Equiper l'appartement de capteurs pouvant détecter les comportements anormaux (chute, absence de mouvements, porte du réfrigérateur fermée trop longtemps...) ; avoir à côté de soi un "écran" qui peut téléphoner à ses petits-enfants, rappeler les rendez-vous de la journée, proposer un jeu de mémoire, etc. Telle pourrait être la future panoplie d'"outils technologiques" permettant aux personnes âgées de rester plus longtemps chez elles, ce que souhaitent neuf Français sur dix.
L'espérance de vie ne cesse de progresser, même si celle sans incapacité a légèrement reculé en 2010. Le nombre de personnes touchées par les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson...) - 12 % des plus de 70 ans aujourd'hui -, pourrait doubler tous les vingt ans. Et le nombre de personnes dépendantes devrait progresser de 1,15 million actuellement à 1,55 million en 2030.
Mais de plus en plus de seniors actifs, notamment les baby-boomers qui arrivent à la retraite, ont une forte appétence pour les nouvelles technologies. Et une étude parue dans The Lancet début juillet, réalisée par des chercheurs de l'université d'Odense, au Danemark, montre que les nonagénaires d'aujourd'hui ont des capacités physiques et intellectuelles jamais atteintes par le passé.
"OPTIMISATION DE LA FIN DE VIE"
La gérontechnologie, qui ne figure pas encore dans le dictionnaire, étudie le rapport entre la gérontologie (étude du vieillissement sous ses différents aspects) et les technologies favorisant l'autonomie. "L'objectif de ces outils est l'optimisation de la fin de vie, explique le professeur François Piette, gériatre, président de la Société française des technologies pour l'autonomie et de gérontechnologie (SFTAG). Il ne suffit pas de rajouter des années à la vie, il faut aussi rajouter de la qualité de vie."
La panoplie est large. Capteurs de mouvements ou de température placés au domicile d'une personne ou sur elle-même, systèmes de monitoring à distance par Internet (télémédecine, télésuivi...), ces dispositifs d'assistance sont en plein essor.
Le plus ancien, qui existe déjà depuis une trentaine d'années, est la téléassistance ou téléalarme, sous forme de bracelets, ou médaillons, que la personne actionne en cas de besoin pour appeler les secours. Environ 450 000 personnes l'utilisent en France, environ 3 % de la population des plus de 65 ans, contre 2 millions au Royaume-Uni (15,5 %), selon Eurostat.
De plus en plus d'outils se développent pour sécuriser le domicile. L'entreprise Legrand a, par exemple, équipé 2 300 logements dans la Creuse en domotique avec, entre autres, un chemin lumineux qui éclaire le trajet d'une personne se levant la nuit pour aller aux toilettes. Environ 2,5 millions de personnes âgées chutent chaque année, ce qui se traduit par environ 8 000 décès, souligne le Centre national de référence de santé à domicile et autonomie (CNR Santé). La société française Vigilio a conçu Vigi'Fall, un patch miniature qui fonctionne grâce à des capteurs et prévient un centre d'alerte en cas de chute. Soutenu par la Commission européenne, ce dispositif devrait être commercialisé sous peu.
DÉAMBULATEURS INTELLIGENTS
Afin de sécuriser les déplacements, des déambulateurs intelligents commencent à voir le jour, notamment au sein d'une des neuf équipes de recherche de l'Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria), qui travaille sur l'autonomie des personnes âgées. Des capteurs peuvent indiquer à distance si la bouilloire a été mise en marche, combien de fois le réfrigérateur a été ouvert. Des caméras discrètes permettent, grâce à un système de vidéovigilance, de donner l'alerte, s'il n'y a pas de mouvement pendant un temps donné ou en cas de chute. "Nous travaillons sur des outils d'intelligence ambiante, sans pour autant mettre des caméras partout : les gens ne veulent pas d'un Big Brother. Une personne a souvent juste besoin d'être rassurée, ce que permettent ces technologies", constate Bruno Rives, président de l'observatoire Tebaldo.
Stimuler les personnes âgées est aussi un gage de longévité. Les jeux vidéo sont de plus en plus utilisés dans les maisons de retraite. Des logiciels de stimulation cognitive sont également à l'étude. Une expérience américaine menée par des chercheurs de l'université de l'Iowa, et publiée début mai dans la revue PLoS One, a montré que les jeux vidéo améliorent les fonctions cognitives et retardent de plusieurs années le déclin lié à la vieillesse.
"Les tablettes tactiles sont les grandes technologies de demain. De nombreux projets existent dans ce domaine", indique Benjamin Zimmer, responsable du développement et de l'innovation du cluster Soliage (Solutions innovantes pour l'autonomie et la gérontechnologie), qui fédère des acteurs de ce domaine. De plus en plus d'applications sont conçues autour de tablettes à tout faire, comme celle des sociétés MH Comm ou Kodro. Grâce à des logiciels simples tels que les agendas partagés, ces outils peuvent servir à coordonner différents acteurs (monde médical, médico-social, aide à domicile, aidants...) et améliorer la qualité de vie, surtout lorsqu'ils suscitent du lien, expliquent les experts.
