Il s’agit de médicaments courants : antalgiques, antidépresseurs, antihistaminiques, antihypertenseurs ou encore anti-inflammatoires. Au total, 25 génériques de marques aussi connues que Doliprane, Aerius, Seroplex ou Vastarel ont perdu, jeudi 18 décembre, leur autorisation de mise sur le marché (AMM) en France.
Lors d’une inspection de routine sur le site de la société GVK à Hyderabad, en Inde, les inspecteurs de l’Agence française du médicament (ANSM) ont découvert des « irrégularités » dans les électrocardiogrammes réalisés au cours d’essais cliniques conduits entre 2008 et 2014. Ces tests avaient pour objectif de démontrer la « bioéquivalence » des médicaments aujourd’hui retirés de la vente, c’est-à-dire leur parfaite similitude avec l’original.
La décision de l’ANSM sonne comme un sérieux rappel à l’ordre pour les géants du générique qui commercialisent ces molécules : l’israélien Teva, numéro un mondial, les américains Abbott et Mylan, ou encore Arrow qui appartient à un groupe pharmaceutique indien. Tous doivent conduire des audits chez leurs sous-traitants, et pourtant ils n’y ont vu que du feu.
Avant d’être retirés du marché, ces 25 médicaments ciblés par l’agence ont été consommés par les patients européens. Avec quelles conséquences ? « La question s’est posée, mais aucun élément n’a conduit à établir un risque avéré pour la santé humaine de ces médicaments », estime Gaëtan Rudant, directeur de l’inspection à l’ANSM. La décision d’interdire la commercialisation d’un médicament est d’autant plus délicate, qu’elle peut très vite se traduire par des ruptures de stocks en l’absence d’alternative. « Nous devons peser les risques et les bénéfices. Les 25 génériques visés sont peu consommés en France, et il y a des alternatives. En Allemagne, où ils ont aussi été interdits, la situation est plus compliquée, car le risque de rupture est réel. »
L’illusion de la traçabilité
L’affaire illustre toute la difficulté de contrôler la qualité des médicaments. « On ne sait plus très bien qui fait quoi », souligne Alain Astier, chef du service pharmaceutique du groupe hospitalier Henri-Mondor. « Le laboratoire qui commercialise sous sa marque un médicament n’est pas forcément celui qui le fabrique. Celui-ci recourt souvent à une cascade de sous-traitants. Et au bout de la chaîne, on trouve un nombre limité d’usines, souvent asiatiques, qui fournissent tout le monde en principes actifs », poursuit-il. Selon lui, la traçabilité est devenue une illusion dans ce maquis. D’autant que les agences de santé n’ont pas les moyens d’avoir l’œil sur tout.
En Europe, elles ont uni leur force, sous la houlette de la Direction européenne de la qualité du médicament (DEQM). Cette organisation, qui dépend du Conseil de l’Europe, délivre à chaque médicament commercialisé en Europe un certificat, conditionné au respect de « bonnes pratiques ». Depuis 1999, elle est dotée d’une petite équipe de quatre inspecteurs qui contrôlent une cinquantaine de sites chaque année, en plus de ceux inspectés par les agences nationales (l’ANSM compte une cellule de 8 inspecteurs dévolus aux sites hors d’Europe) et selon un planning décidé en commun.
« Environ 20 % des sites que nous jugeons à risque et que nous contrôlons s’avèrent non conformes », estime le docteur Susanne Keitel, directrice de la DEQM. Exemple : ce fabricant asiatique de pénicillines dont les lignes de production n’étaient pas bien séparées, avec un risque important que les différentes substances se mélangent.
Depuis 2011, l’organisation a ainsi dû retirer leur certificat à deux fabricants chinois de diclofénac (l’anti-inflammatoire le plus consommé en France) à un compatriote spécialisé dans le paracétamol, à un producteur indien de metformine (l’antidiabétique le plus courant), et à un fabricant d’amoxicilline (un antibiotique très prescrit) situé à Bombay. La liste exhaustive comprend une bonne partie des « stars » des armoires à pharmacie françaises.
Des usines mal entretenues
Derrière ces décisions se cachent différents problèmes : usines mal entretenues, contrôles qualité insuffisants, falsification des données, dosages aléatoires. « On peut trouver des écarts de 10 % à 20 % par rapport au dosage standard, quand le maximum autorisé est de 5 % », témoigne un inspecteur qui préfère rester anonyme. « On tombe aussi régulièrement sur des données maquillées, ajoute-t-il. Pas toujours par malveillance, mais parce que nos exigences ne sont pas toujours bien comprises et qu’une erreur dans un registre, cela fait tache. La gommer, c’est un moyen de sauver la face. »
« Indéniablement, la délocalisation de la production s’est faite au prix de la qualité », poursuit cet inspecteur. Au point que les industriels eux-mêmes commenceraient à avoir quelques regrets. « Les laboratoires réfléchissent à la façon de rapatrier certaines productions en Europe », assure Susanne Keitel.
Sébastien Aguettant, qui dirige Delpharm, un sous-traitant français, se bat lui pour la création d’un label « made in Europe », afin de mieux informer les patients et de valoriser le savoir-faire des fabricants.
Au-delà de la qualité, c’est pour lui une question de souveraineté. Aujourd’hui, 80 % des poudres chimiques utilisées pour formuler les médicaments les plus courants viennent de Chine et d’Inde. Une dépendance qui peut poser problème. « Lorsque le virus de la grippe H1N1 est arrivé en France, le gouvernement nous a demandé si nous pouvions produire davantage de paracétamol. Nous n’avions pas assez de stocks, et il n’y a plus que deux usines dans le monde qui fabriquent du paracétamol, l’une en Chine et l’autre aux Etats-Unis, indique le chef d’entreprise. Les Américains ont tout fait pour garder une usine. » Le dernier site européen de paracétamol, situé en France, a été fermé en 2008 par Rhodia.
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