Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
Les usagers de la psychiatrie abandonnés par psychiatres et administrations !
Les usagers de la psychiatrie sont de plus en plus malmenés dans l’hexagone.
Les preuves s’accumulent.
Sachons voir dans cette violence masquée du précédent gouvernement (laquelle se continue, comme s’il n’avait pas été remplacé) le signe de la volonté d’étouffer une politique de santé que le monde nous enviait et qui était née des horreurs de la guerre dans les hôpitaux psychiatriques.
Un exemple : Une des dernières violences subie par les usagers a été leur mise à l’écart de tout projet par l’administration et les psychiatres de l’hôpital Ste Marie à Nice.
Il y a d’abord eu la destruction de la psychiatrie de secteur de Nice il y a 5 ans lorsque sous la pression de l’ARS les psychiatres et la directrice ont décidé de briser la continuité des soins en créant un « pôle de soins dits extrahospitaliers pour les soins hors hôpital de 5 secteurs », et en maintenant 2 ou 4 pôles hospitaliers plus ou moins ‘intersectoriels’ dans l’hôpital. La seule raison justifiant cette mesure a été de ‘faire des économies’ au mépris du maintien par le gouvernement de la « politique de secteur » dont l’outil essentiel est la continuité des soins par une même équipe. Depuis cette date les malades et usagers sont écartelés entre les théories et pratiques des ‘services’ hospitaliers et de l’énorme pôle extrahospitalier. Il n’y a plus ‘d’équipes de secteur’. Elles ont été mises en morceaux au mépris du suivi des patients.
Aujourd’hui c’est au tour du service de médecine générale de cet hôpital, qui restait un des havres de paix pour les usagers de la psychiatrie, d’être démantelé sans tenir compte des demandes insistantes de la FNAPSY pour le sauver.
L’administration a beau jeu de dire que ce service coûte plus cher que dans le reste de la France. Pourtant depuis la destruction de la sectorisation ce service était un espace où les usagers se sentaient encore chez eux, car les soignants y avaient développé une compétence remarquable à l’égard de la vulnérabilité particulière des patients de la psychiatrie.
Dans un pareil champ de bataille il est évident que l’administration a beau jeu de se montrer comme étant le défenseur des deniers publics, en faisant tel choix plutôt que tel autre, ceci par une simple politique ‘du coup par coup’ (politique qui est l’héritage du précédent gouvernement et que les agents de l’Etat localement poursuivent aujourd’hui). Cet exemple éclaire une réalité nationale, nous le savons tous, c’est beaucoup plus grave, le gouvernement n’a plus de politique claire en matière de service public de psychiatrie, de ce fait c’est l’anarchie. Certes de pareilles mises à sac de la psychiatrie de secteur se sont déjà déroulées dans d’autres hôpitaux en France, il faudrait aujourd’hui en faire le bilan de toute urgence.
Il est essentiel aujourd’hui de renforcer les équipes de secteur, de leur redonner confiance, de refuser toutes les propositions « intersectorielles » qui ne s’appuient que sur des revendications individualistes de tel ou tel acteur, un directeur d’hôpital, une administration locale ou régionale, 3 ou 4 psychiatres locaux, toutes propositions qui sous de fallacieux arguments scientifiques détruisent la continuité des soins réalisée par la même équipe de bout en bout de la vie d’un patient, valeur essentielle du soin psychique.
Il est urgent de donner une place complémentaire forte aux soins de médecine générale (rappelons que en raison de l’apparition de maladies physiques fréquentes et graves, les malades de la psychiatrie ont une vie écourtée de plus de 10 ans par rapport à la population générale), longtemps minorée dans les soins psychiques, la nécessité d’une attention particulière accordée aux soins psychiques et au corps est urgente et à réaliser partout. La meilleure méthode pour la continuité et la moins onéreuse étant le renforcement de chaque équipe de secteur par la présence quotidienne d’un généraliste dans l’équipe, complétée par une convention avec l’hôpital général le plus proche pour répondre aux divers besoins de soins à chaque fois que nécessaire. Il serait justifié dans ce cadre d’accorder un pôle d’excellence dans plusieurs universités d’un service de soins somatiques spécialement adaptés aux troubles psychiques, ne serait-ce que pour former les praticiens de médecine générale qui vont venir dans les équipes de secteur, c’est ce que l’université voulait à Nice avec réalisme.
Mais l’effort le plus essentiel doit être de renforcer la politique de secteur qui a montré ses preuves pendant 30 à 40 ans avant d’être attaquée de mille façons par l’administration ensuite.
