par Marlène Thomas publié le 12 mars 2024
Un pas décisif pour la protection de l’enfance. Au terme d’une navette parlementaire longue de plus d’un an, la proposition de loi de la députée socialiste Isabelle Santiago a été définitivement adoptée, ce mardi 12 mars, lors d’une ultime lecture au Sénat. Faisant écho aux recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), ce texte vise à renforcer la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales en facilitant la suspension de l’autorité parentale et du droit d’hébergement, dès l’ouverture d’une enquête pour violences sexuelles incestueuses ou crime sur l’autre parent. Une urgence alors que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année et que 4 millions sont exposés aux violences conjugales, selon la Fédération nationale Solidarité femmes. Isabelle Santiago détaille à Libération les avancées portées par ce texte.
Comment votre loi va élargir les cas de suspension de l’exercice de l’autorité parentale, des droits de visite et d’hébergement avant une condamnation ?
La procédure aujourd’hui telle qu’elle était organisée ne couvrait pas ce champ-là. Entre une mise en examen et une décision du tribunal, il peut parfois s’écouler dix-huit mois à trois ans. Avant le procès, certains enfants se retrouvaient donc chez leurs agresseurs lors de visites médiatisées [dans un espace de rencontre, ndlr] ou non. Certains pères ont également pu refuser la prise en charge de leurs enfants en [consultations de] psychotraumatisme alors qu’ils avaient été témoins des féminicides de leurs mères. D’autres n’ont pas pu être hospitalisés ou encore envoyés en vacances avec leurs grands-parents. Cela touche plein d’aspects de la vie quotidienne. La France avait d’ailleurs été rappelée à l’ordre par l’ONU après la saisine des hautes instances internationales par trois mères. Avec cette loi, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, des droits de visite et d’hébergement interviendra dès le début de la procédure de mise en examen. Ce qui induit une automaticité de la protection de l’enfant en vue du procès. En revanche, le dépôt de plainte et le temps de l’enquête ne sont pas concernés par le texte.
Contrairement à ce que recommandait la Ciivise et à ce que vous vouliez initialement, le retrait de l’autorité parentale ne sera pas automatique en cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur l’enfant…
Nous avons été obligés de l’écrire différemment, l’automaticité étant anticonstitutionnelle. Quelques lois invitaient déjà à ce retrait de l’autorité parentale de façon optionnelle et il apparaît que le juge pénal était réticent à le prononcer [65 mesures relatives à l’autorité parentales ont été prises en 2021 concernant des crimes contre 48 en 2017 ; 772 ont été prononcées concernant des délits en 2021 contre 82 en 2017 selon le dossier législatif, ndlr]. En cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur l’enfant mais aussi de crime sur l’autre parent, soit de féminicide [ou de viol], le retrait de l’autorité parentale sera désormais plus systématique. Si le juge ne le fait pas, il sera dans l’obligation de le justifier. La façon de penser le droit est ainsi inversée : on ne dit pas au juge «vous pouvez le faire», on lui dit «vous le faites, et si vous ne le faites pas, il faudra le justifier». La préservation des liens familiaux primait jusqu’alors sur la protection de l’enfant. On a fait en sorte que l’enfant soit protégé, écarté de son agresseur.
Ce texte doit désormais s’accompagner d’autres mesures ?
Tout cela doit s’accompagner d’un plan global parce que mon texte ne répond pas à tout, bien que la navette parlementaire ait permis de l’enrichir, notamment avec l’amendement de la sénatrice Laurence Rossignol (PS). Dans le cadre de son rôle parental, une femme bénéficiant d’une ordonnance de protection devait, en cas de déménagement, fournir son adresse à la personne dont on veut l’éloigner. Ce ne sera plus le cas. Mais cette loi ne répond pas, par exemple, à l’enjeu de mise en sécurité immédiate lors du dépôt de plainte. Aujourd’hui, 70 % des plaintes pour violences sexuelles sur mineurs sont aussi classées sans suite. Ce n’est pas possible quand 160 000 enfants en sont victimes chaque année. Cela pose la problématique du recueil de la parole de l’enfant, des moyens que l’on met pour l’auditionner, de la sécurisation du parent protecteur. Toutes les recommandations de la Ciivise sont encore à mettre en œuvre. J’ai d’ailleurs redit lundi à l’Assemblée nationale que je souhaitais le retour du juge Edouard Durand à la tête de cette commission.
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