5 septembre 2013
Pourquoi la reproduction sexuée écrase-t-elle autant son alternative asexuée ? Parce qu’elle permet la diversité, estiment les biologistes. Simple, mais pas si facile à prouver. Une équipe du Muséum en propose une nouvelle démonstration.
Cet été, les scientifiques ont parlé sexe. En tout bien tout honneur, dans leurs labos. Discussions alimentées par deux publications austères, lardées de chiffres et de formules mathématiques, et semblant se contredire. La première semblant apporter, enfin, une explication au mystère de la supériorité écrasante de la reproduction sexuée sur la reproduction sans sexe au cours de l’évolution. Et la deuxième prouvant, à l’inverse, qu’une famille de petites bestioles se porte très bien depuis des millions d’années, donnant naissance à de nouvelles espèces sans sexe du tout.
Exercice de calcul mental
«Pourquoi le sexe ? lance Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, initiateur de la recherche publiée en juin dernier (1). La réponse semble évidente, il permet la production de diversité, à chaque mélange des gamètes. Et cette diversité serait l’arme absolue pour survivre à long terme dans un environnement qui change, du moins à l’échelle des espèces et de leurs descendances sinon des individus.»
Evidente, dans les labos de biologie comme pour le public, sauf que les évolutionnistes ont bien du mal à démontrer cette évidence. Surtout depuis que Maynard Smith, un penseur de l’évolution, a montré il y a quarante ans que la reproduction sans sexe est en moyenne deux fois moins coûteuse pour la femelle. «Et encore, c’est une sous-estimation, assène Gouyon par un petit exercice de calcul mental. Si, dans une population humaine théorique, chaque femme fait un garçon et une fille, la stabilité démographique est absolue et chaque femme aura autant de descendants. Mais, si une seule femme fait deux filles, puis que chacune de ses deux filles répète l’opération et ainsi de suite, sa descendance va envahir la population avec un million en 20 générations et mille milliards en 40 générations.» Comment expliquer, dès lors, que la reproduction non sexuée soit si minoritaire - quelques lézards, insectes et plantes - alors qu’elle semble très supérieure à court terme ?
Il y avait certes de nombreuses «explications», mais sans rapport avec la diversité accrue à long terme censée constituer l’apport fondamental du sexe. Ainsi, les pucerons femelles donnent-ils naissance par parthénogénèse à des milliers de descendantes durant le printemps et l’été. Mais celles qui poursuivent cette stratégie à l’automne peuvent voir toute leur progéniture disparaître pour cause de grands froids. Tandis que les œufs produits après copulation avec un mâle supporteront l’hiver. La résistance des spores, œufs et graines d’innombrables champignons, animaux et plantes semble ainsi jouer un rôle décisif dans le succès évolutif du sexe, bien plus que la diversification qu’il permet. Y avait-il un lézard dans la conviction des biologistes attribuant à cette dernière le rôle majeur ? La solution, pour Pierre-Henri Gouyon, exige de «poser la question de la supériorité du sexe au niveau des espèces et de leurs évolutions et non au niveau de la compétition de court terme entre deux individus de la même espèce, l’un se reproduisant grâce au sexe et l’autre sans.»
Des niches écologiques
Pour s’affranchir de l’effet «cas», Gouyon et ses collaborateurs se sont appuyés sur le seul graphique publié par Darwin dans son livre majeur, l’Origine des espèces. Un diagramme simple, qui montre les destins possibles de lignées dans le temps. Certaines donnant naissance à de nouvelles lignées, d’autres non, certaines s’éteignant et d’autres ayant des descendants actuels. A l’aide d’un postdoctorant, ce diagramme a été modélisé mathématiquement, puis des simulations numériques ont permis d’explorer les différences entre des reproductions sexuées et asexuées au regard du succès évolutif et surtout de «la plus ou moins grande différence écologique qui sépare les espèces finales, ce que représente le diagramme de Darwin».
Ces simulations suggèrent que le succès du sexe et la rareté de la reproduction asexuée s’expliquent de deux manières. D’abord, l’évolution des espèces asexuées est très lente. Du coup, les espèces nouvelles qui en descendent sont trop proches l’une de l’autre. Elles se concurrencent pour les mêmes niches écologiques. Et périssent toutes du fait d’une cause unique survenant dans l’environnement. Ensuite, ce même processus joue contre la sélection d’une reproduction asexuée. Enfin, les contraintes de la reproduction sexuée rendent de plus en plus difficile la «réinvention» d’une reproduction sexuée au cours de l’évolution. Réinvention dont les mammifères sont totalement incapables, par exemple. La démonstration semble tenir, si l’on accepte de prendre espèces ou groupes d’espèces comme des niveaux auxquels opère la sélection naturelle et non seulement celui des gènes et des individus. Une idée loin d’être consensuelle dans les labos et plus subtile qu’il n’y paraît: Gouyon ne nie pas que l’objet de la sélection est bien «l’information génétique». Mais suggérée par Darwin lui-même puisque son diagramme évolutif ne précise pas le niveau d’organisation du vivant représenté.
Un scandale évolutif
Paradoxe, c’est cet été aussi qu’on en a appris de belles sur Adinata vaga. Ce rotifère bdelloïde vit dans les milieux humides: mousses, bords de rivières, sols ou litières de feuilles. Minuscule, son corps allongé fait moins d’un millimètre, c’est pourtant un coriace. Il supporte une dessiccation complète, et même un bombardement radioactif à tuer un cheval, puis répare son ADN et reprend son métabolisme dès que l’eau ou le calme radioactif reviennent.
Si les biologistes s’intéressent tant à lui depuis sa description scientifique en 1873, c’est également en raison d’un mystère. On trouve des individus femelles, mais point de mâles. Disette sexuelle et reproduction asexuée pour les 460 espèces de rotifères bdelloïdes. Elles semblent durer depuis plusieurs dizaines de millions d’années. Un scandale évolutif pour les biologistes, persuadés qu’hors le sexe, point d’avenir à long terme et qui ont longtemps cherché le mâle rotiférien. Ne le cherchez plus, a tranché une équipe internationale de 40 scientifiques à forte participation française (2) pour le séquençage du génome et son assemblage, réalisé au Genoscope d’Evry (Essonne) dirigé par Jean Weissenbach, l’un des auteurs de l’article (3).
L’analyse du génome d’Adinata vaga a révélé que ses gènes sont disposés sur ses chromosomes dans un désordre absolu qui interdit toute reproduction sexuée. La formation de gamètes mâles et femelles, dont les chromosomes s’apparient deux à deux, suppose que les gènes correspondants soient placés aux mêmes endroits. L’analyse montre aussi comment Adinata compense le manque de diversité découlant de la reproduction asexuée. Son génome comporte de nombreuses traces de transformations aux cours de son histoire. Des sortes de «copier-coller» de gènes ou de morceaux entiers de génome. Une manière de produire de la diversité et de remplacer les copies défectueuses.
En outre, près de 8% du génome provient d’organismes différents, sur le mode des échanges de gènes - dit horizontaux - entre bactéries différentes. La stratégie évolutionniste d’Adinata vaga pourrait paradoxalement renforcer les conclusions de Gouyon. D’abord siAdinata se reproduit sans sexe, c’est qu’elle ne peut plus faire autrement. Et surtout, elle a trouvé le moyen d’augmenter la diversité dans sa descendance malgré son mode de reproduction, ce qui lui a permis d’éviter l’extinction qui semble frapper la plupart des tentatives similaires chez d’autres espèces. Illustration Rémi Malin Grëy
(1) Damien M. de Vienne, T. Giraud et P.-H. Gouyon, Plos one, 18 juin 2013. (2) CNRS, universités d’Aix-Marseille et Evry, Inra. (3) Jean-François Flot et al, Nature on line du 21 juillet 2013.
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