EN MOYENNE, on enregistre le suicide d'un détenu presque tous les trois jours : 112 d'entre eux se sont donné la mort en 2011, 117 en 2012, 98 au 30 novembre de cette année, qu'ils soient en détention ou en aménagement de peine. Presque toujours des hommes, et presque toujours par pendaison (à près de 95 %), à l'âge moyen de 37 ans. Le nombre de personnes écrouées a plus que doublé depuis les années 1960, mais le taux de suicide a presque quintuplé en cinquante ans, selon la dernière étude disponible des chercheurs de l'Inserm et de l'administration pénitentiaire, qui date de 2010.
La France est ainsi dans le peloton de tête du plus fort taux de suicides en prison, au 6e rang derrière l'Islande, le Luxembourg, la Slovénie, le Danemark et la Suède, avec un taux de 14,6 pour 10 000 détenus en 2007. Et même au 4e rang, si l'on écarte les biais statistiques (un seul suicide en Islande, 2 au Luxembourg, 3 en Slovénie cette année-là).
Ce sont les détenus écroués pour meurtre qui se tuent le plus (46 pour 10 000 chaque année), puis ceux qui ont été condamnés pour viol (26 pour 10 000) et près de 24 pour 10 000 pour les autres atteintes aux moeurs. Les condamnés pour vol aggravé se suicident moins (10 pour 10 000), et ceux qui le sont pour infractions à la législation sur les stupéfiants, très peu (5 pour 10 000).
SURPOPULATION CARCÉRALE
Est-ce la gravité de l'infraction qui pousse au suicide ou la durée de la peine à purger ? Les chercheurs penchent pour la première hypothèse ; la hausse du nombre de tués s'explique d'ailleurs en partie par l'augmentation du nombre de condamnés pour moeurs, passés de 5 % en 1980 à 22 % vingt ans plus tard.
Un autre facteur a été mis en évidence, sauf curieusement en 2012 et 2013 : les prévenus (en attente d'un jugement définitif) se tuent deux fois plus que les condamnés (31 pour 10 000 contre 12 pour 10 000) : un quart des suicides a d'ailleurs lieu dans les deux mois qui suivent l'incarcération, et la moitié dans les six premiers mois. Pour les chercheurs, « l'évolution de la composition de la population carcérale est partiellement responsable de la montée des suicides en prison ».
On incarcère davantage et plus longtemps des gens plus précaires et désociabilisés, qui se tuent plus que les autres : « La prison concentre des populations davantage perturbées psychologiquement, indiquent les chercheurs, provenant fréquemment de familles elles-mêmes déstabilisées, des individus occupant l'échelon le plus bas de l'échelle sociale, moins aptes à s'adapter aux situations changeantes et problématiques. »
46 % des entrants en prison n'ont pas dépassé le niveau des études primaires, 31 % seulement affirment avoir un emploi, les deux tiers sont célibataires, un quart a « des consommations à risque » (alcool, drogue), un sur dix a été régulièrement suivi par un psychiatre ou hospitalisé en psychiatrie dans les douze mois précédents. La surpopulation carcérale, évidemment, n'arrange rien, notamment en maison d'arrêt où s'entassent les prévenus, dont le risque suicidaire est le plus grand.
Enfin, « il demeure un point aveugle » des statisticiens, « le nombre de suicides anormalement élevé des anciens détenus libérés », qui souligne cruellement le manque d'accompagnement à la sortie.
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