Connu des deux côtés de l’Atlantique (notamment pour son livre à succès L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau), le neurologue Oliver Sacks [1] a suscité une controverse sur la priorité qu’il donnerait à l’écriture, relativement à la médecine : jalousant sans doute sa célébrité, un commentateur l’a surnommé ainsi « l’homme qui prenait ses patients pour une carrière littéraire. »
Le magazine Books permet de se forger sa propre idée sur les talents (littéraire et psychiatrique) d’Oliver Sacks, avec la version française de son article (paru à l’origine dans le New York Review of Books, en septembre 2009) sur l’ère de gloire des hôpitaux psychiatriques, à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Cet article est d’ailleurs accompagné de clichés saisissants (tirés de l’ouvrage Asylum de Christopher Payne)[2] montrant ces lieux de vie asilaires, aujourd’hui à l’abandon, semblables à des châteaux où la Belle-au-Bois Dormant ne se réveillera plus, car son « Prince a fait un détour ou bien s’est perdu » (comme le chantait Pascal Bacoux dans Les légendes)[3].
Même si, comme l’écrit Olivier Postel-Vinay dans son éditorial de ce magazine, les ravages du « politiquement correct » ont relégué aux oubliettes le terme « folie » qui a désormais « déserté les manuels de psychiatrie », force est de reconnaître que la vie en « asile » présentait aussi des côtés positifs, comparativement au sort actuel des malades mentaux, trop souvent abandonnés à eux-mêmes, quand ils ne sont pas purement et simplement laissés à la rue ou embastillés, fournissant dans divers pays de grosses légions aux SDF et aux populations carcérales.
« 99 % des psychotiques n’ont pas les moyens » de fréquenter les structures actuelles de prise en charge aux États-Unis, résume Oliver Sacks, très désabusé devant l’évolution actuelle (ou plutôt l’involution) de la psychiatrie institutionnelle : « Les millions de malades mentaux sont aujourd’hui les êtres les moins soutenus, les plus dénués de droits et les plus exclus de notre société. » Même si cette vision semble peut-être trop pessimiste ou excessive, il faut reconnaître que la politique asilaire (souvent empreinte de paternalisme) pouvait offrir aux malades une sorte de famille de substitution où ils trouvaient des repères, aujourd’hui défaillants.
Nos gestionnaires cherchant à rentabiliser les structures d’accueil modernes (hôpital, foyer d’accueil médicalisé, maison d’accueil spécialisé, etc.) versent surtout dans les «comptes de faits », alors que la réponse à la folie, comme le suggérait jadis Bruno Bettelheim dans The Uses of Enchantment (Psychanalyse des contes de fées), gagne plutôt à s’inspirer des contes de fées[4]...
[2] Asylum: Inside the closed world of state mental hospitals (MIT Press, 2009) [Asiles : dans l’univers fermé des hôpitaux psychiatriques], fruit d’une “exploration pendant six ans des institutions psychiatriques laissées à l’abandon’’ :http://dailycool.net/2012/02/26/abadoned-asylum-by-christopher-payne/
Dr Alain Cohen
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