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samedi 7 septembre 2013

Les héritiers sont de retour

LE MONDE DES LIVRES | Par 
Une illustration de Sergio Aquindo.
Une illustration de Sergio Aquindo. | sergioaquindo.blogspot.com
On démarre avec Balzac, romancier d'un autre siècle, et on termine en compagnie de Jacques Rancière, philosophe défenseur d'une forme exigeante de la démocratie. Ce n'est pas si courant, avouons-le, quand il s'agit d'un ouvrage d'économie savant qui offre tous les gages de rigueur imposés par l'académie. C'est que son auteur, Thomas Piketty, ne conçoit pas d'étudier les inégalités économiques et leur évolution en se retirant du monde : la question interroge trop profondément le sens que nous prêtons à l'idée démocratique. Or, point de politique hors du champ des représentations. Aussi est-ce là qu'il porte le fer – et le coup fait mouche.
Jamais vous n'auriez pensé à comparer notre monde, l'aube du XXIesiècle, à celui de Proust ? La proposition prend en effet à revers ce en quoi nous voulons croire : que la croissance moderne a favorisé le travail par rapport à l'héritage, la compétence par rapport à la naissance. Le Capital au XXIe siècle s'emploie à prouver que les deux sociétés se ressemblent plus qu'il n'y paraît. Les rentiers regagnent, jour après jour, de leur superbe ; l'héritage retrouve, peu s'en faut, l'importance qu'il avait... au temps du Père Goriot.
Contre-intuitif ? En effet. Si nous avons tant de mal à nous représenter cette réalité, c'est que le clivage n'est plus aussi marqué qu'au temps de Proust, entre une toute petite élite oisive et des travailleurs plus ou moins misérables. Nous sommes passés à une "société de petits rentiers".
Thomas Piketty s'est fait une spécialité de l'analyse historique des inégalités. Travaillant entre la France et les Etats-Unis, il a fédéré un groupe de recherche international sur le sujet. Son premier ouvrage, Les Hauts Revenus en France au XXe siècle (Grasset, 2001) a été prolongé par de nombreux travaux, dont certains, sur les "1 %" (les plus riches), ont influencé les débats outre-Atlantique. En 2011, juste avant la campagne présidentielle, il a proposé une réforme fiscale clé en main (Pour une révolution fiscale, Seuil). C'est dire que Thomas Piketty ne conçoit pas son travail sans prolongement dans l'espace public. D'ailleurs, il préfère, à celui de "sciences économiques", le terme d'"économie politique" qui a le mérite d'illustrer, dit-il, "la visée politique, normative et morale" de sa discipline.

Cohérent avec lui-même, Piketty propose des solutions visant à corriger ces inégalités. D'autant plus que leur ampleur pourrait s'aggraver si le XXIesiècle s'installait dans une croissance faible. Tout comme la croissance forte du XXe siècle a permis à la société de se renouveler, aux destins de se rejouer – et au capitalisme de ne pas mourir de ses contradictions –, une croissance molle se révèle en effet très favorable aux patrimoines accumulés par le passé. L'idée d'un "impôt mondial sur le capital" n'en devient, à ses yeux, que plus pertinente.

C'est donc sur cette synthèse, argumentée et accessible, et sur les remèdes préconisés, que nous avons demandé à deux économistes, Jean-Marc Daniel et François Chesnais, l'un proche de la tradition libérale, l'autre de l'école marxiste, de se prononcer.
A découvrir que cet impôt mondial serait, dans l'esprit de son concepteur, une "sorte de cadastre financier du monde", on comprend que l'aiguillon de Thomas Piketty est toujours le même : rendre visible l'argent, porter la lumière là où l'opacité profite aux plus nantis. S'il revient à la sphère politique de changer le monde, changer nos représentations du monde en est le préalable – et c'est bien là l'utilité, sinon la mission, des sciences sociales.
 Le Capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty, Seuil, "Les livres du Nouveau Monde", 624 p., 25 €. (en librairie le 5 septembre).

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