médecins.
Quelle est l’ambition de la division sciences de la vie de Google X ?
La question à laquelle nous tentons de répondre est la suivante : comment faire pour détecter les maladies avant qu’elles ne se déclarent ? La médecine du futur reposera sur le suivi en continu de paramètres que nous ne mesurons aujourd’hui que de temps en temps. Notre objectif est de mettre au point des instruments de mesure simples, utiles et abordables : une lentille de contact pour évaluer le taux de sucre dans le sang tout au long de la journée tout en corrigeant la vue, des nanocapteurs pour repérer dans le sang la présence de cellules cancéreuses, une cuillère pour corriger le tremblement des personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative et suivre son évolution.
Les informations que nous recueillerons grâce à ces dispositifs sont la clé d’une médecine personnalisée. Comment peut-on imaginer que la même dose de 1 mg fonctionne pour tous les patients ? Qu’une molécule ait le même effet sur tous les patients ? Nous ne pouvons plus nous contenter de traitements standardisés !
L’un de vos projets phares est la « Baseline Study ». Que vient faire Google sur le terrain de la génétique ?
L’idée est de suivre 10 000 volontaires sur une longue période, en séquençant leur génome mais aussi en recueillant toutes les données possibles sur leur état de santé : analyses biologiques, données cliniques, imagerie… Des informations, tel le rythme cardiaque ou le taux de sucre dans le sang sont recueillies en temps réel grâce à des objets connectés. C’est la première fois que l’on suit de façon aussi exhaustive ce qui se passe dans le corps humain ! Nous espérons ainsi repérer le « signal magique » qui nous révélera ce que nous avons besoin de savoir pour prévenir et guérir les maladies.
La phase pilote compte 200 volontaires, et doit nous permettre d’affiner notre protocole. Ensuite, notre ambition est de recruter 10 000 personnes et nous sommes en discussion avec des partenaires pour donner davantage d’ampleur à ce projet. Le premier patient a été recruté en février. Trois sites de recrutement ont été ouverts aux Etats-Unis et d’autres vont suivre en Europe, en Afrique, en Asie. Mon rêve : demander à tous les dirigeants de la planète de se prêter au jeu !
Les données que Google collecte grâce à son moteur de recherche et ses applications seront-elles exploitées par Google Life Sciences ? Google aura-t-il accès aux données de l’étude ?
Nous n’avons aucune raison d’utiliser les données recueillies par Google, et les informations que nous collectons ne seront pas transmises. Les centres d’essais cliniques sont situés dans les universités partenaires, Stanford et Duke. Chaque patient signe un formulaire de consentement. Il aura accès à un portail où il pourra partager des informations, discuter avec un médecin, mais cela se fera sur la base du volontariat.
Le séquençage du premier génome humain a plus d’une décennie, mais la révolution annoncée de la médecine se fait toujours attendre…
Jusqu’à présent, il y avait beaucoup de promesses, mais les progrès étaient peu visibles. Cela s’explique par le fait que les technologies progressent selon une courbe exponentielle. Aujourd’hui, nous avons atteint le point d’inflexion, et les progrès vont être très rapides.
Que peut apporter Google face à des laboratoires pharmaceutiques bien établis ?
Chez Google X, nous n’avons aucun a priori, et nous n’avons pas peur de prendre des risques. Ce n’est pas un problème de se tromper à partir du moment où il s’agit d’erreurs intelligentes qui nous enseignent quelque chose. Autre atout : nous avons pour principe de faire travailler ensemble des scientifiques aux parcours très différents. Dans les entreprises classiques, les métiers sont beaucoup plus cloisonnés. Enfin, nous n’avons pas peur de la complexité, et des quantités impressionnantes de données qu’il faudra décrypter pour atteindre nos objectifs.
Vous avez passé des accords avec le suisse Novartis, premier laboratoire pharmaceutique mondial, et avec Biogen, géant américain des biotechnologies. Pourquoi ?
Ce sont des partenaires incontournables : Google n’a pas vocation à développer de nouveaux médicaments ou à produire des millions de lentilles de contacts ! Les laboratoires ont l’expertise requise pour conduire des essais cliniques et franchir toutes les étapes réglementaires. Les outils que nous développons leur apporteront des informations précieuses sur les maladies et les aideront à trouver de nouvelles pistes de traitement. Pour nous, le plus important est de tout faire pour ne pas tomber malade : ils partagent ce point de vue et j’espère bien qu’ils ne nous voient pas comme des concurrents.
Quel est le « business model » de Google Life Sciences ?
Nous ne gagnerons pas un centime avec des projets comme la « Baseline Study ». En revanche, développer des outils comme les lentilles intelligentes et les licencier est profitable.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire