Un crâne découvert dans une grotte de Chine méridionale présente au niveau du temporal droit une fracture résultant d’un coup porté à l’aide d’un objet contondant. Il s’agit du plus ancien témoignage archéologique de violence : la victime, qui a survécu à son agression, était un Homo sapiens archaïque ayant vécu entre 200 000 et 150 000 ans avant le présent.
Est-ce à dire que la violence en général, et la guerre en particulier, s’enracine profondément dans l’histoire de l’humanité ? Qu’elle est inhérente à notre nature ? Inscrite dans nos gènes ? C’est pour contrer ce genre d’assertions, relevant d’une anthropologie « noire » fortement idéologisée, que Marylène Patou-Mathis, docteure en préhistoire, a choisi de mener une interrogation croisée des données de l’archéologie et de l’anthropologie, agrémentée d’incursions en philosophie, biologie ou psychanalyse.
Dans Préhistoire de la violence et de la guerre, elle démontre que, si la guerre occupe une place prépondérante dans les sociétés traditionnelles et dans l’historiographie, trouver trace de nos actions belliqueuses dans les registres fossiles est en revanche plus ardu : les marques de blessures consécutives à un acte de violence sont rarissimes sur les squelettes humains de plus de 12 000 ans et ce n’est qu’à l’extrême fin du paléolithique, dans la nécropole égyptienne du « site 117 », qu’un conflit meurtrier entre communautés est attesté. L’humanité première serait donc loin d’être un ramassis de brutes velues, à peine dégrossies grâce à la « civilisation », ce « troupeau muet et hideux qui combattait pour se procurer du gland et des tanières » dépeint dès l’Antiquité par Horace.
PARTI PRIS EST PARFOIS GÊNANT
C’est dans l’exploration de ces preuves matérielles et de leur délicate interprétation (les Néandertaliens de Shanidar ont-ils été victimes de leurs semblables ou d’un rodéo impromptu avec un gibier récalcitrant ?) que Marylène Patou-Mathis convainc le mieux le lecteur. En revanche, l’analyse de la dynamique pouvant avoir conduit nos ancêtres à instaurer la guerre comme institution sociale (sédentarisation, explosion démographique, apparition du patriarcat, d’une élite guerrière, etc.) séduit moins. En cause, une déroutante liste de références (229 auteurs en 150 pages !), qu’un sérieux arbitrage éditorial aurait pu fluidifier. Fallait-il, par exemple, consacrer tant de place à la conception « rejetée par la majorité des préhistoriens et des archéologues » de Morgan, ou à Engels, curieusement rangé parmi les « évolutionnistes » du XIXe siècle ?
Le parti pris est parfois gênant : les arguments en faveur de la culpabilité d’Homo sapiens dans la disparition de Néandertal sont ainsi passés sous silence ; ceux des opposants à la théorie de l’esprit chez les grands singes sont privilégiés – une façon discutable de rejeter loin de nous notre violent cousin chimpanzé. Combattre les idéologies qui tiennent que la violence est inhérente à l’homme est une « ardente obligation », conclut Marylène Patou-Mathis. Sans doute eût-il été préférable d’assumer ouvertement cette position pour mieux mettre en valeur ce passionnant sujet.
Préhistoire de la violence et de la guerre, de Marylène Patou-Mathis (Odile Jacob, 208 p., 21,90 €).
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