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mercredi 26 septembre 2012

"Les malades sont culpabilisés de vouloir hâter leur propre mort"

LE MONDE | 

Une manifestation en faveur des soins palliatifs à Paris en janvier 2011. | AFP/JACQUES DEMARTHON

C'est un texte coup de poing qui devrait secouer les médecins et soignants des soins palliatifs. Sociologue, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Philippe Bataille publie, mercredi 19 septembre, A la vie, à la mort. Euthanasie, le grand malentendu (Autrement, 128 pages, 12 euros). Ce récit est le fruit de plusieurs années d'observation dans une unité de soins palliatifs de la région parisienne.
Dans cet ouvrage émaillé d'exemples poignants de patients en fin de vie, Philippe Bataille dénonce ce qu'il appelle le "palliativisme", soit le déni, par les médecins des soins palliatifs, de la demande de mort qui hante parfois leurs services. Alors que François Hollande a demandé au professeur Didier Sicard, ancien président du comité d'éthique, de réfléchir à la possibilité d'aller plus loin que le cadre législatif actuel, le sociologue souhaite replacer le débat sur le seul terrain qui vaille à ses yeux : celui du respect du consentement des patients, au nom du droit des malades à disposer d'eux-mêmes.
Dans votre livre, vous attaquez durement les soins palliatifs en dénonçant certaines de leurs pratiques soignantes. Pourquoi ?
Je n'attaque pas les soins palliatifs en général, qui font très bien leur travail d'accompagnement en fin de vie. Ce qui pose problème et que je dénonce, c'est une certaine déviance des soins palliatifs que j'appelle le "palliativisme" : une forme d'idéologie poussée à l'extrême de l'application de l'adage des soins palliatifs selon lequel on ne doit jamais hâter ni retenir la mort. Les soins palliatifs veulent faire en sorte que la mort ne soit pas le produit de la médecine et encore moins le produit d'une volonté ou d'une intention. La mort doit venir naturellement, le médecin se "contentant" de soulager les douleurs. Or, il y a des patients incurables qui ne souhaitent pas mourir de cette façon. Ils sont fatigués après des traitements qui les ont souvent épuisés, et ils demandent d'en finir car ils sont arrivés au bout du chemin.
Qu'est-ce que cela veut dire pour un malade ?
Qu'il ne se passe rien. Quand Michel Salmon, un patient atteint d'un locked-in syndrom après un AVC, demande à mourir, il ne se passe rien. Car la demande d'en finir, la demande d'un arrêt de vie, qui nécessiterait un geste actif, est systématiquement bloquée par le palliativisme. Les médecins ont opposé à M. Salmon l'impossibilité de ce geste actif et l'ont renvoyé à l'application de la loi Leonetti sur la fin de vie, qui a théorisé le fameux "laisser-mourir". M. Salmon a dû subir l'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation accompagné d'une sédation. Cela a duré vingt jours avant que son coeur lâche enfin.
Vous dites que c'est un déni du malade ?
Je dis que nous sommes en face d'une contradiction. La société et la médecine invitent de plus en plus le malade à être acteur de sa maladie. Cette évolution, actée par la loi sur le droit des malades de 2002, vient buter sur la loi Leonetti, qui dénie au contraire au patient la possibilité d'être acteur de sa maladie (donc de sa vie) jusqu'au bout. Et ce au nom d'un idéal médical, d'une approche philosophique, morale et politique qui fait le fondement du palliativisme. C'est l'idée que le malade n'est plus en capacité de décider pour lui-même car il serait en situation de vulnérabilité. Le patient est disqualifié. Car, si on le considère comme vulnérable, on peut le déposséder de son libre arbitre au nom de la solidarité collective. Le patient est vu comme un enfant, un bébé ne se possédant plus, et toute revendication d'en finir est interprétée comme une volonté de maîtriser sa mort et d'en imposer les conditions au monde de la médecine.
Et cela, c'est illégitime ?
Du point de vue des médecins palliativistes, oui. Et d'ailleurs, si le malade exprime ce désir, ce sera interprété comme la preuve de sa vulnérabilité et la nécessité de le prendre en charge. Le monde médical évacue le débat nécessaire sur la conduite à tenir face à ces malades qui réclament d'en finir, au nom de l'interdit de tuer. Pire, à l'intérieur du monde médical, ce débat a été capté par les soins palliatifs, qui, tout en étant entièrement tournés vers la mort du patient, ne lui laissent aucune place sur la manière d'aborder sa mort et de faire part de ses propres volontés.
