5 septembre 2013
Outil. Des lissoirs réécrivent la préhistoire.
La controverse scientifique sur les relations entre Néandertal et Cro-Magnon rebondit sur un os. L’os, utilisé comme matière première pour des outils - hameçon, aiguille, harpon - fabriqués avec une technologie distincte de celle des outils de pierre, est une marque de fabrique de notre ancêtre direct, l’homme anatomiquement moderne, né en Afrique et immigré en Europe il y a un peu plus de 40 000 ans. Néandertal, lui, ce lourdaud, aurait tout juste copié son cousin plus futé (1) peu avant de disparaître. Cette thèse des échanges culturels entre Cro-Magnons et Néandertaliens suppose que tout objet issu de ce processus soit daté après l’arrivée des premiers en Europe.
Iconoclaste. Pas du tout, les Néandertaliens auraient transmis une technologie aux Cro-Magnons ! C’est ce qu’affirme une équipe internationale de préhistoriens, notamment de l’Inrap (Institut national des recherches archéologiques préventives) et de l’Institut Max-Planck de Leipzig. Leur article (2) propose cette thèse inverse, pour le moins iconoclaste. Une proclamation fondée sur des lissoirs en os, dénichés dans deux sites, l’abri Peyrony et Pech-de-l’Azé, en Dordogne.
Quatre petits outils, cassés voire limités à quelques fragments, mais que l’on peut reconstituer. Soigneusement étudiés au microscope, ils ont montré des traces d’usures spécifiques d’un travail d’assouplissement du cuir, source de vêtements agréables à porter et plus imperméables. Un outil typique des plus anciens Cro-Magnons en Europe, comme des derniers Néandertaliens.
Or, la datation, à l’aide du carbone 14 des ossements d’animaux trouvés dans la même couche stratigraphique de l’abri Peyrony, a révélé des dates allant jusqu’à 47 000 ans. Aux limites des plus vieilles traces, fugaces, de Cro-Magnon en Europe de l’Ouest. Surtout, l’objet de Pech-de-l’Azé, daté par thermoluminescence du sol, remonterait à près de 51 000 ans. Ces objets sont en outre indubitablement néandertaliens puisque Cro-Magnon n’a laissé aucune trace plus tardive dans ces sites, éliminant le risque d’une confusion par enfouissement d’objets.
Brêche. Néandertal a-t-il inventé ces polissoirs avant d’avoir croisé le premier Cro-Magnon ? Pourquoi pas, répondraient nombre de préhistoriens tant la réputation de brute épaisse du premier est aujourd’hui battue en brèche, avec des témoignages d’activités symboliques comme la fabrication d’ornements avec des coquillages fossiles. Cro-Magnon avait-il besoin de copier pour inventer un tel outil, selon le renversement ? Certainement pas, au vu de son évolution technique. Surtout : est-on vraiment sûr qu’il n’avait pas déjà mis les pieds en Dordogne il y a 50 000 ans ? La rareté des vestiges préhistoriques oblige à ne jamais oublier qu’absence de preuve n’est pas preuve d’absence. La controverse a de beaux jours devant elle.
(1) «Libération» du 2 novembre 2012. (2) PNAS, Soressi et al, on line edition du 12 août 2013.
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