Le seul critère d’une décision politique en psychiatrie ne peut être « l’économie », mais la cohérence de cette décision avec une politique de service public s’appliquant sur la France entière, comme cela a été le cas de 1960 -70 à 2005 depuis les circulaires et la loi sur le secteur jusqu’à la loi sur le handicap. L’ensemble était d’une grande cohérence. Cette politique se soutenait de la priorité donnée dans le soin à la relation psychothérapique suivie se tissant au fil des années entre les membres divers d’une équipe de secteur et les patients de la Cité à laquelle était rattachée l’équipe de secteur. Mais depuis 1990 et surtout depuis le rapport Couty et la loi de 2011 sur les soins contre le gré des patients un renversement complet s’est opéré sous la pression conjointe des technocrates de l’administration, celles de certains universitaires et de grands laboratoires dits 'de recherrche' pour annuler le travail spécifiquement développé en France avec la politique de secteur ; leur objectif étant de recommencer à se vouloir « alignés » sur les politiques internationales où le soin est animé autour de la seule biologie, et des grands pouvoirs économiques.
Il serait temps aujourd’hui dans toute la France de faire le bilan de la place accordée aux usagers de la psychiatrie : à la fois dans les instances où la loi leur a donné le droit de siéger (diverses instances locales et régionales) et dans les échanges précédant les décisions régionales en matière de santé mentale ; il serait utile de montrer où les usagers ont été entendus et respectés, où ils ont été bafoués ou pire simplement ignorés. ce bilan permettra à tous de réfléchir à l'évolution actuelle.
Certes en arrière-plan plusieurs faits sont venus affaiblir la représentation de la FNAPSY, -certaines petites associations cherchant du dehors à la désavouer et à lui faire des procès (elle a montré sa capacité à se défendre partout), souvent téléguidées par des manipulateurs extérieurs non malades ; et plus grave -la rupture en 2010 de son union avec l’UNAFAM du fait du précédent président de l’UNAFAM ayant décidé cette année là de soutenir Nicolas Sarkozy dans sa volonté de traiter les malades mentaux comme d’éventuels criminels et d’imposer l’internement et les soins obligatoires devant l’absence de reconnaissance par le malade de son trouble et de ses soins (alors que la particularité des troubles psychiques est de ne pas être reconnus par le malade, il a besoin d’abord de confiance et de calme, et non de violence ni de mesures de contention inhumaines). L’UNAFAM a proposé que les familles jouent un rôle de surveillance partout sur les patients, ce qui a été compris par cette loi prolongeant les soins sous contrainte au domicile en violation de tout respect de la personne.
Les familles ne pourraient-elles retrouver le rôle d’alliées des usagers qu’elles ont joué entre 2000 (Le Livre Blanc de la Santé Mentale) et 2008 (avec en 2005 la loi sur le handicap où leurs efforts convergents ont fait reconnaître le quatrième handicap, le « psychique » sans déficit intellectuel) ? La France était un des seuls pays où existaient parallèlement, unies sans se confondre (car quand ils sont dans une seule association les familles phagocytent les usagers, comme dans les associations médicales qui disent ‘intégrer’ des patients) l’association nationale des familles et la fédération nationale d’associations d’usagers.
De ce fait le triangle entre UNAFAM, FNAPSY et représentation nationale des professions psychiatriques constituait un triangle de négociation avec l’Etat solide et cohérent.
Dans cet équilibre il n’y aurait plus de place à des jeux pervers comme celui mis en place par le CCOMS voulant créer une formation de pairs-aidants ou médiateurs de santé-pairs qui auraient à jouer le rôle trouble de donneur de leçons auprès des patients récalcitrant aux soins ou auprès des ‘mauvais soignants des mauvais services de psychiatrie’ ; les malades qui accepteraient de s’y aventurer seraient totalement piégés, abusés par ce rôle pervers, nous avons reçu des témoignages lourds de cette violence masquée. Là encore la responsabilité des psychiatres et de certains universitaires est grande proposant d’appuyer ces démarches par des théories fumeuses dite de « rétablissement », qui voudraient faire croire que l’expérience de la maladie donne à celui qui a été malade un savoir supérieur à celui de ceux qui se forment pour être soignants. C’est une fois encore tout confondre ‘pour servir’ quelques théoriciens ayant le pouvoir, en ‘soumettant’ des patients vulnérables. (note)
Le contexte est apparemment complexe. Il suffit alors d’avoir en perspective une vision générale des souffrances psychiques et des réponses possibles aujourd’hui en France.
Ceci en partant d’une réflexion claire sur le caractère multifactoriel de toute étiologie des troubles psychiques, sur la nécessité d’établir des liens complémentaires entre les divers apports théoriques et pratiques sur la connaissance des troubles psychiques et leur traitement, car la recherche d’une voie politique cohérente est possible s’appuyant sur les particularités de la France, son expérience en particulier du secteur, la compétence des familles, la compétence des usagers réunis en Fédération Nationale.
Les DRASS et les directeurs d’hôpitaux ne seront plus tentés de jouer des divisions entre usagers, entre eux et familles, entre usagers et psychiatres. Diviser n’est pas régner !
