Psychanalyse, droit civil, et «mariage pour tous»
Devant l’ampleur du débat, sociétal et politique, suscité par le mouvement « Mariage pour tous » qui va donner naissance à deux manifestations antinomiques, l’une le 16 décembre prochain, l’autre en janvier 2013, on peut être assez étonné des arguments qui vont à l’encontre de ce mouvement et empruntent leurs démonstrations indignées à de pseudo vérités religieuses, et, ma « foi », pourquoi se priver, à de soi-disant vérités anthropologiques auxquelles se lieraient d’autres vérités psychanalytiques, comme si la psychanalyse, l’anthropologie, pouvaient venir à la rescousse d’un immobilisme idéologique, juridique, somme toute émotionnel et pulsionnel, profondément ancré dans les narcissismes religieux et politiques anciens, qui viserait à ne pas reconnaître, à des changements de représentations de soi et de l’autre, le droit de s’inscrire dans la loi de symbolisation commune, étatique, laïque, et républicaine.
Malgré une maladresse syntaxique dont la sémantique montre encore une emprise du « viril » dans la langue, du machisme sur le féminin – on aurait pu écrire « Mariage pour toutes et pour tous » tout en estimant que celui-ci devienne possible pour celles, ceux, homo et hétéro-sexuels, qui le souhaitent – ce dont il s’agit, c’est bien d’une inscription reconnue par un droit valable pour chacune et chacun, citoyenne et citoyen vivant dans un Etat de droit qui reconnaît bien à chacune et chacun, singulièrement, collectivement, le droit de ne pas être exclu/e, désigné/e comme « autre » d’une façon arbitraire et, à chaque fois, inégale et stigmatisante.
Sans incriminer d’une façon partiale et outrageuse les partisanes et partisans indigné/e/s par ce mouvement de reconnaissance symbolique, juridique et social, du « Mariage pour tous », on peut rappeler, pour elles et eux, partisanes et partisans indigné/e/s par un droit nouveau, ouvert aux autres, que le mariage comme institution religieuse et politique a toujours été l’enjeu d’une reconnaissance hiérarchique et discriminante à vocation anthropologique inégale, parfois raciste, dont la plus triste, pernicieuse, catastrophique, a été celle qui a précédé, juridiquement précédé, la logique, prétention, violence, justification soi-disant scientifique, nazie : les lois de Nuremberg de 1935 concernant le mariage sont très précises et éloquentes à propos de la mise à l’écart des personnes dites, déclarées, juives.
Tout le reste a suivi : extension du racisme, Shoah, discriminations sexuelles, chambre à gaz, guerres nationales, guerres coloniales, décolonisations, génocides ethniques… car si l’institution du mariage devient le lieu sacré de soi, le papa-maman-un, multiplié par trois, exclusif des autres, religions, sexes, ethnicités comprises, alors, oui, des pans entiers de la civilisation, du droit, si lentement construit historiquement, pour que l’autre, celle et celui que je ne connais pas, dont je ne suis pas et que je ne suis pas, puisse être le lieu d’une créance humaine, affective, intellectuelle, d’accueil et de pensée, s'effondrent, surtout si, anthropologue, psychanalyste, politique, religieux, et autre, femme et homme, pour cet être que je ne suis pas, que je ne connais pas, je ferme, et non pas ouvre, ma porte. Il est temps que l'institution du mariage devienne un lieu exemplaire symbolique de reconnaissance de « toutes et de tous » celles et ceux, sexuellement amoureux, protégé/e/s, respecté/e/s, par la loi,et, tout une chacun et un chacun, responsables devant elle.
Le désir de ce mouvement « Mariage pour tous » ne témoigne que de ce désir d’inscription dans la loi symbolique commune d’un état, non plus coercitif, discriminant, mais ouvert comme se doit de l’être, pour la communauté et les communautés, les individus, femmes, hommes, enfants, de toute confession et origine, de travail et de création, qui y vivent et travaillent, s’aiment et s’apprécient, se côtoient, l’Etat de droit laïque, positif, qui crée du droit pour accroître l’espace, le lieu public de celui-ci et non pour le restreindre.
Relisons quelques phrases de Freud qui commencent ce texte de 1925 intitulé « Résistances à la psychanalyse » : « Le petit enfant, dans les bras de sa garde, qui se détourne en criant à la vue d’un visage étranger ; le croyant qui inaugure par une prière chaque journée nouvelle et salue d’une bénédiction les prémices de l’année ; le paysan qui refuse d’acheter une faux dont n’usaient pas ses parents ; autant de situations dont la variété saute aux yeux et auxquelles il paraît légitime d’associer des mobiles différents. Il serait pourtant injuste de méconnaître leur caractère commun. Dans ces trois cas, il s’agit du même malaise : l’enfant exprime d’une façon élémentaire, le croyant l’apaise ingénieusement, le paysan en fait le motif de sa décision. Mais l’origine de ce malaise est la dépense psychique que le nouveau exige toujours de la vie mentale et l’incertitude, poussée jusqu’à l’attente anxieuse, qui l’accompagne. Il y aurait une belle étude à faire sur la réaction de l’âme à la nouveauté en soi ; car, dans certaines conditions qui ne sont déjà plus élémentaires, on constate la réaction inverse et une soif du nouveau pour l’amour du nouveau. »
Pourquoi ne pas tenir compte de cette analyse, mise en garde de Freud à propos de ce qu’il nommera, ensuite, « Malaise dans la civilisation », lui emprunter cette exigence d’ouverture psychique, politique, historique, plutôt que de justifier et répéter une fermeture ancienne, connue, anachronique, a-civile, à cet « amour du nouveau » ?
Pourquoi craindre une sexualité amoureuse qui, avec toutes les garanties qu’un Etat de droit peut reconnaître et inventer aux femmes, hommes, enfants, désire inscrire son fait, ses relations, dans une symbolisation créatrice de valeurs nouvelles de reconnaissance et coexistence civiles et civiques libérées des secrets invalidants, humiliants, discriminations, haines sexuelles, ethniques, nationales, politiques et religieuses.
Pourquoi… ?
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