par Eric Favereau
Le professeur André Grimaldi est une figure dans le monde la santé. Diabétologue de renom, militant insatiable du service public et d’une médecine de qualité, on l’enferme parfois dans une posture d’idéologue critiquant systématiquement la politique de santé actuelle. Peut-être l’a-t-il été, mais depuis des années il cherche des leviers pour sortir de ce lent effondrement de notre système de santé, passé de meilleur au monde à désespérant.
Mercredi 15 mai, avec François Bourdillon, ancien directeur de l’agence Santé publique France, il sort un livre, préfacé par Didier Sicard, ancien président du Comité d’éthique, qui ne paye pas de mine : Notre santé. 7 questions 7 réponses (Odile Jacob). Ce petit ouvrage est pourtant une mine de solutions et suggestions pour en finir avec l’immobilisme actuel. Rien de spectaculaire, mais des constats, des remarques et des remèdes. Prenons par exemple la question de la qualité des soins, et de leur pertinence. On le sait, on le répète et on l’écrit : «20 à 30 % des actes ou des prescriptions ne sont pas justifiés. On compte, chaque année, environ 200 000 hospitalisations et au moins 10 000 décès secondaires aux traitements, dont 30 % au moins seraient évitables», rappelle André Grimaldi. Sans oublier les étonnantes variations territoriales.
Des raisons éthiques
Dans ce livre, Grimaldi et Bourdillon s’attaquent à un lieu commun, présenté comme la solution : le paiement à la qualité, en médecine de ville comme à l’hôpital. En clair, un bon médecin devrait gagner plus qu’un mauvais médecin. Elémentaire, mon cher Watson. En fait, ce n’est pas si simple. En France, il y a en tout cas depuis plus d’une dizaine d’années, une mesure prise par l’assurance maladie, appelée «la rémunération des médecins libéraux sur objectif de santé publique». En d’autres termes, si les médecins respectent certains indicateurs – par exemple sur le nombre de diabétiques pris en charge et sur leur suivi ou concernant leur participation à des actions de santé publique –, alors ils touchent une somme pouvant aller jusqu’à plus de 6 000 euros par an. «Ce paiement à la qualité continue à être promu par les pouvoirs publics», écrivent Grimaldi et Bourdillon.
Les professeurs critiquent la démarche en général, et d’abord pour des raisons éthiques : «Pour la bonne et simple raison qu’en médecine la qualité n’est pas un plus facultatif mais c’est l’objectif même du soin… On n’a jamais vu un médecin expliquer qu’il ne faisait pas de la qualité car celle-ci était mal payée. La qualité du soin est un impératif, chaque médecin ayant prêté serment d’entretenir ses compétences et de connaître ses limites à ne pas dépasser.»
Puis ils vont démonter cette politique en montrant que celle-ci n’est surtout pas efficace. «Le paiement à la qualité n’est en réalité qu’un paiement en fonction d’indicateurs de qualité, ce qui pousse les soignants à soigner les indicateurs plutôt que le malade.» Ils prennent l’exemple du liquide pour se laver les mains, indicateur de bonne qualité dans les recommandations de la Haute Autorité de santé : «Verser le liquide hydroalcoolique dans le lavabo permet d’améliorer le score obtenu lors de la mesure de l’indicateur composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales. Si les indicateurs portent sur les résultats, les professionnels sont poussés à sélectionner les bons patients.» Autre constat : «Les études montrent de façon convergente que le paiement à la qualité entraîne une amélioration transitoire des indicateurs retenus et une dégradation des indicateurs non financés.» Ou encore cette remarque : «Les sommes allouées à la qualité doivent être très très importantes car, si elles sont faibles, le message est que la qualité, paradoxalement, ne vaut pas grand-chose.» Et au final, «toutes les études anglaises comme américaines ont montré l’absence d’amélioration durable de la qualité par le paiement d’indicateurs».
Gabegie autour des médicaments
Ce que nous confirme Pierre-Louis Bras, ancien président du Conseil d’orientation des retraites, auteur d’un article critique sur cette question dans la revue les Tribunes de la santé que cite le livre. «Il n’y a ni de bons indicateurs ni une véritable évaluation, nous explique Pierre-Louis Bras. Résultat, on n’en sait rien. Mais tout le monde est content. Cela permet aux régulateurs de dire qu’ils s’intéressent à la qualité des soins. Et comme cela part d’un bon sentiment, tout le monde applaudit, or on est dans l’ignorance, on paye sans savoir, mais on continue.» Que faire dès lors ? «Il faudrait des indicateurs clairs et une évaluation sérieuse», précise Pierre Louis Bras.
Dans leur ouvrage, Grimaldi et Bourdillon se montrent, eux aussi, pragmatiques. «Les facteurs les plus déterminants pour obtenir une amélioration de la qualité sont d’une part la focalisation des professionnels sur un acte important pour assurer la qualité (comme le lavage des mains ou la lutte contre l’excès de prescription des antibiotiques) et d’autre part la diffusion au public des résultats (et plus marginalement des classements) suscitant la compétence/émulation entre professionnels et établissements.» De ce fait, il se montre partisan de la création d’un observatoire des pratiques professionnelles. «La comparaison est un puissant levier pour faire évoluer les pratiques.» Et les auteurs évoquent l’idée de prendre deux ou trois objectifs, puis observer et analyser les résultats dans chaque territoire.
Autre exemple de la mauvaise qualité des soins : la gabegie autour des médicaments, avec des patients qui prennent des médicaments dont ils n’ont pas besoin, et d’autres qui n’en prennent pas alors qu’ils en auraient besoin. «Pour éviter les erreurs de prescription et favoriser l’observance, on peut espérer l’aide à la prescription avec l’intelligence artificielle», notent-ils. Il insiste sur l’éducation thérapeutique, appelle à une gestion des risques dans les services hospitaliers, en particulier en gériatrie. Et propose des essais dit de phase 4, c’est-à-dire dans la vraie vie, et non pas dans un laboratoire ou avec des groupes de malades prédéfinis. «Ces essais existent actuellement, mais ils sont de la seule responsabilité des industriels. Il faudrait maintenir leur financement par les industriels mais les confier à des organismes indépendants.»
Une idée de bon sens. Et il y en a plein d’autres, comme sur l‘accès aux soins ou sur la démocratie sanitaire, sur la pénurie des médicaments aussi. De quoi inspirer notre ministre de la Santé, le jour où les pouvoirs publics se décideront à avoir une politique explicite de santé.
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