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mercredi 26 septembre 2012

Le premier débat sur la fin de vie, entre posture et émotion

LE MONDE | 
Venir dans une université déserte, un week-end, pour parler de la mort, cela sonnait un peu comme un défi. Plus de 150 personnes se sont pourtant pressées au premier débat public sur la "fin de vie" organisé par la mission de réflexion du professeur Didier Sicard, samedi 22 septembre, à Strasbourg. Une preuve que, sept ans après la loi Leonetti sur les droits des malades en fin de vie, bien des interrogations demeurent.
Evidemment, cette réunion "expérimentale", première d'une série de huit, n'a pu éviter deux écueils attendus: l'affrontement entre ceux qui militent pour le suicide assisté ou pour l'euthanasie et ceux qui y sont farouchement opposés; et la présence en grand nombre de professionnels et d'experts, au détriment des "citoyens lambda" invités au premier chef à s'exprimer.
Pour autant, le débat est si sensible, il concerne tant de personnes, qu'il a trouvé son chemin, malgré les carapaces idéologiques, les pesanteurs professionnelles, les convictions irréductibles. Elles étaient plus patentes dans les ateliers au public fourni, comme si le nombre obligeait à défendre une posture publique, que dans les ateliers moins fréquentés, où les récits et les échanges pouvaient prendre un caractère intimiste.
"Mon travail, c'est de diminuer la douleur physique, explique, le matin, dans un atelier, une femme médecin dans une unité de soins palliatifs. Poser un acte de mort après avoir mis toute cette énergie à soulager, à sauver la vie comme médecin, me paraît incompatible. Qu'est-ce que ça va donner comme confusion dans l'esprit des malades?" La praticienne pousse loin le raisonnement, jugeant que le lien de confiance pourrait être rompu entre patient et médecin: le malade en viendrait, selon elle, à se demander si le geste médical qu'on lui administre n'est pas létal...
Le même médecin racontera, l'après-midi, lors du débat général, la fin d'une femme tétraplégique, atteinte de la maladie de Charcot. Celle-ci ne pouvait communiquer qu'avec son bras gauche grâce à un ordinateur adapté et avait manifesté sa volonté de mourir. "Nous sommes allés chez elle, avec ses fils, après avoir réuni un petit comité d'éthique. Nous nous sommes dit au revoir, avec quelque chose, si j'ose dire, de festif." Puis le médecin a posé un produit sédatif et débranché le respirateur.
"Ce geste a été pour nous d'une violence inouïe, témoigne-t-elle, avant de résumer: J'arrête un respirateur, je suis dans mon droit, j'injecterais un produit, je serais condamnée."
"VOULOIR MAINTENIR LES GENS DANS LE COULOIR DE LA MORT EST D'UNE VIOLENCE SANS NOM"
Face à ce désarroi, deux réactions opposées. Un monsieur proteste :"Arrêter un respirateur dans le cas d'une maladie de Charcot, c'est quand même un geste majeur. On sait que la vie va s'arrêter très vite."Une citoyenne ordinaire, qui se présente comme telle, y voit au contraire "un acte merveilleux. De toute manière, la mort est là. Vouloir maintenir les gens dans le couloir de la mort est d'une violence sans nom".
Elle est très applaudie. Elle le sera aussi après cette vigoureuse sortie : "Ma vie à moi ne dépend pas de groupes de pression ni d'associations quelles qu'elles soient. Il faudrait quand même que ce droit de moi-même sur moi-même existe !"
Les échanges sont parfois acides. Un représentant de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ironise, dans l'atelier sur la grande souffrance psychique, après plusieurs interventions de médecins qui ont fait état de leur trouble, voire de leur angoisse, à l'idée d'aider à mourir : "On parle de la grande souffrance psychique des médecins?" "Je ne sais pas du tout comment cela fonctionne en Suisse, avance prudemment une participante, ni médecin ni membre d'une association, mais pourquoi n'y aurait-il pas une structure pour que les gens qui en ont vraiment assez puissent s'en aller?"
"JUSQU'OÙ EST-ON MAÎTRE DE SA PROPRE PENSÉE?"
Une infirmière juge pour sa part que les demandes d'euthanasie – le mot n'est jamais prononcé – signifient que les malades veulent voir cesser leur situation "plutôt que vouloir mourir véritablement". Comme à l'appui de cette thèse, une femme raconte que son père a connu une grave dépression lorsqu'il est devenu veuf, à 85 ans. "Il en a maintenant 87 et il est en pleine forme. Je me dis, heureusement qu'il n'était pas dans un hôpital où on lui aurait proposé un geste définitif !"Mais l'avait-il seulement demandé? Encore faut-il le pouvoir.
Une jeune femme affirme que, dans un état de grande souffrance psychique, "on ne peut pas prétendre qu'une personne est libre""Tous les hommes sont libres!", s'exclame le représentant de l'association suisse Dignitas, avant de reconnaître qu'il est légitime de se demander si l'esprit ne connaît pas une aliénation: "Jusqu'où est-on maître de sa propre pensée?"
L'est-on de son propre corps? Il a ses mystères, assure un médecin de réanimation qui a vu "des choses incroyables", comme cette patiente avec un rein artificiel, un poumon blanc, le foie atteint, et des "doses phénoménales de médicaments pour survivre", aller brusquement mieux. "Je ne peux pas respecter plus un être humain qu'en n'interférant pas. Peut-être que je ne veux pas passer à l'acte, ça ne m'appartient pas."
Avec son pull-over rouge, sa voix douce, ce professeur d'allemand estime au contraire que sa mère ne pouvait respecter davantage son père qu'en répondant "non" à la demande de l'équipe médicale: "Faut-il le réalimenter?" Victime à 88 ans d'un très grave accident vasculaire cérébral, il était paralysé. "Il avait dit, écrit, répété, qu'il ne voulait vivre que debout", raconte sa fille.
"Le message de votre père a fait loi. Mais ce message est-il resté valide jusqu'à la fin?", demande un sceptique. "Si votre question est "Y a-t-il une identité parfaite entre ce moment et ce qu'il a dit toute sa vie?" Oui. Mais l'énigme restera sur son état de conscience à ce moment-là."
Jusque-là, nul ne s'étonne de recueillir plus de questions et de contradictions que de réponses et de certitudes.

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