FORUMS DE SANTÉ
Dans des Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), des plates-formes d'assistance téléphonique permettent de réaliser des consultations par visioconférence avec des médecins spécialisés. Comme à l'hôpital privé gériatrique des Magnolias (Ballainvilliers, Essonne), qui expérimente ce système depuis 2008 avec cinq Ehpad de l'Essonne. Eviter les hospitalisations, raccourcir leur durée, économiser sur les transports, tels sont les effets positifs de ce système qui contribue aussi à rassurer les équipes soignantes.
Autre développement, très en vogue au Japon, les robots, dont certains sont conçus comme des "doudous", pour apporter une compagnie aux personnes âgées. Ils s'appellent Nao, Buddy, Care-O-Bot... Mais ces majordomes pour personnes âgées ne semblent pas encore séduire en France. Des projets de réseaux sociaux de seniors auront-ils plus de succès ? Voisin-age.fr, conçu par l'association Les Petits Frères des pauvres, met en relation des personnes âgées avec leurs voisins de quartier. Et des forums de santé facilitent le partage d'expérience.
Si les projets de recherche et les expérimentations foisonnent, les offres opérationnelles sur le marché restent rares. "La France n'a pas su prendre le tournant de la révolution gérontechnologique avec autant d'efficacité que certains de ses voisins", explique Luc Broussy, conseiller général du canton de Goussainville-Louvres, maire adjoint de Goussainville, dans son rapport "L'Adaptation de la société au vieillissement de sa population", paru en janvier et remis à Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
"CRAINTE DE DÉSHUMANISATION DES SOINS"
Autre frein, la plupart des personnes âgées considèrent qu'elles n'ont pas besoin d'aide et ne sont pas très "connectées". Chez les plus de 75 ans - qui représentent 11,3 % de la population - , 16,9 % disposent à domicile d'un ordinateur et 15 % d'Internet. Et 83,3 % de cette tranche d'âge déclarent ne jamais avoir utilisé un ordinateur (89 % pour Internet), selon un rapport du Conseil d'analyse stratégique sur le fossé numérique paru en 2011.
"Ces technologies ont un côté un peu fantasmatique : d'une part elles ravivent la crainte de déshumanisation des soins par le remplacement progressif des humains par des machines, d'autre part elles permettent d'entrevoir des modes d'organisation centrés sur la personne vulnérable et libérés de l'écrasante complexité administrative et organisationnelle qui caractérise en bonne partie le parcours de soins, le maintien et le retour à domicile de ces personnes", décrit Vincent Rialle, responsable du master vieillissement, sociétés, technologie - spécialité gérontechnologie de l'université de Grenoble.
Le vieillissement de la population peut aussi être vu comme une opportunité. C'est le pari du gouvernement, qui a lancé, en avril, une filière, la Silver Economy (pour économie argentée). "Ne subissons pas le vieillissement", martèle la ministre Michèle Delaunay. "La diffusion de ces technologies permettra de faire reculer la dépendance dite évitable et de limiter le nombre d'hospitalisations indues, en augmentant fortement les possibilités de soutien à domicile des âgés", explique-t-elle.
Dans tous les cas, "il est fondamental que les soignants soient associés à cette démarche, qui doit se faire avec le consentement de la personne", insiste Luigi Corrado, président de l'Arbt (Arbt.ch), une association romande de biotélévigilance. "Il faut partir des besoins des personnes âgées, des soignants, des aidants, mais bien souvent c'est l'aspect économique qui prédomine", regrette-t-il.
Ce développement technologique n'est pas sans susciter des questions : qui prescrit ? A quel coût ? Qui finance ? L'Assurance-maladie, les mutuelles, des partenaires privés ? Qui paie, qui est rémunéré ? Un système de location devrait pouvoir être envisagé.
"Au-delà des usagers, les professionnels demeurent encore assez réticents culturellement à l'usage de nouvelles technologies, explique Luc Broussy dans son rapport. Un des objectifs consiste à faire en sorte que les professionnels de l'aide à domicile comprennent que ces outils ne constituent pas un substitut mais bien un apport supplémentaire dont ils devront, eux-mêmes, de plus en plus, maîtriser l'usage."
RISQUE DE DÉRESPONSABILISATION
"Il ne faut pas nier le risque de faire apparaître la technologie comme un substitut à l'aide humaine, un moyen de faire des économies sur le dos des personnes âgées", explique le professeur François Piette. Or elle peut être utile pour augmenter le temps de communication avec les soignants. "Il faut envisager les technologies comme des ressources supplémentaires pour l'homme. Tout repose sur les aidants lorsque l'on est dans le champ des personnes vulnérables", explique Catherine Ollivet, présidente de l'association Alzheimer de Seine-Saint-Denis.
Frédérique Le Saulnier, coordinatrice du pôle santé au service juridique de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), constate une tendance en faveur de la substitution de réponses techniques aux comportements humains de vigilance. Il y a donc un risque de déresponsabilisation des acteurs concernés au profit de technologies qui ne sont pas infaillibles. Les parents, les aidants et les professionnels des équipes de soins doivent rester les premiers acteurs de la sécurité des personnes "assistées".
C'est pourquoi la CNIL a décidé de lancer un chantier sur ces nouveaux usages et travaille à l'élaboration de recommandations en la matière. Pour Mme Le Saulnier, "il ne s'agit pas de faire obstacle au développement de ces dispositifs, mais d'encadrer leur usage afin qu'ils ne portent pas une atteinte excessive aux droits et libertés des personnes".
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