3 septembre 2013
La ministre des Affaires sociales, redoutant de se faire éclipser sur le dossier, a torpillé la nomination de cette forte personnalité en tant que haut-commissaire.
(Photo Raphael Dautigny)
Il s’agissait du projet phare de la rentrée : lancer la «stratégie nationale de santé». On allait voir ce que l’on allait voir, avec les prémices d’un tout nouveau paysage sanitaire, concentré autour du patient et non plus autour des structures. Avec en chef d’orchestre Claude Evin, ancien ministre de la Santé, qui aurait été nommé haut-commissaire chargé de cette nouvelle politique.
Mais voilà qu’en ces premiers jours de septembre, tout finit en eau de boudin. Matignon a reculé : «Marisol Touraine est réticente et ce n’est pas le moment de la mettre en difficulté, car elle gère la réforme des retraites», se borne-t-on à dire. Fermez le ban. Selon nos informations, Claude Evin va rester à la tête de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, et la stratégie nationale de santé retomber dans la poussière des tiroirs du ministère. «C’est bien dommage, note un bon connaisseur du sujet. Cela aurait donné du souffle à un ministère qui en manque cruellement.»
Reprenons le fil de ce qui fut le projet le plus secret de l’été. Tout commence en février dernier, avec l’annonce par le Premier ministre de «la nécessité de mettre sur pied une stratégie nationale de santé». Sur le moment, certains ironisent sur ce plan terriblement administratif et sans souffle. «Il faut fixer pour les cinq à dix années à venir, explique alors Jean-Marc Ayrault, une nouvelle stratégie, un cap, avec des réorganisations indispensables à notre système de santé et identifier les conditions d’une amélioration de la gouvernance globale, territoriale et nationale de notre système de soins et d’assurance-maladie.»
Dans la foulée, Alain Cordier, ancien directeur des hôpitaux de Paris, est choisi pour présider un comité de sages sur le sujet. En juillet, il rend son rapport et ô surprise, ce dernier contient dix-neuf recommandations, dont certaines mettent les pieds dans le plat. «Ce n’est pas encore très opérationnel, analyse un ancien haut fonctionnaire, mais il y a quelque chose. Si en plus il y a un vrai pilote pour mener à bien ce chantier, tout sera possible.»
«Atomisé». Le rapporteur part de cette idée simple : en dépit de l’explosion des maladies chroniques et du vieillissement de la population, l’organisation de soins reste terriblement centrée autour de l’hôpital d’un côté et de la médecine libérale de l’autre. Ce duo ne fonctionne plus.
Exemple de ces incohérences en série : quand un patient sort de l’hôpital, la règle veut qu’il y ait un courrier de fin de séjour «qui résume les conclusions de l’hospitalisation et établit des préconisations de prise en charge après la sortie». Ce courrier doit être signé par le médecin de l’établissement et adressé au docteur de ville ou à la structure de transfert, ou encore remis au patient à sa sortie. Et doit être envoyé dans les huit jours. «La réalité est que 25% de ces courriers ne sont jamais retrouvés, 55% sont incomplets»,note le rapport. Comment, dans ces conditions, construire un parcours de soins ?
«Tout le monde est d’accord sur l’objectif. Le plus compliqué est de porter le changement et de l’imposer dans un système de santé qui est atomisé, rempli de citadelles», dénonce un ancien directeur des hôpitaux.
D’où l’idée émise au départ par Matignon et l’Elysée, mais aussi par le cabinet de Marisol Touraine, de nommer une personnalité forte pour mener ce changement structurel. Tout l’été, ils y travaillent, multipliant réunions et conciliabules. Or, sur ce type de profil, il n’y a pas grand monde, à l’exception de Claude Evin, ancien ministre et actuel directeur de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France.
Avec l’âge, cet ancien rocardien se révèle très efficace, car très pragmatique, et surtout il a acquis une très bonne connaissance du milieu et des difficultés de gouvernance. Claude Evin est donc contacté par Matignon et par le cabinet de la ministre. Il n’est pas opposé à l’idée d’occuper cette fonction, encore faut-il qu’il ait de vraies marges de manœuvre. On évoque un poste de haut-commissaire attaché aux Affaires sociales.
Chaises musicales. Le dossier est à ce point avancé que démarre le jeu des chaises musicales : si Claude Evin quitte l’ARS d’Ile-de-France, on parle de le remplacer par Philippe Calmette, le patron de l’agence régionale de santé du Limousin. Le tout émaillé de quelques démissions fracassantes : Denis Piveteau, conseiller d’Etat, nommé en janvier au poste clé de secrétaire général des ministères chargés des Affaires sociales, quitte brutalement sa fonction cet été, se sentant désavoué par le rapport Cordier sur cette fameuse nouvelle stratégie de santé : Pierre-Louis Bras, de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), le remplace.
Bref, cela bouge. Et tout le monde s’en félicite. Mais patatras. Fin août, lors d’une rencontre entre Claude Evin et Marisol Touraine, le deal change radicalement. La ministre veut un profil plus modeste, pour rester seul maître à bord, et propose à l’ancien ministre un poste moins important. Claude Evin, qui connaît la musique, décline le poste - «J’ai passé l’âge d’être un chargé de mission !» aurait-il confié à ses proches. Au ministère de la Santé, on ne sait plus quoi dire. On parle de la prochaine loi sur la santé publique et on se borne à répéter que «le projet n’est pas fini». Certes… Mais comment le croire ? Marisol Touraine doit officiellement recevoir le rapport Cordier ces jours-ci, alors que celui-ci a été rendu public il y a trois mois. Un pas en avant, trois pas en arrière.
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