En réalité, la médecine est mal à l'aise face à cette possibilité de donner la mort : elle sait qu'on peut aller très loin, techniquement, dans le prolongement de la vie. Il y a là un vertige de la médecine face à ses possibilités et à sa toute-puissance. D'où un vrai blocage face à ce geste possible et la construction de tout un appareillage idéologique pour développer une sorte d'idéal de la mort douce.
Pourtant, les soins palliatifs ont coutume d'affirmer que les demandes d'euthanasie s'effacent si on traite la souffrance physique et psychique...
Ce n'est pas vrai, mais les malades n'osent même plus le dire. Ils sont culpabilisés d'avoir envie de hâter leur propre mort, et leurs proches aussi. L'interdit de tuer est tel qu'on ne peut même plus penser ou désirer que son proche meure, au risque d'être accusé de vouloir le tuer. Il y a là une dimension terriblement normative dans l'accompagnement : les proches viennent-ils assez voir leur parent mourant, souvent, longtemps, pas longtemps, combien de fois ? Tout cela fait l'objet de regards, d'échanges cliniques par les soins palliatifs.
La loi permet cependant aux patients de faire valoir leur volonté, notamment par le biais des directives anticipées...
Les directives anticipées ne sont pas respectées. Dans mon livre, je donne l'exemple du sociologue François Ascher : avant d'être en phase terminale de sa maladie, il a fait appel à des médecins, s'est renseigné sur les possibilités de la loi et a consigné clairement ce qu'il voulait dans des directives anticipées – il souhaitait mourir à domicile, qu'on l'endorme et ne plus jamais se réveiller, ce qu'on appelle une sédation terminale. Eh bien ces directives ont été bafouées et ridiculisées par le médecin de service, qui ne voulait pas s'y soumettre. Et la sédation ne lui a pas été accordée (il a été régulièrement réveillé), au prétexte qu'il"voulait se donner la mort".
Dans le cas de François Ascher, comme dans d'autres, ce qui n'est pas supporté par les médecins, c'est d'utiliser la médecine comme une technique permettant au patient de ne pas affronter sa mort ou de ne pas aller au terme de sa maladie. On arrive ainsi à des situations qui ressortissent véritablement de la cruauté pour ceux qui les vivent. Quand quelqu'un a vraiment décidé de partir et qu'il en est empêché, quand c'est décidément très long, on peut parler de déni de soins et de maltraitance.
Que préconisez-vous ?
Il me semble impératif de réintroduire la parole du malade et d'entendre ce qu'il a à dire de sa propre fin. Les médecins opposés à l'euthanasie caricaturent la demande d'aide active à mourir comme si c'était une demande autoritaire, ils dénoncent la volonté de maîtrise, grossissent l'influence réelle de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité – dont je ne partage pas les revendications. Alors que ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il ne s'agit que de quelques demandes exceptionnelles par an, qu'on doit traiter, au nom du droit des malades et du respect de leur consentement. En quoi serait-on un moins bon médecin quand on regarde la maladie tuer le patient ou quand au contraire on l'accompagne dignement, avec un geste actif, au moment où il le réclame et de manière évidemment contrôlée ?
Qu'attendez-vous de la mission du professeur Didier Sicard mise en place par François Hollande sur la fin de vie ?
J'attends qu'elle mette en oeuvre la proposition 21 du candidat Hollande qui s'est engagé à ce que tout malade en phase terminale puisse bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. Il faut ouvrir une exception d'euthanasie, accordée par un collège de médecins, à l'image de ce que préconisait, justement, le Comité d'éthique, en 2000, quand il était présidé par Didier Sicard. Cela n'ouvrirait en rien la voie à des milliers de cas, comme les détracteurs de l'euthanasie l'affirment. Nous devons trouver les procédures qui permettent de satisfaire cette demande au cas par cas. Il faut sortir de cet absolu interdit de tuer.

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