Alors commençons par étudier cette lutte fratricide niçoise où la psychiatrie a été tellement mise à mal et les usagers si mal écoutés, il est temps ainsi de commencer par cet examen pour établir un bilan national, positif et négatif, de 12 ans de présence sur la scène publique des associations d’usagers et de la FNAPSY, et à leurs côtés avec les familles ; les psychiatres auraient le loisir de donner eux-mêmes une plus grande complémentarité à leurs divers discours ; les conditions d’une nouvelle politique de santé mentale seraient présentes.
Le plus urgent est que les soignants et en particulier les psychiatres mettent leurs divisions théoriques de côté et portent une attention commune à la compétence des patients dans tout processus d’évaluation des soins, en sachant que le premier besoin des patients et des familles est la tenue d’un langage cohérent entre les différents soignants. L’autre exigence est que l’Etat accorde à la FNAPY les moyens lui permettant de jouer son rôle d’interlocuteur et d’acteur national à part entière. Nous pouvons montrer qu’il y a actuellement une profonde injustice entre l’UNAFAM et la FNAPSY : l’UNAFAM est constituée par d’anciens chefs d’entreprise ou acteurs publics ou privés de notoriété et tous en retraite, ayant donc temps et moyens à leur disposition, en même temps l’UNAFAM reçoit une subvention suffisante pour lui permettre une vie associative nationale et régionale soutenue. La FNAPSY par contre réunit dans son CA et son bureau des usagers en cours de souffrance psychique, faisant face à leurs troubles et leurs traitements, ayant à leur charge en plus la nécessité d’une activité salariée et les charges de famille : faites le total ! et la comparaison ! et sachez que la subvention actuelle de la FNAPSY est équivalente à celle d’un GEM, c’est à dire d’une petite association locale, alors que lui est demandée la solidité et la représentativité permanente et multiple d’une Fédération Nationale ! Au Canada par exemple la subvention est tout à fait reconnaissante de ces diverses tâches. La survie et l’indépendance et de la FNAPSY sont à ce prix en France.
Les psychiatres doivent avancer là entre la manipulation et l’indifférence (celle-ci se manifeste sous prétexte de privilégier la fausse notion d’autonomie, une personne vulnérable ne peut être seule, ‘autonome’, sinon elle est à l’abandon).
Dans cette remise en cause que nous devons mener les psychiatres ont un rôle essentiel à jouer, car il est question du renforcement narcissique des personnes qui souffrent, ceci en écartant toute possibilité de manipulation; on sait que dans un groupe la vulnérabilité d’un seul met le groupe en déséquilibre, et en tentation d’abuser de sa force sur lui. Nous pouvons les soigner et simultanément dans la société nous montrer à leurs côtés. Le soin psychique s’établit dans le respect de la personne qui souffre et le souci de sa restauration progressive, en faisant en sorte que peu à peu ce soit elle qui joue le rôle d’acteur primordial et essentiel.
Alors menons d’abord un bilan national de la place accordée aux usagers de la psychiatrie.
(note : Le maximum de la manipulation est actuellement celle qui se déroule en faveur de l’hégémonie des USA sur la psychiatrie française et européenne, emboitée par l’OMS, par le biais de la classification des maladies mentales, dite DSM. Nous la détaillons ailleurs, précisons seulement ici que cette classification n’est pas construite sur des données scientifiques mais sur les demandes de certains universitaires, des laboratoires pharmaceutiques, de certains lobbies car cela permet d’orienter les choix budgétaires nationaux en fonction de ces seuls acteurs. La France soutient aussi cette fausse science car elle sert les intérêts de l’administration, des universitaires adultes, -car ceux des enfants et des adolescents lui ont opposés grâce à Roger Misés une classification plus modeste et plus vraie-, des laboratoires. Et ceci alors que les américains eux-mêmes contestent cette classification et la combattent précisant que par ce biais bientôt toute la population va être reconnue comme malade et devra recevoir des médicaments à vie (ce qu’affirment certains laboratoires français et le CCOMS!). Ainsi Allen Frances qui a été le directeur principal de ce dernier DSM IV dénonce vivement son inflation (entretien au journal Sud-Ouest du 2 décembre 2012), mais les universitaires français et l'administration font la sourde oreille. Rappelons que le regretté Professeur Edouard Zarifian, qui avait été le soutien du regroupement des usagers lors de la création de la FNAPSY (E Zarifian, « Des paradis plein la tête », Odile Jacob, 1993) avait déjà tout écrit : l’importance des usagers dorénavant, la dénonciation à mener du DSM, la dénonciation des sondages d’opinion prétendant faire le diagnostic de populations entières par enquête au téléphone, la médicalisation largement excessive, la mise à mal des psychothérapies, les outrances des examens dits scientifiques, et même la fausse interprétation de recherches scientifiques, tous facteurs éliminant le facteur humain alors qu’il est essentiel, …)
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