Roland Gori, psychanalyste, raconte avec ses mots, à la manière d’un Régis Debray, les désordres du monde. Notre époque « à prétention universelle » multiplie les « désirs d’indépendance ». L’homme s’affranchit de frontières virtuelles, de communications de plus en plus nombreuses, mais il en oublie la parole.
Perçue comme une perte de temps, celle-ci se retrouve« dévalorisée au profit de sa composante la plus technique, instrumentale et numérique : l’information ». Sa langue s’installe « dans tous les dispositifs de subjectivation ». C’est ce qu’il cherche à démontrer.
Ici-bas, « le vrai n’est rien d’autre que ce qui marche et se vend ». Il n’est plus à débattre.« Les chefs n’ont plus besoin de regarder les hommes dans les yeux pour donner les ordres : il leur suffit de montrer les chiffres ». Ce qui « désavoue aussi bien le fonctionnement de la mémoire humaine que de la fonction symbolique de médiation ».
Des grilles pour la santé mentale : un symptôme de la « crise du récit »
Roland Gori explique ce qu’est la dignité de penser et pourquoi s’en soucier. La censure s’est déplacée, a changé de sujet. Elle ne donne libre expression « que dans le langage de l’idéologie dominante, dans les formes normalisées et standardisées du système technicien ».
Pour ce professeur émérite, l’exemple est donné « dans la plupart des réformes qui tendent à transformer la psychiatrie en santé mentale, nouvelle forme d’hygiène d’un corps social constitué de molécules plus ou moins saines ».
Il évoque Michel Foucault, « la prolifération des systèmes de surveillance » que sous-tend le« recentrage » sur le risque. Il rappelle l’ordre des choses : « en se médicalisant de nouveau, la psychiatrie redevient ce qu’elle a été à l’origine : une sous-spécialité de l’hygiène publique ». Ce sont « les prodigieux effets d’une civilisation technique et marchande des mœurs, et de sa cruauté ».
La « bâtardise de la pratique du psychanalyste entre science et roman » est devenue l’obsession tacite de cette idéologie angoissée par le « vivre ensemble ». Son art de la confrontation et du conte ne souffrirait d’aucune « logique fragmentée » et anonyme.
Osons penser et agir
La parole est synonyme d’engagement. Elle a un « pouvoir d’infection », une « fonction de révélation » contraire à ce qui se dessine avec « l’urgence », qui fait chuter la transmission, la mémoire et l’expérience.
Roland Gori joue la méthode Coué, propose de se remettre dans l’écoute des « situations de souffrance ». Ce qui revient à reprendre tout depuis le début, avec une médecine néanmoins plus sophistiquée et légitime.
À cette leçon du monde et de soi-même devrait revenir se coller un récit qui permet « de s’oublier », de « se rappeler de quelque chose sans en avoir le souvenir ». C’est là tout le savoir de la passion.
Références de l’ouvrage :
Roland Gori, La dignité de penser, Éditions Les Liens Qui Libèrent, 2011
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